L'avis des bêtes
17H45 - vendredi 21 juin 2013

Qui peut-on manger?

 

La Fondation Copernic organisait le 11 juin dernier une séance sur le thème « qui peut-on manger ? Les conditions de l’usage de l’animal comme aliment ». L’occasion de nous interroger sur ce paradoxe de notre société, qui se préoccupe toujours plus du bien-être des animaux, mais ferme les yeux sur les conditions de vie imposées aux animaux d’élevage.

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Marguerite Yourcenar écrivait « l’animal ne possède rien, sauf sa vie, que si souvent nous lui prenons ». Beaucoup de nos contemporains sont mal à l’aise avec cette idée qu’il a fallu tuer un animal pour garnir leur sandwich au jambon. Les choses se compliquent encore lorsqu’on leur apprend que l’animal a souffert toute sa (courte) vie des conditions d’élevage qu’on lui a imposé. Pourtant, rien y fait, nous mangeons de la viande. Corine Pelluchon, philosophe, et Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association L-214, ont tenté d ‘expliquer ce paradoxe.

 

Le décalage grandissant entre image d’Epinal et réalité

 

Pendant des siècles, on a nié aux animaux la capacité à ressentir de la douleur, des émotions ou encore des sentiments. Le « propre de l’homme » sert de justification à bien des souffrances que l’on leur fait subir. « On a gommé la continuité entre l’animalité et l’humanité, sinon comment expliquer qu’on continue à les faire souffrir » déclare Corine Pelluchon. Les hommes se mettent des œillères pour continuer à manger de la viande sans s’interroger sur ce que cela implique.

« La viande « label », qui est mise en avant par la publicité, sert de caution, même si elle n’est pas du tout représentative de l’élevage intensif actuel. » La réalité de l’élevage industriel est bien conforme à ce qu’en dit Brigitte Gothière : « Ce n’est plus l’élevage qui s’adapte aux animaux, mais les animaux qu’on adapte aux conditions d’élevage, au mépris de leurs normes éthologiques ». Coupe de bec pour les poules, coupe de queue pour les cochons ou encore éclatement des groupes sociaux chez les truies ou les vaches, voilà le lot quotidien des animaux que nous mangeons. « On n’aime pas penser que l’animal a été maltraité toute sa vie, mais le savoir ne change pas les comportements » ajoute Brigitte Gothière, qui déplore un « décalage entre les citoyens et les consommateurs : 80 % des gens sont contre l’élevage des poules en batterie, et pourtant 80% des poules sont élevées en batterie ».

 

Comment obtenir une meilleure considération pour l’animal ?

Alors comment améliorer le sort des animaux d’élevage ? En informant le consommateur, certes, mais cela ne suffit pas. « Il faut faire entrer la considération des intérêts des animaux dans le cœur des gens » suggère Corine Pelluchon, ensuite seulement la loi pourra évoluer. L’année dernière, Alain Bougrain-Dubourg, le président de la LPO, la Ligue pour la Protection des Oiseaux, avait tenté de faire modifier le statut de l’animal dans le code civil, où il est considéré comme un « bien meuble » c’est-à-dire comme une chose. C’est une réclamation fréquente de nombreux penseurs de la cause animale, qui souhaitent la création d’un statut à part pour l’animal dans le droit français, avec celui de l’homme et celui des biens. Sa demande a échoué. En cause selon Brigitte Gothière, « la toute puissance les lobbies de la chasse et des industriels de la viande » qui empêchent les hommes politiques, de gauche comme de droite, de prendre des décisions en faveur de l’animal.

Le durcissement des réglementations européennes sur le respect du bien-être animal est un levier d’action. « Mais les progrès sont lents et les règlements actuels ne sont déjà pas respectés en France, faute de sanctions dissuasives » rappelle la cofondatrice de L-214.

Dernier espoir, le boycott des consommateurs : en Italie, suite à l’arrêt de la vente d’œufs de poules élevées en batterie par une chaîne de supermarchés, la part de poules élevées en cage est passée de 80 à 58%. « Le végétarisme civique et militant, qui permet de ne pas se rendre complice des conditions de vie et d’abattage que subissent les animaux », prôné par les deux intervenantes, est une autre forme de boycott qui semble séduire de plus en plus de nos concitoyens.

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