Tunisie
09H34 - mardi 28 mai 2013

Christophe Deloire (RSF) : « la volonté de mainmise sur l’information est moindre en Tunisie qu’elle peut l’être en Egypte ou en Algérie. »

 

Christophe Deloire, Directeur Général de Reporters Sans Frontières était présent à Nantes pour le Festival des droits de l’homme. En marge du forum, il revient pour Opinion Internationale sur la situation en Tunisie et le regard de RSF sur la transition démocratique. Pour lui, s’il y a des progrès incontestables, il faut rester vigilant. Interview.

Christophe Deloire, Directeur Général de Reporters Sans Frontières

Christophe Deloire, Directeur général de Reporters Sans Frontières

Cette cinquième édition du Forum des droits de l’homme de Nantes articule droits de l’homme et développement durable. Quel lien Reporters sans Frontières effectue entre ces deux thèmes ?

Christophe Deloire : Il s’agit en premier lieu d’un forum sur les droits de l’homme et il est normal que Reporters Sans Frontières y participe. Nous ne défendons pas un intérêt catégoriel, nous défendons la liberté des journalistes et de l’information. En tant qu’organisation internationale on défend la mise en œuvre de la déclaration des doits de l’homme qui est au cœur de la mission de RSF.

Il se trouve que le thème de cette année est le développement Durable. On prétend que la liberté de l’information a des vertus en matière de développement des sociétés et de individus et de leurs capacités selon les termes d’Amartya Sen. Aujourd’hui s’affrontent des modèles de développement dans le monde et il est important de défendre les vertus d’un mode de développement démocratique.

Opinion Internationale s’investit beaucoup pour soutenir les acteurs de la transition démocratique en Tunisie. On estime qu’il y existe un potentiel démocratique plus important que ses voisins du Maghreb. Partagez-vous cette analyse ?

CD : Reporters Sans Frontières croit effectivement que une partie de l’avenir de la zone se déroule en Tunisie, c’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons ouvert un bureau à Tunis il y a deux ans. Il y a en Tunisie, une forme de modernité d’une partie de la société et on pense pouvoir y avoir de l’influence. Nous étions déjà très actifs sous Ben Ali, on y a défendu des gens très différents comme Moncef Marzouki qui à l ‘époque était proche de RSF, de même que l’ex-premier ministre Hamadi Jebali à une époque où les journalistes proches d’Ennahda étaient brimés par le pouvoir.

On peut porter aujourd’hui porter la même parole qu’autrefois, à savoir le pluralisme qui valait autant sous Ben Ali qu’aujourd’hui. C’est pour cette raison que Marzouki ou Ghannouchi nous ont reçu. La Tunisie le pays où il existe le plus de chances de mettre en place un système pluraliste. Il l’est aujourd’hui infiniment plus qu’à l’époque Benaliste même s’il y a de grandes déceptions. Le problème, c’est qu’il a fallu des mois et des mois pour que les décrets loi 115 (relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition, consacre notamment les droits des journalistes, interdit les restrictions à la circulation de l’information et protège les sources des journalistes et 116 (mise en place d’une Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle garantissant « la liberté de communication audiovisuelle ») soient appliqués, ils sont finalement assez satisfaisant du point de vue de la liberté de la presse. Finalement la HAICA (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle) a été crée il y a quelques semaines.

Il reste bien entendu  beaucoup à faire, le pouvoir formule des critiques à l’égard de certains journalistes considérés comme trop proches du pouvoir précédent, voudrait faire des listes noires… Pour RSF aujourd’hui, il y a deux aspects sur lesquels RSF souhaite faire reculer le gouvernement tunisien : sa prétention à vouloir nommer les dirigeants des médias, de ce point de vue on sera très vigilants sur le rôle de la HAICA et d’autre part, nous serons également très attentifs à ce que la mention d’atteinte au sacré ne figure pas dans la Constitution. Nous avons donc effectué une liste de préconisations à l’attention du gouvernement tunisien

De nombreux Tunisiens sont aujourd’hui déçus de la situation dans laquelle se trouve le pays. Ils estiment que peu de choses ont changé depuis le départ de Ben Ali et certains regrettent l’ancien président. Par contre, on peut estimer que l’un des acquis de la révolution concerne la liberté d’expression. Qu’en pensez-vous ?

CD : Il y a deux ans, RSF avait fait une campagne de communication sur le thème « libres, jusqu’à quand ? ». A l’époque, cela avait été considéré par les journalistes tunisiens comme excessif. Quand je suis retourné à Tunis à l’automne dernier, j’ai vu beaucoup de journalistes qui m’ont dit que notre message était peut-être prémonitoire. Donc il y a une inquiétude sincère des acteurs de l’information.

S’il y a une ouverture, le risque de retour en arrière est réel et il faut être vigilant. Mais, la volonté de mainmise sur l’information est moindre en Tunisie qu’elle peut l’être en Egypte ou en Algérie.

Propos recueillis par Elie Levaï

Rédacteur en chef