L’ONG Amnesty International alerte dans un rapport publié le 4 juin sur l’accroissement du nombre de personnes disparues au Mexique ces dernières années. Le phénomène, pourtant récurrent et systématisé, est amplement amoindri et passé sous silence par les autorités nationales en raison de l’implication des fonctionnaires d’Etat dans de nombreux cas de disparitions forcées.
Amnesty International, a publié cette semaine un rapport alarmant sur la disparition de personnes au Mexique. Intitulé « Confronting a nightmare : Disappearances in Mexico », le document fait état des nombreuses disparitions qui ont lieu dans le pays, des réponses légales et judiciaires apportées par l’Etat mexicain mais aussi de la situation dans laquelle se retrouvent les familles de victimes.
La guerre contre le trafic de drogue : une tragédie humaine
Selon des chiffres révélés en février 2013 par le Ministère de l’Intérieur mexicain et repris par Amnesty International dans son rapport, plus de 26 000 personnes ont disparu au Mexique entre 2006 et 2012. Si les chiffres fournis par le gouvernement mexicain ne sont pas suffisamment précis pour assurer que l’intégralité des cas de disparition recensés relève de motifs criminels, ces données mettent toutefois en lumière un phénomène de disparitions récurrent, systématisé et largement ignoré sous la présidence de Felipe Calderón.
Au pouvoir de décembre 2006 à décembre 2012, l’ancien Président et co-fondateur du Parti d’Action Nationale (PAN), Felipe Calderón, a pendant toute la durée de son mandat présidentiel mené une véritable « guerre contre le trafic de drogue ». Des milliers de militaires ont été envoyés sur l’ensemble du territoire national dans le but de reprendre le contrôle de territoires alors aux mains des cartels de drogue. Loin de démanteler les organisations criminelles, cette lutte contre le crime organisé et les narcotrafiquants a considérablement augmenté la violence dans le pays et, avec elle, les cas de violation des droits de l’homme.
Selon les statistiques officielles du gouvernement mexicain et les rapports d’ONG, plus de 95 000 personnes ont été tuées au cours du sexennat de l’ancien Président. Aucun événement similaire et d’une telle ampleur ne s’était produit sur le continent depuis les années 1980 et l’implacable répression des dictatures militaires. Ces chiffres terrifiants font de la période d’exercice de l’administration de Felipe Calderón, une des périodes des plus violentes de l’histoire du Mexique.
Les agents de l’Etat mexicain impliqués dans les cas de disparitions forcées
Human Rights Watch, considère quant à elle qu’il s’agit de la crise la plus sévère en matière de disparitions forcées ayant eu lieu en Amérique latine ces dernières décennies. L’accroissement des disparitions forcées, c’est-à-dire des disparitions perpétrées par des agents de l’Etat mexicain ou dans lesquelles ils ont été impliqués, est en effet une des cruelles particularités de cette situation.
S’il est encore impossible de réellement évaluer la part de responsabilité des fonctionnaires mexicains dans ces disparitions, il est pourtant certain que leur implication directe et indirecte a incité les autorités à fermer les yeux sur ces crimes voire à les ignorer. Les enquêtes judiciaires issues des plaintes déposées par les familles de victimes sont, quand elles ont lieu, incomplètes et inefficaces. Cette situation d’impunité presque totale induit non seulement une propagation du phénomène mais incite aussi les familles de victimes à prendre des risques considérables pour retrouver leurs parents disparus.
Se voyant refuser toute aide judiciaire, les familles de disparus entament fréquemment, seules ou accompagnées par les familles d’autres victimes, des associations locales ou des groupes de soutien, leurs propres recherches. Souvent intimidées et menacées, elles mettent pour cela leurs vies en péril et s’exposent elles-mêmes au danger de « disparaître ». Selon Amnesty International, les disparitions sont désormais devenues monnaies courantes au Mexique car en refusant de prendre au sérieux l’augmentation des signalements de disparition, l’Etat fédéral et les Etats fédérés ont en quelque sorte toléré le procédé et refusé d’y mettre un terme.
Pas d’impunité pour les disparitions
Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement mexicain du Président Enrique Peña Nieto a réalisé des efforts importants pour combattre les disparitions, souligne pourtant l’ONG britannique dans son rapport. Lia Limon, sous-secrétaire aux affaires juridiques et aux droits de l’homme auprès du Ministère de l’Intérieur, a ainsi annoncé en février dernier que la nouvelle administration mettrait en place une politique nationale en faveur des personnes disparues. Entre temps, les données sur les disparitions forcées ayant eu lieu sous la Présidence de Felipe Calderón ont été diffusées. Le gouvernement du nouveau Président s’est également engagé à créer une unité spéciale composé de policiers et d’agents de sécurité dans le but d’améliorer la recherche des victimes disparues et d’assurer que les responsables de ces crimes soient traduits en justice.
Toutefois, la violence n’a pas diminué depuis l’arrivée au pouvoir d’Enrique Peña Nieto et le gouvernement n’a toujours pas reconnu que certains de ses représentants aient pu jouer un rôle dans de nombreux cas de disparitions forcées.
Pour Amnesty International, le phénomène de disparitions est ainsi le principal défi se posant au nouveau gouvernement mexicain dans le domaine des droits de l’homme. L’ONG encourage le pays à observer les différentes recommandations et mesures formulées en 2011 par le groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDFI) pour prévenir et punir les disparitions. Il est aujourd’hui plus que nécessaire de « mettre fin à la crise des disparitions, retrouver la trace des victimes et amener les responsables présumés à rendre des comptes – qu’il s’agisse de criminels ou de représentants de l’Etat » explique Rupert Knox, spécialiste du Mexique à Amnesty International.