Affaiblie par plusieurs scandales dévoilés récemment, l’administration Obama part en croisade contre les lanceurs d’alerte. Alors que s’ouvre le procès du soldat Bradley Manning, les révélations d’Edward Snowden sur les programmes de surveillance d’une agence américaine de renseignements amorce un débat moral sur le statut de ces citoyens dissidents.
Ennemi public numéro 1
« Si vous faites du mal à l’Amérique, nous vous poursuivrons jusqu’au bout de la terre ». Prononcée à l’origine par le Vice-Président Joe Biden à l’intention d’Oussama Ben Laden, cette bravade dans la rhétorique américaine la plus classique à été reprise cette semaine par le Sénateur républicain Lindsey Graham, comme une mise en garde contre les agissements du lanceur d’alerte Edward Snowden. A l’instar de l’ancien ennemi public numéro 1, le jeune technicien informatique à l’origine des fuites de la National Security Agency (NSA), fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Héros ou traitre à la nation, la question brûle les lèvres de nombreux éditorialistes américains et pour cause, elle est au centre d’une véritable guerre morale et symbolique entre Washington et les défenseurs du droit de savoir.
Whistleblowers, une aura grandissante
L’administration Obama, affaiblie par une série de révélations gênantes (WikiLeaks, scandale de l’IRS, mise sur écoute des journalistes d’Associated Press…) cherche à limiter l’influence symbolique qu’exercent les lanceurs d’alerte sur la sphère publique. La théâtralité du feuilleton Julian Assange, les révélations sur le mauvais traitement de Bradley Manning et d’autres événements ont participé à amplifier l’aura qui entoure les whistleblowers, ou « lanceurs d’alerte ». Au Sénat, la Présidente du Comité de surveillance des agences de renseignements Diane Feinstein, explique que Snowden « ne devrait pas être considéré comme un whistleblower, car il a commis un acte de trahison ». Si ce dernier sera sans doute condamné pour avoir outrepassé ses droits d’accès aux informations classifiées, le Gouvernement devra pouvoir justifier moralement de sa condamnation. Un exercice politique périlleux tant le capital sympathie du jeune homme semble important : « je ne suis en aucun cas différent de vous », expliquait-il dimanche à la caméra du journaliste du Guardian Glenn Greenwald, « je n’ai aucune compétence particulière, je suis juste un de ces gars qui reste assis là, jour après jour, et qui voit tout ce qu’il se passe ».
« Faire le bien »
A 29 ans, Edward Snowden est un exemple d’humilité, de patriotisme et de réussite : sans diplômes, il veut rejoindre les forces spéciales américaines après le lycée mais y renonce pour cause de blessure, il entre alors à la NSA comme agent de gardiennage et gravit quelques échelons. Aujourd’hui, il n’est ni espion, ni analyste, mais technicien informatique chez Booz Allen Hamilton, un sous-traitant de la NSA sur l’archipel d’Hawaii. Un poste payé 200 000 dollars par an qu’il occupait encore la semaine dernière, avant de s’exiler à Hong Kong. Une destination qu’il justifie par la « forte tradition de liberté d’expression » de la région, mais qui constitue également le talon d’Achille du jeune homme. Outre l’accord d’extradition existant entre les Etats Unis et Hong Kong, c’est la portée symbolique du rapprochement avec la Chine, qui offre aux détracteurs de Snowden une opportunité unique de réorienter le débat dans une perspective manichéenne. Le journaliste du Guardian Michael White y voit l’expression la plus claire de la culture politique américaine, « imposant une victoire absolue du bien sur le mal et rendant tout compromis inenvisageable ». Cette vision des choses transparait dans l’analyse de Jeffrey Toobin, expert juridique pour CNN : « Hong Kong fait avant tout partie de la Chine, qui est, comme sait Snowden, un ennemi invétéré des Etats-Unis sur les questions des renseignements. (…) Il pensait faire le bien, sans aucun doute il a eu tort, (…) il n’est ni un héros, ni un whistleblower, c’est un être narcissique qui mérite d’aller en prison ».
De nouvelles révélations à venir ?
Snowden confie ne pas craindre la prison : « je ne suis pas ici pour échapper à la justice, je suis ici pour dénoncer un crime ». Un journaliste du Washington Post avec qui il est entré en contact il y a plusieurs mois a publié certains extraits de leur correspondance. Questionné sur la manière dont il comptait justifié la publication d’informations susceptibles d’aider les adversaires des Etats-Unis, Snowden répond : « peut-être suis-je naïf, (…) mais l’augmentation croissante des pouvoirs de surveillance est une telle menace pour la démocratie que je suis prêt à risquer ma vie et celle de ma famille pour cela ». Dans une interview accordée hier matin au South China Morning Post, Snowden explique que les Etats Unis ont déjà accès aux communications de milliers d’ordinateurs en Chine et il promet de nouvelles révélations à venir, « des révélations qui mettent les relations sino-américaines à l’épreuve », selon le quotidien China Daily. « Pendant des mois, Washington a accusé la Chine d’espionnage informatique, mais il apparaît qu’aux États-Unis la plus grande menace pesant sur le respect de la vie privée et les libertés individuelles est le pouvoir sans contrôle du gouvernement », explique Li Haidong, chercheur de l’Université chinoise des affaires étrangères, dans les colonnes du journal.
Attentisme à la Maison Blanche
Sondés en début de semaine par l’institut Gallup, les américains semblent partagés sur la moralité des agissements d’Edward Snowden. Cependant, ils rejettent en majorité le programme gouvernemental de surveillance des communications. Les projecteurs se tournent alors vers le Président. Alors qu’il avait immédiatement limogé le Directeur du fisc par intérim, Steven Miller, à la suite du scandale de l’IRS, Barack Obama semble plus réservé sur le sort de James Clapper, l’actuel Directeur des Renseignements, que plusieurs figures du Congrès souhaiteraient voir partir. Un nombre grandissant d’élus, comme Peter King de la commission du contre-terrorisme, demandent également l’extradition immédiate d’Edward Snowden vers les Etats-Unis. Une manoeuvre tout aussi délicate puisqu’un nouveau faux pas de Washington servirait la popularité de Snowden. L’an dernier, les révélations de l’ONU sur le mauvais traitement de Bradley Manning en détention, avaient fait du jeune homme le catalyseur de différents mouvements de contestation comme Occupy Wall Street. Manning, dont le procès s’est ouvert il y a quelques jours, risque la prison à perpétuité. Pour des questions de confidentialité, il lui est interdit de mentionner le contenu des documents qu’il a révélé, et par la même, de justifier ce pourquoi il les a publiés. En effet, un texte de loi appelé Espionnage Act empêche les prévenus d’évoquer devant la Cour toute information classifiée, y compris celles ayant déjà fuité.