AntiCor est née au lendemain du 21 avril 2002 autour d’une petite dizaine d’élus et de l’ancien juge d’instruction Éric Halphen. Son but est lutter contre la corruption à tous les niveaux, local comme national. Aujourd’hui forte de 1 000 adhérents, elle agit par le biais d’actions de plaidoyer comme des chartes éthiques et aussi en se constituant partie civile pour éviter l’étouffement d’affaires sensibles, comme celle dite « des sondages de l’Élysée » ou « l’affaire Guérini ». Son vice-président Éric Alt, magistrat et auteur du livre L’Esprit de corruption (Le Bord de l’Eau éd.) évalue pour Opinion Internationale les mesures de moralisation de la vie politique proposées par François Hollande et les mesures nécessaires pour lutter contre la corruption.
Comment AntiCor perçoit-elle les mesures de moralisation de la vie politique annoncée par le président Hollande ?
Nous avions présenté nos propositions à des conseillers techniques de Matignon l’année dernière. Mais rien n’était venu. Si les choses bougent enfin, c’est dans l’imprécision, l’impréparation et l’improvisation tout à la fois. Le texte a été rédigé avec une rapidité sidérante, sans aucune concertation. Les questions de transparence patrimoniale mobilisent énormément d’énergie. La transparence du patrimoine n’est pas une mauvaise chose, mais tout cela ne répond absolument pas aux questions soulevées par l’affaire Cahuzac.
La vraie réponse, c’est le contrôle, sa pertinence et sa bonne organisation. La commission pour la transparence financière de la vie politique existe depuis 1988 ! Mais ses moyens juridiques et humains sont si faibles qu’en 25 ans d’existence, aucune sanction n’a été prise ! Un texte a bien tenté d’y remédier en 2011, mais au départ il ne prévoyait pas de sanctions, suite aux protestations des parlementaires. Finalement, une amende de 30 000€ pour absence ou fausse déclaration a été rajoutée. À comparer avec les 600 000€ rapatriés par Jérôme Cahuzac.
« Le texte a été rédigé sans concertation, avec une rapidité sidérante »
Par ailleurs, l’affaire Cahuzac révèle aussi des conflits d’intérêt. Pourtant, des sujets comme la confiscation de la décision publique par les lobbys ou le passage du public au privé (ou « pantouflage ») sont au moins aussi importants. Le traitement de ces précurseurs de la corruption sont cruellement absent des propositions du gouvernement.
Quant à la création d’un parquet financier central, pourquoi pas s’il est vraiment indépendant. S’il peut traiter et ouvrir des dossier sensibles sans être entravé. Si le secret-défense est réformé, si le statut des policiers en charge d’enquêter est revu. Dans plusieurs affaires, des officiers de police judiciaire n’ont pas pu travailler normalement parce qu’ils savaient que leur carrière en souffrirait.
« Serge Dassault et Bernard Tapie ont grandement bénéficié du flou juridique sur la situation des élus chef d’entreprises traitant avec l’État »
Que pensez-vous de l’éventuelle incompatibilité entre l’exercice d’un mandat et certaines professions ?
Les activités d’audit, d’études et de conseil en stratégie sont la porte ouverte à beaucoup de dérives et devraient être interdites. Le statut des dirigeants d’entreprises amenés à traiter avec l’État baigne un grand flou juridique, dont Serge Dassault et Bernard Tapie ont largement profité.
Pour le reste, un avocat peut plaider quand il est député, mais il ne doit pas vendre son carnet d’adresses à un grand cabinet. Un médecin peut continuer à pratiquer, mais ne doit pas vendre sa qualité de médecin ou d’élu à des laboratoires. Ce n’est pas un problème d’incompatibilité, mais de conflit d’intérêts, de déontologie parlementaire et éventuellement de sanctions.
D’ailleurs, satisfaire cette exigence est assez simple. Une haute autorité de déontologie indépendante et impartiale, pouvant être saisie et s’autosaisir, sommer les élus de déclarer leurs intérêts, et sanctionner s’ils ne le font pas. Un déontologue au Parlement avec un statut bien défini pourrait être utile.
Du fait de leur nombre, les élus locaux sont plus susceptibles d’être touchés par des affaires de corruption. Pourtant les propositions de moralisation concernent surtout les ministres et parlementaires. Qu’en pensez-vous ?
Actuellement, les moyens de contrôle fonctionnent très mal. Le contrôle préfectoral de légalité des actes administratifs des élus locaux est tombé en désuétude. Or, il permettait aux préfets et aux élus de locaux d’échanger sur ce qu’ils est légal ou non. Même chose pour les marchés publics. Avant son démantèlement, la répression des fraudes (DGCCRF) siégeait dans les commissions d’appel d’offres. Aujourd’hui elle n’a plus les effectifs pour le faire. La mission interministérielle d’enquête sur les marchés (MIEM) est une coquille vide sans aucun personnel. Le service central de prévention de la corruption (SCPC) manque cruellement de personnel et de notoriété auprès des élus qu’il est chargé d’informer. Tout cela est très grave, car ces institutions devraient conseiller et dialoguer avec les élus pour prévenir la corruption.
La multiplication des partenariats public/privé en est une conséquence. Pour certaines collectivités territoriales, ce sont de véritables bombes à retardement. Aucune institution n’a pu fournir de réflexion globale sur les garde-fous nécessaires.
« Seule une loi FATCA à la française aurait pu éviter l’affaire Cahuzac »
Quelles mesures auraient permis d’éviter le scandale Cahuzac ?
Seul un équivalent de la loi FATCA aurait été efficace. Depuis janvier 2013, les États-Unis peuvent exiger que les banques dévoilent les avoirs à l’étranger des ressortissants américains. Celles qui refusent sont sanctionnées. la communication automatique d’informations entre administrations fiscales est un outil complémentaire assez proche.
On entend parfois que la corruption est plus faible qu’avant mais que les gens se font plus souvent prendre, créant un effet de loupe. Êtes-vous d’accord ?
Non. Au contraire, la corruption s’est démultipliée au fur et à mesure de l’internationalisation de la finance et de l’économie. Le rapport du sénateur Éric Bocquet évalue la fraude fiscale entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année. Selon Antoine Peillon, journaliste à La Croix, les avoirs français illégalement détenus à l’étranger totalisent 600 milliards d’euros. La situation est bien plus alarmante qu’il y a 20 ans, où l’on faisait face à une corruption locale et des financements médiocres de partis politiques.
L’affaire Cahuzac est celle d’un seul homme, mais elle révèle une certaine dégradation de la vie démocratique. On y répond par des lois et des institutions, mais il faut aussi réfléchir à comment le citoyen peut agir lui-même.
Propos recueillis par Yannick Le Bars