Une amnistie des auteurs de violences politiques de ces dernières années conduira-t-elle la Thaïlande vers la réconciliation nationale ? Ou fera-t-elle le lit de l’impunité des coupables, tout en limitant l’accès à la justice des victimes et en faisant le jeu de certains partis politiques ? C’est la question que se posent les Thaïlandais, tandis que le Parlement discute d’un projet de loi d’amnistie et que le gouvernement prépare un forum sur les réformes pour la réconciliation nationale qui fait l’objet de critiques et de soupçons.
Dans un climat de critiques et de manifestations, l’Assemblée nationale thaïlandaise a approuvé, le 8 août dernier, en première lecture, un projet de loi d’amnistie pour ceux qui ont participé aux violences politiques qui ont secoué le pays à plusieurs reprises depuis 2006, notamment lorsqu’un coup d’état militaire a renversé le gouvernement du premier ministre Thaksin Shinawatra.
Depuis ce coup d’Etat, la Thaïlande a été le théâtre de soulèvements fréquents des ‘chemises rouges’, partisans de Thaksin, et des ‘chemises jaunes’, royalistes anti-Thaksin. Le bilan a été particulièrement lourd en 2010, lorsque les affrontements entre l’armée et les ‘chemises rouges’ ont fait plus de 90 morts et 2000 blessés en moins de trois mois.
L’amnistie serait un premier pas vers la réconciliation nationale après de tels événements, selon le parti du premier ministre Yingluck Shinawatra, soeur de Thaksin. Ce dernier est en exil volontaire depuis 2006, pour échapper à une condamnation pour corruption.
Derrière l’amnistie, l’impunité ?
Après la première approbation, le projet d’amnistie a encore un long itinéraire législatif, entre assemblée et sénat, avant de devenir loi ; mais pour l’heure, plutôt que de réunir, il a déjà attisé les divisions.
L’opposition craint qu’il conduise à terme au retour en Thaïlande de Thaksin – bien que la version actuelle du texte exclue de l’amnistie les leaders politiques. De leur côté, l’ONU et l’ONG Human Rights Watch s’inquiètent du fait que la mesure puisse conduire à la remise en liberté de ceux qui ont commis des crimes graves pendant les soulèvements.
« Poursuivre en justice les responsables de violations des droits, qu’ils soient dans un camp ou dans l’autre, est essentiel pour la promotion des droits humains, pour l’Etat de droit et pour une réconciliation durable en Thaïlande, » a déclaré Human Rights Watch dans un communiqué de presse.
Cécile Pouilly, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a appelé le gouvernement thaïlandais à s’assurer que tous les responsables de violations de droits humains répondent de leurs actes, et à agir sur la base des recommandations de la Commission Vérité et Réconciliation thaïlandaise.
Cette dernière, dans son rapport final rendu public en septembre 2012 à l’issue de deux ans de travaux, a exhorté à la plus grande prudence dans la discussion de toute proposition d’amnistie.
Une amnistie appliquée sans les conditions et les distinctions nécessaires risquerait de priver les victimes d’accès à la justice et d’encourager une culture de l’impunité. Les compensations financières accordées aux victimes par le premier ministre Yingluck Shinawatra ont été vues par certains comme une invitation à se contenter de ce type de réparation et à renoncer à la recherche de la vérité des faits.
« Pendant des décennies en Thaïlande, le concept de ‘réconciliation’ a été promu non pas pour réunir des communautés, mais pour éviter à des personnages politiques puissants et à des chefs militaires de devoir rendre compte de leurs méfaits, » avait commenté Human Rights Watch en 2012.
La voie du dialogue
Parmi les moyens à mettre en œuvre pour avancer vers une réconciliation durable, le rapport de la Commission recommande la création d’espaces publics de dialogue et d’échange sur le sujet.
Dans cette perspective, le gouvernement thaïlandais ouvrira, le 2 septembre prochain, un forum intitulé « Unis pour le futur, apprenons chacun de l’expérience de l’autre », qui vise à discuter de possibles réformes pour la réconciliation nationale avec des personnalités thaïlandaises et étrangères, dont l’ex-premier ministre britannique Tony Blair et l’experte en justice transitionnelle Priscilla Hayner.
Mais l’initiative est déjà tombée sous le feu des critiques de l’opposition, qui mettent en doute la volonté réelle de réforme du premier ministre, et voient dans ce forum une tactique pour faire passer des amendements constitutionnels et la loi sur l’amnistie, en ouvrant la porte au retour de Thaksin.
Par ailleurs, dans les pages du Bangkok Post, des opinionistes se plaignent de l’état du débat politique, polarisé autour de la figure de Thaksin, ce qui semble miner toute tentative de réforme et de réunification.