Pour l’œil de l’observateur éloigné qui ne voit le monde que par le filtre des principaux médias (iTélé, internet, presse et radio), la découverte, ou même parfois la présence de longue date de gisements de pétrole dans un pays ne semble paradoxalement pas être une chance pour les habitants… Au point que l’on entend souvent que le pétrole est « une malédiction ». Pensez-vous que l’or noir soit maudit ?
Il est vrai qu’il y a une grande littérature sur cette « malédiction » du pétrole. Le mot malédiction est d’ailleurs souvent utilisé pour toutes les ressources énergétiques que peut recéler un pays en développement. Ce terme est très fort, et présente l’avantage d’être évocateur. Mais la malédiction a quelque chose de divin. Elle est hors de portée de l’homme. Or, dans le problème que vous abordez, il n’y a rien qui ne dépende pas du pouvoir exécutif, économique et social de l’homme, rien ne que l’on ne puisse traiter, résoudre ou mieux encore, prévenir.
Mais alors comment expliquer que l’apparition d’une manne pétrolière s’accompagne quasi-systématiquement d’un cortège de violences, de pauvreté et de destruction environnementale ?
On remarque en effet nombre de pays en développement producteurs de pétrole font montre de performances sociales et humaines peu impressionnantes, au vu d’autre pays qui ne pas sont dotés de cette richesse. La raison se trouve dans ce que les économistes nomment la rente pétrolière. Cette manne financière, très importante, devrait selon toute logique être une bonne nouvelle pour le peuple du pays qui s’en voit affecté. Seulement, on constate que l’apparition, dans un pays, d’une richesse d’une telle ampleur entraine des comportements à problème. Les entités politiques ou étatiques des pays en question font tout ce qui est en leur pouvoir pour obtenir les fruits de cette ressource. S’ensuit alors un enchaînement de corruption, de conflits armés, et par conséquent, de violation des droits de l’homme.
De plus, si l’on intègre la dimension stratégique primordiale de cette activité pétrolière, on explique alors que le gouvernement, autant que les acteurs privés, cherchent à acquérir à tout prix une ressource qui confère richesse et pouvoir. La volonté de maintien de l’activité, quel qu’en soit le coût, amène les acteurs à adopter des attitudes très répressives envers tous ceux qui seraient susceptibles d’en compromettre la bonne marche.
Enfin, ajoutons que l’industrie pétrolière est une activité extractive, aussi est-elle particulièrement intrusive. On déplace le sol, les familles, les villages, et les acteurs de cet extraction, privés ou étatiques, ont une fâcheuse de tendance à adopter quelques raccourcis concernant la protection de l’environnement et des êtres humains. Seule une régulation forte de la part des états peut être susceptible de contrer les impacts de pareilles activités, et protéger les éventuelles victimes. Or, ceux-ci sont rarement désireux de remplir leur premier devoir d’Etat souverain, autrement dit protéger leurs pays, plutôt que percevoir leurs dividendes…
L’exemple qui est probablement le plus parlant est celui du delta du Niger, au Nigéria, décrit par le rapport d’Amnesty publié en 2009.
L’extraction pétrolière, mal contrôlée, voir totalement débridée, a littéralement dévasté la région du delta du Niger, noyant de pétrole l’une des plus grandes zones marécageuses du monde. Les zones de pêche et d’agriculture ont été sinistrées, ce qui constitue en soi une violation du Pacte relatif au Droit Economiques, Sociaux et Culturels de 1966. Privée de leurs sources de subsistance traditionnelle totalement empoisonnées, les populations du delta, qui baignent littéralement dans le pétrole, expriment leur colère sous diverses formes, plus ou moins violentes, et déclenchent l’inévitable répression du gouvernement. Le cas nigérien est une triste démonstration des cercles vicieux qu’enclenchent des activités pétrolières sans contrôle. Amnesty International dénonce cet état de fait dans sa campagne « Exigeons la dignité ».
Mais ne reste-t-il alors qu’à attendre le pic pétrolier, la mort du pétrole, pour espérer voir disparaitre ces situations ?
Concernant le pic pétrolier, notion très complexe s’il en est, Amnesty International n’a aucune expertise. En revanche, persister dans cette gestion proprement irresponsable n’est plus acceptable. Il faut prendre de toute urgence les mesures nécessaires. Si l’on se penche sur le cas du delta du Nigeria une nouvelle fois, la tâche ne se limite pas à une modification radicale de la gestion à venir – absolument vitale toutefois. Il y a tout un douloureux passé à considérer. D’une part est-il absolument primordial que les victimes de ces abus soient dédommagées, ce qui est la base du droit international. Dédommagés des dégâts matériels du la pollution, dédommagés des traumatismes physiques et psychologiques des conflits et des répressions. Et d’autre part, la place doit être faite à la justice ; Amnesty International s’implique fortement dans la lutte contre l’impunité des responsables et pour la réparation des victimes.
Qui d’entre les Etats dictatoriaux et les compagnies pétrolières sont les plus coupables de ces abus ?
Plusieurs responsabilités sont à considérer. La première est celle de l’Etat. Celui-ci est bien entendu tenu de respecter les lois, mais aussi de les faire respecter, et empêcher tout organisme qui tenterait de les violer. Or, dans ce domaine, l’échec du gouvernement actuel – et de ceux qui précédent – est patent. L’Etat, alléché par l’odeur des richesses de la rente pétrolière a eu tôt fait de se détourner de la population qui n’a bénéficié d’aucun protection. Une seconde responsabilité est à incomber aux compagnies présentes sur le terrain. Tout d’abord la compagnie nationale pétrolière nigérienne, la NNPC, mais aussi les compagnies occidentales et à plus fort raison Shell, le principal opérateur dans la région. N’oublions pas non plus la négligence volontaire des Etats Nigériens (le Nigéria est une fédération) qui n’ont manifesté qu’une très légère curiosité pour ce qui se passait sous leur gouvernement. Enfin, une part de la responsabilité revient aussi aux groupes armés qui dévastent encore un peu plus la région. Le MEND, principalement, a à son actif l’explosion de quelques oléoducs, qui ont recouvert de pétrole une région qui n’en a pas vraiment besoin, déclenchant ainsi des prises d’otages et des exécutions.
Amnesty International en appelle donc à la responsabilité de l’ensemble des acteurs de cette chaîne, rappelant que le delta du Niger, loin d’être un désert, abrite quelques 30 millions de personnes.
M. Perrin, vous présentez un profil particulier ; vous êtes à la fois directeur de rédaction de la revue Pétrole et Gaz Arabes et vice-président d’Amnesty International, dont vous êtes aussi l’ancien président. Avez-vous parfois ressenti des contradictions entre vos deux tâches ? Avez-vous parfois eu à faire des choix ?
Je ne ressens pas de réelle contradiction. Mon poste de directeur de rédaction est mon activité professionnelle, mon appartenance à Amnesty est une activité bénévole. En tant que journaliste, ma tâche est « seulement » de collecter et d’analyser des informations que je mets à la disposition de mes lecteurs. Si j’avais été tenu un poste à haute responsabilité dans une des compagnies pétrolières que j’ai déjà évoquées, il est fort probable que j’eusse eu à un faire un choix, peut être douloureux. Mais dans l’état actuel des choses, mon objectif et de suivre une actualité, de la comprendre et de la transmettre. Ce qui rend d’ailleurs mon travail au sein d’Amnesty intéressant, autant pour l’organisation que pour moi. Mes compétences en économie énergétiques sont d’autant plus mobilisées depuis que nous abordons le cas des excès des activités pétrolières.
Pourtant, un fait peut être interprété par l’humaniste qui y voit son coût humain, ou par l’économiste qui y lit les profits éventuels…
Dans l’activité d’un journaliste, on peut exprimer un certain nombre de choses. Toutefois, ma tâche reste d’établir une analyse au service du lecteur, et il n’est pas encore arrivé que ma conscience professionnelle se soit réellement heurtée à mon activité professionnelle. Je tiens néanmoins à signaler que je crois qu’il n’existe pas de personne totalement objective ; il y a toujours un biais personnel. En revanche, je crois en l’honnêteté intellectuelle. Et Amnesty International est d’une extrême rigueur intellectuelle dans son action et sa pensée.
Enfin, mon travail au sein de Pétrole et Gaz Arabes n’est pas si différent que mes responsabilités au sein d’Amnesty ; tout deux ne s’intéressent qu’aux faits.
Propos recueillis par Romain Leduc
SR : Camille Dumas et Noémi Carrique