Le nombre de victimes violées dans l’est de la République Démocratique du Congo n’a cessé de croître depuis 1996. Dix-sept ans après l’augmentation de ce fléau dans le pays, la perspective d’un Tribunal Pénal International en RDC pour juger les criminels a vu le jour en août 2013. Maître Michèle E. M’PACKO, avocate au barreau et présidente d’une association pour les femmes violées à Douala, nous explique depuis le Cameroun la nécessité de la création de ce Tribunal et ses conséquences.
Opinion Internationale : Aux côtés de 52 personnalités féminines (dont Rama Yade, Ingrid Betancourt, Gisèle Halimi), vous avez signé la pétition qui réclame la création d’un Tribunal pénal international (TPI) en RDC. Qu’attendez-vous précisément de cette pétition ?
Maître M’PACKO : L’objectif est de susciter un élan de sensibilisation et une envie de faire réagir, car ces crimes de genre en temps de conflits durent depuis 10 ans sans que personne n’ait réellement agi. Il se passe des actions inimaginables dans ces conflits : de la torture, des viols, des déchirures d’organes génitaux… Je ne vous annonce aucune nouvelle car ces crimes sont connus de tous, mais personne n’en parle. Il faut une capacité de mobilisation suffisante pour faire bouger les choses et c’est donc là qu’intervient cette importante pétition. L’initiative de cette déclaration pour un Tribunal Pénal International est partie de la volonté d’un confrère, avocat ayant plaidé devant le TPI pour le Rwanda à Arusha, en la personne de Mr Hamuli Rety. De nombreuses personnalités importantes – littéraires, politiques, etc. – ont signé cette déclaration visant à saisir les membres des Nations Unies pour la création d’un Tribunal Pénal International en RDC.
Dans ce Tribunal, il s’agit de faire punir tous ceux qui ont commis des tortures en les reconnaissant comme crimes contre l’humanité – ces mêmes crimes dont certains ont été reconnus dans le TPI de Yougoslavie. Ces crimes commis au cours de conflits n’ont rien à voir avec la guerre. Ils touchent des innocents embarqués malgré eux dans les conflits. Le viol est vu comme une arme d’extermination de race, de population en humiliant et victimisant les femmes. Il est donc très important qu’on ait ces personnalités internationales comme soutiens car ces femmes sont seules, sans abris. Sensibiliser ces femmes, c’est très important.
Selon vous, comment ce Tribunal pourrait-il fonctionner ?
Un TPI pour la RDC pourrait fonctionner en reprenant les structures du TPI pour le Rwanda, dont la mission s’achèvera d’ici la fin du premier trimestre de 2014. L’avantage est qu’en plus de la structure, le personnel existe et il serait dommage de mettre fin à leur mandat, alors que la tâche est encore grande à accomplir dans la sous-région. Ce personnel a l’expérience de ces procédures. Les structures, les règlements, les textes de base existent déjà. Cela évitera d’avoir à travailler sur les différents acteurs d’une telle juridiction, à vocation internationale. En effet, les mandats d’arrêts émis par le Procureur général pour le TPI déclenchent une succession d’actions qui permettent d’appréhender les personnes qui font l’objet de tels mandats, où qu’elles se trouvent. Mais pour mettre en œuvre de telles décisions, il faut de l’expérience, de l’argent, connaître les mécanismes de mise en œuvre du procès de droit pénal international. En l’occurrence, la création d’un TPI en RDC, dans les structures du TPI Rwanda évitera de perdre du temps à l’organisation et la mise en place de la structure.
Pourquoi l’impunité est-elle courante au Congo ?
Il faut savoir que ne peuvent être jugés dans le cadre d’un TPI que les ressortissants des Etats ayant ratifié les textes internationaux (Nations Unies) prévoyant cette juridiction et cette formule judiciaire. En effet, la loi pénale prévoit que nul ne peut être condamné qu’en vertu d’un texte préexistant ; or la RDC s’est doté, récemment (au troisième trimestre 2013) de la nomenclature juridique permettant la mise en œuvre de la justice pénale internationale sur son territoire, ce qui n’était pas le cas par le passé. C’est donc bien la preuve qu’il y a une volonté politique, de la part du gouvernement congolais de RDC, de mettre fin à l’impunité qui a cours dans ce pays. Cette impunité est celle dont bénéficient d’une part, les chefs de guerre et de milices, qui sèment la terreur dans la sous-région, et d’autre part, les autorités et l’armée régulière qui, totalement dépassés par la situation, ne sont plus en mesure d’appréhender ces individus. L’échec se trouve donc dans le manque d’organisation pour pouvoir appréhender ces personnes.
De plus, ce ne sont pas des infractions qui sont dans le Code pénal de manière habituelle. Ce sont des infractions particulières qui nous amènent à des accords permettant la condamnation de ces crimes. Il faut des mesures à la fois législative et structurelle qui permettent d’abord l’appréhension et la comparution des auteurs de ces crimes devant le tribunal au Congo, afin qu’ils soient jugés sur leurs crimes de guerre, et ensuite la reconnaissance de l’utilisation du viol comme arme de guerre.
Le viol reste un acte dont les victimes ont du mal à parler, surtout en public. Comment s’assurer que les femmes témoignent devant la justice et portent plainte?
Il faut savoir qu’en RDC des structures sont présentes pour prendre en charge les victimes de viol. Jusqu’à maintenant, ce sont les ONG, les associations et la société civile qui se sont mobilisées pour appréhender le problème du viol utilisé comme arme de guerre, mais sans pouvoir prévenir ou convaincre les victimes de porter plainte.
Les victimes doivent être prises en charge de manière globale (suivi psychologique, médical et judiciaire) et c’est ce que nous avons mis en place dans notre association, le FEDLAC-VIOL (Collectif Femmes de Douala contre le Viol) au Cameroun. Il faut convaincre la victime de dénoncer le bourreau mais pour cela il faut la prendre en charge psychologiquement et judiciairement. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas de prise en charge judiciaire absolue. Les victimes sont confrontées à la possibilité de rencontrer leurs bourreaux à n’importe quel moment. Or ceci est une situation de stress qui peut les amener à se retrancher. Elles ne peuvent donc que mettre fin aux actions du bourreau à condition qu’elles aient l’assurance, un travail mis en place pour ces victimes.
Le volet médical a jusqu’à maintenant été mis en avant. Dans ce volet, toute mon admiration est acquise au Dr Denis MUKWEGE, un gynécologue Congolais qui avec très peu de moyens, accomplit des miracles pour la prise en charge des victimes de viol collectifs, allant parfois jusqu’à reconstituer des sexes de femmes totalement détruits par ces abus. Il a reçu récemment le prix du Right Livelihood Award 2013 pour consécration du travail accompli. Il a également été nominé pour le Prix Nobel de la Paix cette année. Au moins son travail ne passe plus inaperçu et il est reconnu. D’autant plus qu’il bénéficie désormais de quelques fonds pour avancer dans sa croisade. Il gagnerait à ne plus y être seul.
L’ONU reconnait le crime de viol comme arme de guerre depuis 2010 déjà, dans le rapport sur les violations des droits de l’homme commis en RDC entre 1993 et 2003. Pensez-vous que cette demande de création de TPI soit tardive ?
L’avantage de la question du crime de guerre est que le crime de guerre est imprescriptible. Peu importe le temps qui a passé car avec la condamnation du crime de guerre, le criminel peut toujours être jugé et condamné devant un tribunal. Il est vraiment malheureux que nous ayons mis autant de temps d’abord à réaliser ce qui se passait et ensuite à réagir. Mais je pense que du point de vue de la prescription, de la possibilité de juger les personnes, il n est jamais trop tard – surtout dans ce cas. Le scénario était le même au Rwanda.
La compétence des Nations Unis doit-elle être remise en question, étant donné l’efficacité limitée des Casques Bleus sur place ?
Je vous renvoie à la prise, au jugement et à la condamnation de Slobodan Milosevic. Cela a été une longue traque dans le monde entier mais finalement, le Procureur Général du Tribunal Pénal International de l’ex-Yougoslavie a réussi à l’appréhender et à le présenter au TPIY. Il ne faut pas confondre car sur le plan de la mission de paix, l’ONU a une obligation, celle de rester par rapport aux lois de la guerre. Ainsi si on ne peut pas mettre fin à la guerre, on ne peut effectivement pas accomplir une mission de paix. Sur la question judiciaire réalisée par le TPI, je pense que jusqu’à maintenant les différentes juridictions ont réussi leurs missions partout où elles ont été implantées. Je crois qu’en l’occurrence il y a urgence de toute façon à ce que quelque chose de concret soit fait. On peut bien contester mais quand on proteste, on doit avoir autre chose à proposer ; or personne n’a rien proposé d’autre depuis 18 ans.