Les Roms deviennent un sujet de préoccupation majeur chez les Français. Selon un sondage Harris interactive pour Valeurs Actuelles publié au mois d’août, 73% des Français se déclarent préoccupés par la présence de Roms en France. A la veille des élections municipales et européennes, le sujet devient aussi prégnant que le chômage par exemple. Au vu de la qualité du débat et des dérives qu’il entraîne, il n’est pas certain que cela puisse améliorer la situation des Roms. Alors que des réponses européennes existent.
La France accueille aujourd’hui environ 20 000 Roms, originaires principalement de Roumanie et Bulgarie, qui vivent – illégalement – sur notre territoire. Ce chiffre serait à peu près stable depuis une dizaine d’années. A l’approche des élections municipales, les Roms sont victimes d’exploitation politicienne car la droite comme la gauche estiment que le sujet peut leur être profitable si tant est qu’ils se rangent du côté des citoyens qui s’estiment « victimes » de la présence des Roms. Signe de l’importance du sujet dans la campagne municipale qui s’annonce, ce sondage paru dans LyonMag, ce mois-ci, où 42% des Lyonnais estiment que le renforcement du traitement de la question des Roms est prioritaire !
Dans ce dossier, il y a les considérations politiciennes nationales. Et puis il y a la réalité du dossier qui ne peut se traiter qu’au niveau européen.
Retour sur le discours de Grenoble de 2010
Revenons un peu en arrière. On pensait cette polémique n’être que le fruit de l’extrême droite et d’une droite populiste. Rappel historique. Nous sommes en juillet 2010, Nicolas Sarkozy prononce un discours très ferme sur la sécurité et l’immigration, suite à des émeutes urbaines émanant notamment de membres des Gens du voyage et des policiers. A cette occasion, le président fait un amalgame entre gens du voyage (nomades français) et Roms (populations immigrées essentiellement issues de Roumanie et de Bulgarie mais principalement sédentaires). Parmi ses propositions d’alors, déchoir de la nationalité « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ». Nicolas Sarkozy demande aussi le démantèlement des « implantations sauvages de campements de Roms ». Cette annonce avait suscité un grand émoi en France mais aussi au sein de la Commission européenne car les Roms, étant des citoyens européens, ont le droit de circuler librement dans un délai qui ne doit pas excéder 3 mois. Au-delà, ils doivent justifier leur présence sur le territoire d’un Etat membre à condition de subvenir à leurs besoins.
La gauche mène la même politique
A cette époque, la gauche s’était indignée et promit qu’elle appliquerait une politique différente si elle revenait au pouvoir. En avril 2012, avant son élection, François Hollande déclarait : « Je considère essentiel d’éviter de mettre sur les routes des populations ultraprécaires. Je souhaite que, lorsqu’un campement insalubre est démantelé, des solutions alternatives soient proposées. »
Force est de constater que ces solutions alternatives sont loin d’être une réalité aujourd’hui. C’est en tous cas le constat que dresse Amnesty International, qui a rendu public un rapport mercredi 25 septembre. Pourtant, une circulaire interministérielle « relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites » avait été signée en août 2012 par le gouvernement. Elle était censée améliorer la concertation et limiter les expulsions mais en réalité, elle « n’a pas empêché leur poursuite ». Seule l’aide au retour a été diminuée. Jusqu’alors, la France versait 300 euros par adulte et 100 euros par enfant à chaque expulsion. Ce dispositif n’a pas été convaincant car les mêmes familles expulsées revenaient quelques mois plus tard. Cette aide est désormais de 50 euros par adulte et 30 euros par enfant.
Manuel Valls, actuel ministre de l’intérieur, a donc créé la polémique ces derniers jours en affirmant que « les Roms devaient être reconduits à la frontière et que la France n’avait pas vocation à accueillir ces populations ».
Surenchère politicienne à la veille des municipales
Outre le démantèlement des camps, certains élus se livrent à une surenchère politique. L’été y a évidemment été propice. Le 14 juillet dernier, Christian Estrosi, député UMP des Alpes maritimes, proposait un « guide pratique » à destination des maires de France, visant à la fois les Roms et les gens du voyage, et peu importe si ces derniers sont Français. Ces derniers jours, on a entendu Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate UMP à la mairie de Paris et Rachida Dati, maire du 7è arrondissement, évoquer un « harcèlement des roms ». Quant à Anne Hidalgo, son adversaire, interrogée sur le sujet, elle insistait sur le fait que « Paris ne pouvait pas être un campement géant ». Enfin, cela conduit à des dérives comme les propos de Jean-Marie Le Pen qui qualifiait, en marge d’un meeting à Nice, la présence des Roms à Nice, d’« urticante et odorante », ce qui n’est pas sans rappeler ce que l’on disait des Juifs dans les années 1930, ou bien encore la réaction de Régis Cauche, maire UMP de Croix dans le Nord : « si un Croisien commet l’irréparable, je le soutiendrai »… Ambiance.
Ne pas ouvrir Schengen aux Bulgares et aux Roumains ne changera rien
Ces propos démagogiques font oublier qu’il existe une véritable politique et réponse européenne à la situation des Roms. Comme l’a rappelé ces jours-ci Viviane Reding, Commissaire européenne à la justice, « nous avons des règles européennes qui ont été signées par la France, des règles sur la libre circulation des citoyens européens. Et ce ne sont pas des Roms mais des individus. C’est sur décision d’un juge qu’ils peuvent être évacués s’ils ont fait quelque chose qui va à l’encontre des lois de l’Etat en question ». Et d’ajouter que la Commission avait « mis l’argent sur la table. Il pourrait servir aux maires et je vois que cet argent n’est pas utilisé. La France a signé une stratégie nationale d’intégration des Roms. Or, l’argent n’arrive pas où il doit arriver dans les communes, chez les maires, là où il y a les problèmes ». La France dispose en effet de 4 milliards d’euros pour l’insertion des Roms. En tout, ce sont 50 milliards d’euros que la Commission met à la disposition des Etats membres. Pourquoi cet argent n’est pas utilisé ? Nul ne le sait.
En outre, en procédant à des évacuations de campement sans solution alternative, les autorités sont hors-la-loi. Surfant sur la polémique, le Front national et l’UMP demandent ardemment au gouvernement de mettre son véto à l’ouverture de Schengen (libre circulation des personnes à 26 pays de l’UE ainsi que pour la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein) à la Bulgarie et à la Roumanie, qui doit être effective au 1er janvier 2014. Or, l’Allemagne et les Pays-Bas y ont mis leur veto et la France a indiqué par l’intermédiaire de la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, que « les conditions ne sont pas réunies ». Il faut en outre requérir l’unanimité des vingt-huit États membres pour autoriser une telle décision. Quand bien même l’espace Schengen s’élargirait à ces deux pays, cela n’empêcherait « nullement les Roumains et les Bulgares de circuler librement. Ils peuvent juste être soumis à des contrôles aux frontières, au même titre que les Anglais par exemple », comme l’a rappelé Olivier Bailly, porte-parole de la Commission européenne.
Ce qui changera en revanche au 1er janvier prochain, c’est la possibilité donnée aux citoyens bulgares et roumains de venir travailler dans un autre État membre de l’UE, sans restriction de métiers. Dès lors, il sera illégal de discriminer les Roms issus de ces pays s’ils souhaitent trouver un emploi en France.
Forcés à l’exil, ils sont persécutés et privés des droits fondamentaux dans leurs pays d’origine
Bien sûr, il ne faut pas négliger les problèmes qui peuvent être le fait de certains roms. La délinquance existe, la mendicité également et l’occupation sauvage de terrains n’est pas un fantasme. Mais, on se trompe si l’on considère que l’on va régler le problème en les renvoyant dans leurs pays d’origine, car ils subissent de fortes discriminations en Bulgarie, en Roumanie et dans le reste de l’Europe centrale et des Balkans d’où ils sont issus, ce qui les poussera à en repartir.
Souvent considérés comme des citoyens de seconde classe, ils n’ont pas accès aux droits les plus fondamentaux. Comme ils l’expliquent bien souvent, ils sont victimes de nombreuses discriminations dans leur pays d’origine : la misère, les grandes difficultés à scolariser leurs enfants dû au racisme ambiant, des violences physiques ou bien encore le travail forcé qui les poussent donc à l’exil.
En Hongrie par exemple, dans la village de Gyöngyöspata situé à 80 km à l’est de Budapest, la victoire du parti d’extrême droite, le Jobbik a conduit à ce que le nouveau maire décide d’obliger les chômeurs à travailler sous peine de se voir supprimer les allocations familiales. Sauf qu’en réalité, « La plupart des non-Roms convoqués ont refusé, sans être inquiétés pour autant », témoignait Janos Farka, responsable de la communauté rom du village, dans un article paru en 2012 dans l’Humanité. Bien entendu, le travail proposé est souvent infamant et s’effectue au mépris des règles les plus élémentaires.
En Slovaquie, des cas de femmes Roms stérilisées ont été dénoncés par une ONG, le Centre pour les droits civils et les droits de l’homme. Cette ONG à laquelle Libération a consacré un article, a porté ce combat devant la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH). Cette pratique instaurée en 1933 par les nazis s’est pérennisée au cours du temps, jusqu’en 2005. Désormais les médecins ont pour obligation de demander leur consentement à leurs patientes mais, dans les faits, la loi ne serait pas toujours appliquée. Le 13 novembre 2012, la CEDH a reconnu pour trois roms qu’elles avaient « subi un traitement inhumain et dégradant en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme; qu’elles ont subi une violation du droit au respect de leur vie privée et familiale conformément à l’article 8 de la Convention », rapporte Libération dans son article.
Mais, le combat n’est pas terminé car dans ses conclusions, la CEDH ne reconnaît pas que ces femmes ont été discriminées en raison de leur appartenance à une communauté. Ces cas ne sont malheureusement pas isolés et peu souvent évoqués. On comprend dès lors les raisons de leur exil vers l’Europe occidentale.