Skopje vient de s’offrir un nouveau visage. Coût du lifting pour la capitale de Macédoine : 207 millions d’euros. Une somme colossale pour ce pays de 2 millions d’habitants. Au-delà des ambitions touristiques affichées, le programme architectural « Skopje 2014 » est bien le révélateur du problème identitaire profond de la jeune république.
Colonnes antiques, arc de triomphe, statues gigantesques, à travers un plan qui ne compte pas moins de 80 projets architecturaux, Skopje ressuscite les figures de son panthéon national et affiche fièrement son glorieux passé. Point d’orgue de ce chantier pharaonique, l’érection d’une statue de 22 mètres qui met « en scelle » Alexandre le Grand. Le monument dont on dit qu’il est le plus haut des Balkans, est là pour rappeler au visiteur la nationalité du roi mythique…
Un relooking contesté
La ville de Skopje a vu disparaître l’essentiel de son patrimoine architectural lors du séisme de 1963. Le programme initié en 2008 prévoit notamment la reconstruction, à l’identique, des édifices détruits par le tremblement de terre. La forteresse de Skopje, remontée pierre par pierre, a été le premier monument à renaître du passé. Depuis, de nombreux chantiers ont été ouverts. Les monuments du tsar Samuel et de Justinien 1er viennnent notamment compléter cet ensemble.
Or, en cette période de crise économique, la construction d’édifices monumentaux n’est pas vraiment de rigueur en Europe. Quand les projets sont d’inspiration néo-classique c’est d’autant plus surprenant. Pourtant, loin d’être une anomalie, le programme architectural à l’origine de la transformation de Skopje, a bien atteint le but recherché. En plus d’attirer de nouveaux visiteurs, la Macédoine montre qu’elle peut s’émanciper de la tutelle culturelle de ses voisins.
Au-delà du style architectural – que d’aucuns qualifient de kitsch – c’est bien le message envoyé par Skopje qui pose problème. Entre nostalgie et affirmation identitaire, ce programme somptuaire essuie de nombreuses critiques. Vécue comme une provocation par son voisin Grec, l’affirmation identitaire et nationaliste du gouvernement Macédonien irrite également le gouvernement Bulgare. La jeune république Macédonienne qui tente de forcer le respect en convoquant l’Histoire, pourrait avoir choisi une voie qui la conduit à l’impasse.
Au carrefour des Balkans
Hellènes, Slaves, Byzantins, Bulgares et Ottomans ont tour à tour exercé une influence culturelle et politique sur ce territoire situé au cœur de la péninsule balkanique. Aujourd’hui encore, et malgré une sortie pacifique de la fédération d’ex-Yougoslavie en 1991, la Macédoine peine à faire reconnaître une identité propre.
Les Grecs au premier chef, contestent le nom que la petite république s’est choisie au lendemain de son indépendance. Arguant que le nom Macédoine est attaché à la Grèce, Athènes refuse de voir son voisin revendiquer l’héritage culturel et patrimonial du royaume d’Alexandre le Grand. Une intransigeance entendue par la communauté internationale qui, malgré des tentatives d’apaisement et de médiation a adopté l’appellation provisoire d’Ancienne République yougoslave de Macédoine. Une situation ubuesque qui ne fait que renforcer les attentes légitimes de reconnaissance exprimées par les Macédoniens.
L’horizon flou de l’intégration à l’Union Européenne
Pourtant, à trop vouloir flatter la fibre patriotique, la Macédoine pourrait bien voir l’horizon de son entrée dans l’Union Européenne s’éloigner encore. La demande d’adhésion accordée par l’Union en 2005, ne saura aboutir qu’avec le règlement des différends qui émaillent ses relations avec le voisinage. Car, outre le conflit historique qui l’oppose à la Grèce, la Macédoine vient de s’adjoindre l’irritation de la Bulgarie. En décembre dernier, Sofia a demandé le report des négociations d’entrée de la Macédoine, invoquant une instrumentalisation de leur histoire commune.
Avec un taux de chômage qui s’élève à près de 35% et une économie affaiblie par la crise mondiale, la Macédoine est également pressée par l’Europe de résoudre les problèmes plus concrets. Mais, prise dans un étau et cherchant à tout prix à gagner le respect de ses voisins, la Macédoine se tourne vers le passé et prend le risque de raviver des plaies encore mal refermées.