Les 2 et 3 septembre à Paris, un colloque international devrait permettre d’approfondir les politiques mises en œuvre en France contre les violences faites aux femmes. Entretien exclusif avec la ministre des droits des femmes et porte-parole du gouvernement français.
Opinion Internationale : Madame la ministre, vous présidez les 2 et 3 septembre un colloque international sur les violences faites aux femmes. Vous rendez publiques les conclusions d’une étude internationale inédite de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Comment se situe la France dans le monde en matière de violences faites aux femmes ?
Najat Vallaud-Belkacem : pour la première fois, nous disposons d’une étude d’ensemble qui démontre combien les violences conjugales et les violences sexuelles sont une réalité de santé publique partout dans le monde : a l’échelle du monde, une femme sur 3 en est ou en a été victime. L’OMS parle d’un « mal endémique ». La France, si on la compare à ses voisins européens, se situe dans la « moyenne ». Des pays ont mis en place des politiques publiques plus tôt que nous : dès 2005, l’Espagne adoptait une loi qui faisait date en la matière. En France comme ailleurs, on estime qu’une femme sur 10 seulement porte plainte, en France comme ailleurs, ces violences touchent toutes les couches sociales, et pas seulement les plus précaires. En France comme ailleurs, il nous faut poursuivre les auteurs de telles violences, protéger toujours plus les victimes, mais aussi prévenir, sensibiliser, éduquer et briser la loi du silence. Ce sera notamment l’objet de la loi que je présente au parlement dans dix jours. Il nous faut aussi absolument éviter la récidive, notamment par un suivi adapté des auteurs et de véritables soins psychologiques aux victimes. C’est l’objet du colloque de lundi.
La rentrée politique en France est accaparée par le projet de réforme des retraites dont vous avez souligné qu’il rectifie, selon vous, les inégalités des femmes face à la retraite. Mais on a peu parlé de l’enjeu « femmes » de l’autre grand projet, en cours d’arbitrage : la réforme de la politique pénale, la probable création d’une peine de probation et la suppression des peines planchers. N’est ce pas aux auteurs de crimes sexuels et de violences contre des femmes que ces innovations risquent d’être les plus difficiles à appliquer ?
Parmi les nouvelles procédures que j’ai souhaité introduire dans le fonctionnement de l’Etat (la nomination d’un haut fonctionnaire dans chaque ministère dédié aux droits des femmes, la tenue de conférences annuelles sur l’égalité, la sensibilisation des ministres à l’égalité hommes femmes…), chaque projet de loi doit désormais passer en amont de son adoption au crible d’une étude d’impact sur les droits des femmes. Nous serons particulièrement vigilants quand on connaît l’ampleur du nombre de détenus condamnés pour violences sexuelles.
Vous aimez à parler d’une diplomatie des droits des femmes ? Que voulez-vous dire par là ?
Avec le président de la République, nous entendons que la France soit en première ligne de la promotion des droits des femmes partout dans le monde, surtout lorsqu’on constate les menaces de recul que des changements politiques majeurs entraînent ici et là. Dans les grands rendez-vous internationaux, et plus particulièrement aux Nations unies, mais aussi au sein de l’Organisation Internationale de la Francophonie, ou encore de l’Union pour la Méditerrannée (UPM), les droits des femmes sont devenus pour nous un combat prioritaire et ambitieux. Ainsi nous accueillerons a Paris la prochaine réunion de l’UPM les 11 et 12 septembre précisément sur ce sujet. La France veut promouvoir une euro-Méditerranée de projets : nous avons par exemple signé – initiative inédite – un partenariat « droits des femmes » avec le Maroc.
Le 8 mars dernier, vous lanciez la campagne « le 8 mars, c’est toute l’année ». Alors, à mi-chemin de cette année d’action, pouvez-vous dire que le 8 mars, c’est vraiment toute l’année ?
Une de mes grandes satisfactions est de voir que chaque jour de nouvelles initiatives sont prises pour promouvoir les droits des femmes. Pour l’égalité, contre les violences, la première priorité est qu’on en parle. Et cette campagne semble porter ses fruits.
Vous avez beaucoup légiféré depuis votre arrivée au pouvoir (loi contre le harcèlement sexuel, transposition de directives européennes, projet de loi pour l’égalité…). Pensez-vous que vous pourrez changer la situation des femmes en un quinquennat ?
Certains changements de comportement, liés à l’éducation notamment, mettront nécessairement plus de temps et l’on pourra mieux évaluer dans 7 à 10 ans les effets plus profonds de notre action. Mais la décision politique peut changer les choses à court terme : je prendrai l’exemple de la loi de 2011 qui a déjà permis de porter le nombre de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises de 15 à 20% en quelques années et, je l’espère d’ici 2017, à 40%.
Nous nous sommes aussi donnés quelques objectifs précis : seuls 30% des créateurs ou repreneurs d’entreprises sont des femmes. Nous voulons atteindre les 40% d’ici 2017. La réforme du congé parental doit porter le nombre de pères qui font une pause professionnelle pour accueillir leur nouveau-né de 18.000 aujourd’hui à 100.000 d’ici 4 ans.
Ce sujet des pères et de la façon dont ils peuvent contribuer, dans leur propre intérêt qui plus est, à la réalisation de l’égalité hommes femmes est pour moi essentiel. En effet, si les femmes ont fortement investi le marché du travail ces dernières décennies, les hommes sont loin d’avoir autant investi la vie domestique et l’éducation des enfants, condition pourtant d’une vraie égalité. A défaut, l’incontournable double journée continuera à s’imposer aux femmes, sommées de concilier seules ces deux vies : cela les épuise et les tiendra à l’écart d’opportunités professionnelles. Eh bien, le rééquilibrage du foyer, apres celui du monde du travail, est l’un de nos plus grands défis. Beaucoup viendra de l’évolution des mentalités mais les politiques publiques ont le pouvoir de faciliter et d’inciter positivement. C’est le sens de notre réforme du congé parental.
Citez-moi deux hommes exemplaires du combat pour les droits des femmes, un Français, un acteur international.
Plusieurs noms me viennent à l’esprit mais je citerai le cinéaste Patric Jean qui, avec le film « la domination masculine » a offert au public une prise de conscience salutaire. Et je pense à Ban Kii-Moon que j’ai trouvé très sensible aux droits des femmes ou à la lutte contre l’homophobie.
Propos recueillis par Michel Taube