Il y a un an, quasiment jour pour jour, Julian Assange se réfugiait à l’ambassade d’Equateur au Royaume-Uni et déposait une demande d’asile. Aujourd’hui, le gouvernement de Quito confirme avoir reçu une requête similaire de la part d’Edward Snowden. Nouvelle occasion pour le Président Correa de se dresser face à Washington, qui tente de rapatrier ces deux cyber-dissidents.
Pérégrinations
Le technicien informatique d’Hawaii, recherché pour avoir divulgué des informations classifiées sur les programmes de surveillance du gouvernement américain, a quitté Hong-Kong pour Moscou dimanche. Alors que circulaient des rumeurs sur son potentiel envol pour le Venezuela, par Cuba, c’est finalement vers l’Equateur qu’Edward Snowden envisage de partir. Plus tôt aujourd’hui, le Ministre des Affaires Etrangères du pays a levé le voile sur les ambitions du jeune homme, en confirmant avoir reçu de sa part une demande d’asile. Hasard du calendrier, Julian Assange fêtait la semaine dernière les un an de son propre dépôt de requête auprès de l’ambassade d’Equateur au Royaume-Uni. Aujourd’hui, le monde entier a une nouvelle fois les yeux rivés sur ce petit pays d’Amérique du Sud, et le gouvernement de Quito entend saisir cette chance pour démontrer une fois encore son insubordination au géant américain.
Les ennemis de mes ennemis…
Pour échapper à une extradition vers la Suède, où il est accusé de viol, puis à un probable transfert vers les Etats-Unis, où il encourt la prison à perpétuité, Julian Assange a longtemps cherché la protection d’un pays tiers. L’Equateur, qui tente de marquer son indépendance face aux Etats-Unis, trouve un avantage politique à couvrir la proie de Washington.
Le Huffington Post souligne que l’Equateur a déjà établi plusieurs traités commerciaux avec les adversaires historiques des Etats-Unis, comme l’Iran, Cuba et le Venezuela. Le pays est également membre de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques, une organisation politique et économique très critique à l’égard de l’impérialisme américain. « En s’engageant dans une confrontation diplomatique sur-médiatisée avec le Royaume-Uni, Rafael Correa espérait bien impressionner les voisins socialistes d’Amérique du Sud et gagner en influence dans la région », précise le Figaro au sujet de l’affaire Assange. Depuis plusieurs années, le Président équatorien multiplie les bravades : lorsque Washington a cherché à obtenir la prolongation d’une base militaire en Equateur en 2007, ce dernier leur a répondu « qu’il n’y avait aucun problème, à condition que les Etats-Unis autorisent l’Equateur à ouvrir une base militaire en Floride », rappelle le Monde. Une relation qui rend difficile la coopération juridique entre les deux Etats.
Mauvais élève de la liberté de la presse
Ce matin, le ministre des affaires étrangères équatorien a tenu à préciser que les enjeux politiques n’entreraient pas en compte dans la décision qui sera rendue quant à la demande d’asile d’Edward Snowden. « Il s’agit d’une question de liberté d’expression », a-t-il ajouté. Mais alors que Quito tente de s’imposer comme « défenseur des défenseurs de la transparence », plusieurs rapports d’associations viennent saper les efforts symboliques du gouvernement.
Parmi les dix pays les moins respectueux de la liberté de la presse dans le monde selon le CPJ (Committee to Protect Journalists), l’Equateur a fait fermer 11 radios privées, interdit les reportages politiques 90 jours avant les élections et forcé 3 journalistes à l’exil l’an passé. Un choix qui décrédibilise les ambitions morales de Snowden et que plusieurs officiels américains se sont empressés de dénoncer : « son refus de condamner de tels régimes prouve que les véritables motivations de Snowden sont de mettre en danger la sécurité nationale des Etats-Unis, plutôt que de promouvoir la liberté d’expression et le respect des droits sur Internet », confie un haut responsable de l’administration Obama, interrogé par le Guardian.
WikiLeaks, qui accompagne Snowden dans les démarches d’asile, justifie difficilement cette contradiction : « les critiques exagèrent toujours la situation en Amérique du Sud » (…) « nous pourrions d’ailleurs condamner les manquements à la liberté de la presse et les lois sur les médias dans la plupart des pays du monde », explique le porte-parole de l’organisation, Kristinn Hrafnsson, aux caméras d’ABC Australia.
La Maison Blanche monte le ton
Devenus des pièces majeures de la diplomatie internationale, les « whistleblowers » en cavale mettent à l’épreuve les relations entre Etats. Alors que des doutes subsistent sur la position actuelle d’Edward Snowden, Washington demande fermement à Moscou de maintenir le fugitif sur son territoire et de le remettre aux autorités américaines. Caitlin Hayden, la porte-parole en chef de la National Security Agency, l’agence gouvernementale victime des fuites, s’est exprimée ce matin : « étant donnée notre intense collaboration lors des attentats de Boston et nos expériences de coopérations avec les forces de l’ordre russes – y compris pour la remise de nombreux criminels sur demande du Kremlin – nous attendons du Gouvernement qu’il étudie toutes les options disponibles pour renvoyer M. Snowden devant la justice américaine, afin qu’il soit jugé pour les crimes qu’il a commis ».
Le problème est que personne n’a vu Snowden quitter l’avion de la compagnie Aéroflot, dans lequel il est monté à Hong-Kong. Enregistré sur le vol, ce dernier ne s’est pourtant pas présenté à la vérification des passeports par la douane russe, après l’atterrissage. Certains voyageurs disent l’avoir vu prendre ses bagages en cabine et rejoindre, sur le tarmac, une voiture noire arborant un drapeau équatorien. Ainsi, qu’il soit à l’aéroport de Moscou ou sous protection diplomatique, « les autorités russes ne peuvent rien contre Snowden », explique Vladimir Lukin, médiateur aux Affaires Etrangères à la Douma, interviewé par l’agence Interfax.
Quelques jours plutôt, Hong Kong avait rejeté au dernier moment la demande d’extradition de Snowden formulée par les Etats-Unis, au nom d’un vice de procédure. En visite en Inde ce lundi, le vice-Président américain John Kerry a exprimé sa frustration face à l’attentisme des gouvernements chinois et russe : « il serait extrêmement troublant d’apprendre, vous pensez bien, que la Chine et la Russie aient, en totale connaissance de cause, ignoré nos demandes d’extradition et ainsi enfreint les règles de droit les plus élémentaires… ».