Judith Jakubowicz, coordinatrice générale de Convergences, nous a accordé un entretien à l’occasion du forum qui se tient à Paris. Elle plaide pour une plus grande inclusion des acteurs de la société civile dans l’élaboration des politiques de demain.
Nous sommes à 1000 jours des échéances de 2015. Quels sont les objectifs de cette 6è édition au regard des objectifs initialement fixés à Convergence ?
Le fil rouge de cette édition est de penser à l’après 2015. Notre objectif étant d’arriver à dessiner le monde que nous souhaitons. Pour cela, nous nous appuyons sur plusieurs expertises, dont un groupe de personnalités de haut niveau, ainsi que Jean-Michel Sévérino, président de Convergences. Ils nous diront quelles sont leurs recommandations pour atteindre les objectifs de développement, au travers de la consultation de la société civile qui s’est faite durant toute l’année 2013, et grâce à un travail de synthèse.
Aujourd’hui, face aux défis environnementaux et sociaux auxquels notre planète et nous-même sommes confrontés, d’autres acteurs doivent prendre place dans cette co-construction du bien commun. Cela doit cesser d’être une construction qui relève uniquement de l’Etat. C’est pourquoi, associations, universitaires, chercheurs, entreprises classiques, entreprises sociales et ONG doivent s’inscrire dans une logique de co-construction et travailler ensemble. Le forum Convergences est donc également l’occasion de les réunir afin d’aller plus loin dans la résolution de ces problématiques de développement.
• On constate un recul de la très grande pauvreté dans le monde, généralement attribuée au capitalisme. Dès lors, quelle est la part attribuée aux acteurs de l’ESS ?
Notre système économique présente des failles. Néanmoins, l’objectif est de structurer une croissance inclusive et durable, que le capitalisme peut également permettre. Je pense donc que le capitalisme a un rôle à jouer dans cette réduction des inégalités. Mais son incidence sera d’autant plus forte s’il tient compte de ses parties prenantes, et pas uniquement de son client final. Aujourd’hui, un acteur privé qui souhaite gagner de l’argent et faire du profit ne peut faire l’impasse sur la prise en compte des acteurs avec lesquels il travaille. Sans quoi son business risque d’être menacé. En cette période de crise, il est manifeste que si les entreprises souhaitent être pérennes et engagées sur du long terme, elles ont besoin d’être respectées par leurs parties prenantes, mais également par leurs clients. En B to C, le client a envie que son produit ainsi que sa chaîne de production soient propres.
• Le PDG de la plus grosse entreprise française, Total, sera présent, mais le Président de la République, lui, sera absent. Pourquoi ?
Cette année, le forum est placé sous le haut patronage de François Hollande, ce qui atteste une reconnaissance de la part de la Présidence de la République. Son absence ne signifie pas un désintérêt face à ces thématiques-là. D’ailleurs, plusieurs ministres seront présents, qu’il s’agisse de Pascal Canfin, de Benoît Hamon ou de Fleur Pellerin, ce qui témoigne malgré tout un fort intérêt du gouvernement.
• Dans les problématiques de lutte contre la pauvreté, est-ce que les entreprises privées ne prennent pas le dessus sur le monde politique ?
La Caisse des Dépôts, l’Agence Française du Développement, la Mairie de Paris sont présentes et nous soutiennent, notamment financièrement. Grâce à la Mairie de Paris, nous disposons de locaux au sein du Palais Brongniart. Je ne pense pas que les politiques s’absentent du débat, mais leur position aujourd’hui n’est plus aussi évidente, tandis que les acteurs économiques montrent, en se positionnant sur ces sujets, qu’ils sont également concernés. D’ailleurs, la présence de trois ministres (sur cinq annoncés au départ), témoigne que les politiques souhaitent malgré tout s’engager.
• Avez-vous un coup de cœur pour une initiative qui symboliserait selon vous les valeurs de Convergences ?
Nous avons lancé des prix Convergences, qui représentent les meilleurs partenariats public / privé / solidaire. L’objectif de ces prix étant de valoriser les partenariats entre acteurs de la solidarité et acteurs privés et/ou publics. Par exemple, sont primés cette année en tant que nominés, des prix Convergences Microdon, qui travaille avec Franprix. Son intérêt n’étant pas de servir un utilisateur final en premier lieu mais de diversifier les sources de levées de fonds. En l’occurrence, Microdon travaille avec Franprix pour permettre l’arrondi en caisse, qui est ensuite reversé à une association locale, identifiée par Microdon et Franprix. En s’associant comme partenaire, Franprix valorise l’initiative de Microdon, qui met en place le dispositif et favorise le lien avec les associations locales.
Pour reprendre les termes d’une des conférences du Forum, quelle est votre vision de l’après 2015 ? Quel monde voulez-vous ?
Je souhaite un monde plus équitable, plus respectueux de l’environnement, qui remette l’Humain au cœur de ces préoccupations. Que la recherche du profit ne soit plus un but en soi, mais qu’elle vienne servir une cause impactante d’un point de vue environnemental ou social. Sur notre planète, un cinquième de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Ce que nous pouvons tous souhaiter, c’est une vie digne, c’est-à-dire avoir accès à des toilettes, de l’eau, une alimentation nutritive si ce n’est variée, mais également avoir accès à l’emploi.
Vous ne parlez pas de liberté ?
La dignité concerne également la liberté. Je n’ai pas mentionné les conflits, mais de nombreux pays subissent également des catastrophes naturelles. Comme on dit « même au paradis il restera des pauvres », ce qui signifie qu’il n’y a pas de monde idéal, ne soyons pas naïfs. Mais je souhaite qu’on s’oriente vers un monde moins dramatique qu’aujourd’hui.
Propos recueillis par Amélie Cornu et Michel Taube