Des heurts ont eu lieu entre des salafistes et la police samedi après-midi dans la banlieue de Tunis. En cause, l’interdiction du congrès de l’organisation Ansar al-Chariâa qui devait avoir lieu à Kairouan dans le centre du pays. Réultat, plus de 200 personnes arrêtées, une quinzaine de blessées et un mort.
Ils étaient venus, ils étaient tous là ! Tous ? Enfin, presque ! Journalistes, opposants et policiers s’étaient donné rendez-vous à Kairouan pour ce qui devait être une rencontre à haute tension, celle des salafistes d’Ansar al-chariaâ. Mais les acteurs principaux du jour étaient, eux, aux abonnés absents. Les salafistes se sont retrouvés, à la surprise (presque) générale dans le quartier d’Ettadhamen, dans la banlieue ouest de Tunis. La journée d’hier, dimanche, fut donc un capharnaüm absolu, Twitter bouillonnant toute la journée, au rythme des événements.
Un mouvement illégal
Le feuilleton avait alimenté toute la semaine les médias tunisiens et la twittosphère. Il faut dire que le gouvernement avait tardé avant d’interdire le congrès de ce mouvement, qui signifie « partisans de la charia » en français. Ce n’est que vendredi 17 mai que le ministère de l’Intérieur s’était fendu d’un communiqué précisant : « Nous avons décidé d’interdire ce rassemblement en raison d’une violation de la loi et de la menace qu’il représente pour la sécurité et l’ordre publics. » Ansar al-chariaâ est en effet un mouvement illégal en Tunisie. Ni parti (ils ne veulent pas en faire la demande, car, précisent-ils, « l’autorisation, nous l’avons seulement de Dieu »), ni association, il fédère pourtant, depuis avril 2011, de nombreux sympathisants autour de son leader, Abou Iyadh. Ansar al-chariaâ devait donc tenir un meeting ce 19 mai et promettait de réunir 40 000 personnes.
Malgré l’annulation par le ministère de l’Intérieur, les journalistes avaient fait le déplacement à Kairouan. Un voyage pas toujours évident, comme le décrivait David Thomson, correspondant pour France 24 à Tunis, sur Twitter : « Au premier péage autoroute après Tunis (Mornag), tous les louages (taxis collectifs) sont fouillés… » Et de constater des « barrages policiers à l’entrée de Kairouan, les participants au meeting Ansar al-chariaâ sont stoppés par la police et refoulés vers Tunis. » Un rendez-vous sous haute tension, donc, pour lequel les policiers étaient mobilisés. Mais, alors que rendez-vous était donné à 15 heures aux abords de la grande mosquée de Kairouan, la surprise fut la tenue du rassemblement salafiste… à Ettadhamen, cité populaire à l’ouest de Tunis.
Un salafiste tué, 200 arrêtés
Toute la journée, des affrontements ont opposé des islamistes extrémistes – plus de 700, selon le ministère de l’Intérieur – aux forces de l’ordre dans ce quartier de la banlieue tunisoise. Les salafistes étaient armés, toujours selon le ministère, de « mélanges incendiaires, de projectiles et d’armes blanches. » Sur Twitter, commentant à live les affrontements, l’heure était parfois à l’ironie (« N’empêche ils ont de l’humour les salafs : fabriquer des Molotov à base de bouteilles de Fanta ! », s’amuse @Marwen), souvent à la désinvolture (« J’aimerais que le ministère de l’intérieur mette un peu plus de sérieux pour lutter contre la corruption de nos policiers ! », déplore @Tunisie). Les internautes dénoncent surtout que le Premier ministre, Ali Laârayedh, parti au Qatar, ait quitté le navire en plein naufrage.
L’arrestation de 200 salafistes, dont celle probable du porte-parole d’Ansar al-chariaâ, Seifeddine Raïs, et la mort de l’un d’entre eux (le 15e décès d’un salafiste dans des violences policières depuis la Révolution) n’a pas calmé la vindicte populaire. Dans son éditorial du jour, M’Hamed Ben Youssef, dans Tunis-Hebdo, affirme que « ce report du congrès d’Ansar al-chariaâ […] est une solution provisoire. » Il prévoit que celui-ci soit reporté après le Dialogue national. Et, dans ce contexte, précise-t-il : « Ou ça passe ou ça casse ! » L’éditorial de La Presse, lui, s’insurge : « Il est regrettable, inadmissible et inconcevable que la loi soit bafouée encore une fois. » Une situation jugée « d’autant plus inquiétante qu’elle intervient trois jour après le semblant de consensus » du congrès du Dialogue national.
Pendant ce temps…
Mêmes sons de cloche dans toute la presse électronique. Seuls quelques blogs sortent du lot et ouvrent le débat. Et si le problème était ailleurs ? Car pendant que tout le pays avait les yeux rivés sur l’arrestation de la Femen Amina, qui avait taggué le nom de son organisation sur le mur de la mosquée de Kairouan, Le blog Boukornine, un des blogs les plus connus en Tunisie, indiquait que, « alors que le peuple avait les yeux rivés vers Kairouan et la Cité Ettadhamen et que 99 % de l’actualité traitait de Ansar al-chariaâ, une info d’une extrême importance est passée inaperçue: Noureddine Bhiri en compagnie de l’élue nahdhaouie Yamina Zoghlami, ont annoncé un accord sur l’indemnisation des victimes de la dictature. » Un dossier épineux qui, comme le décrit le bloggeur, « comprendra l’indemnisation des bénéficiaires de l’amnistie générale, leur recrutement et leur homologation à la fonction publique. » Une information peu relayée, qui fait polémiquer, comme cette intervention du président Marzouki, qui s’est déclaré en faveur du port du niqab pour les étudiantes qui passent des examens.
Comme chaque lundi depuis la Révolution, en ouvrant leurs journaux, les Tunisiens se sont donc réveillés une fois de plus avec la gueule de bois.