A la mi-avril, la projection du film américain « Django Unchained » a été soudainement arrêtée lors de sa Première chinoise. Les cinémas ont demandé aux spectateurs de partir en leur remboursant le billet. L’explication officielle a attribué la cause à une « panne technologique », mais tout le monde sait qu’a priori, c’est un coup urgent de censure. En effet, « l’esprit révolutionnaire » montré dans ce film pourrait avoir une influence sur la société chinoise. Pourtant, quelques mois auparavant, le réalisateur Quentin Tarantino avait déjà coupé des scènes « violentes » pour s’adapter à l’environnement politique en Chine. Cela a donc provoqué une nouvelle vague d’émeute dans l’opinion publique chinoise, suite à l’affaire de « Southern Weekly », où la censure et la liberté de culture se posaient déjà un grand débat social.
La censure en Chine, une longue histoire
La censure en Chine n’est pas apparue récemment. On trouve sa trace dans l’histoire monarchique depuis plus de deux mille ans, lorsque le peuple était strictement interdit de parler du régime. Même les poèmes qui faisaient une allusion éventuelle étaient considérés « antimonarchistes », et leurs auteurs se voyaient infliger des sanctions pénales importantes. Depuis la guerre civile, le parti communiste considère la censure comme un outil efficace de stabiliser le régime, d’éliminer les forces survivantes du parti nationaliste. L’abus de censure a entrainé des tragédies, dont la Révolution culturelle en 1966. D’innombrables œuvres artistiques ont été détruites et les artistes persécutés de façon cruelle, tout comme les lecteurs.
« Pourquoi est-ce que la censure l’emporte sur la liberté d’expression en Chine ? … Il faut prendre conscience de notre réalité : Un pays surpeuplé, et un peuple sous-éduqué » écrivait Yang Kuisong, rattaché au département culturel du parti communiste.
Après les années 1980, on constate un retrait de l’intervention gouvernementale dans tous les domaines. Cependant, la censure est restée et a évolué sous une forme plus modeste mais non moins puissante. Aujourd’hui, en Chine, pour sortir une publication, il faudrait passer trois étapes de censures : l’autocensure de l’auteur, l’examen du département culturel, et si la publication s’avère quand même « provocatrice », il y aura une punition et la pièce ne sera jamais publiée.
Des Chinois devenus maîtres dans l’art de contourner la censure
Néanmoins, la censure n’est pas toujours toute-puissante. Pour contourner la censure de la Chine continentale, des auteurs cherchent à publier leurs livres à Hong Kong ou Taiwan. Ils peuvent ainsi préserver l’intégrité de leurs œuvres, et les lecteurs du continent peuvent tout autant y avoir accès grâce à la contrebande. De plus en plus d’artistes changent de nationalité afin de travailler dans un environnement plus libre. Quand au journalisme, qui est davantage régional, nombreux sont les journalistes qui résistent et qui poussent le seuil de censure toujours plus loin – quand ils ne démissionnent pas directement pour manifester leur indignation.
Censure vs. grandes œuvres artistiques et culturelles
« La censure rend la culture inintéressante », ce dont sont conscients les artistes et spectateurs. « Avec l’esprit enchaîné, on n’arrive pas à écrire de bons livres » dit Han Han, un écrivain et bloggeur chinois mondialement connu. Lorsque les films passent sous la censure chinoise et coupent les scènes « sensibles », il ne reste pratiquement que 3/4 du film original. Cela s’applique également à d’autres productions culturelles : livres, séries télévisées, etc.
Or, personne ne connaît les critères de la censure. Il n’y a pas de loi précise dans ce domaine, et en l’occurrence la censure est elle-même anticonstitutionnelle. En effet, les articles de la Constitution chinoise énoncent que « Les citoyens chinois possèdent les droits à la liberté d’expression et à la liberté de publication » et « La création des artistes est protégée par la constitution. » En outre, ceux qui s’occupent de la censure n’étant pas des artistes, les œuvres des artistes sont à la merci des officiels du bureau de censure.
Malgré cette censure, il existe de bonnes productions culturelles venant de Chine. Les artistes chinois étaient souvent appréciés sous Mao Zedong ; et en 2012, le Prix Nobel de Littérature a été attribué à Mo Yan, un écrivain chinois contemporain. De plus, dans le domaine culturel et artistique, il n’y a pas de critère absolu pour la « bonne production ».
Ce dilemme se retrouve au niveau du gouvernement chinois. D’une part, au sens du « soft power », il souhaite sincèrement que les productions culturelles chinoises gagnent un statut important sur la scène mondiale ; d’autre part, il n’ose pas lâcher la censure par crainte de l’instabilité politique et sociale.