Gilles Berhault, président du Comité 21 et parmi les acteurs qui comptent dans le développement durable, publie un essai rafraîchissant : une révolution culturelle plus qu’économique est nécessaire si l’on veut sauver la planète et l’humanité. Entretien.
« Ecce homo », criait Nietzsche dans son dernier ouvrage. Qui est l’homme ? C’est au fond l’interrogation que porte Gilles Berhault, président du Comité 21 et acteur stratégique de la petite communauté du développement durable, dans son dernier livre Propriétaire ou artiste ? Manifeste pour une écologie de l’être qui sort à l’aube le 31 octobre.
La lecture de cet opuscule explique à sa manière les raisons pour lesquelles les espoirs d’une révolution par le développement durable sont retombés après l’échec du Sommet de Copenhague et, en France, après la dynamique ouverte par le Grenelle de l’environnement. Mobiliser les acteurs économiques et politiques ne suffisait pas. Il aurait fallu commencer ou entamer simultanément une révolution culturelle et éducative. C’est notre rapport au temps et au monde qui doit changer profondément. Ce nouveau paradigme, c’est l’artiste entendu comme le créateur qui est en chacun de nous, qui l’incarne le mieux : l’artiste doit se réveiller en nous et nous devons faire le deuil du propriétaire que nous voulions tous devenir.
Au fond, et si l’on pousse la caricature un peu plus loin, pour Gilles Berhault, un Jack Lang qui fut un temps ET ministre de l’éducation nationale ET ministre de la culture, à la fin de l’ère Jospin, voilà qui et ce qu’aurait dû être un vrai ministre du développement durable.
Michel Taube
Gilles Berhault, pour construire un monde plus durable, vous en appelez à une révolution culturelle plus qu’à des transformations économiques ou sociales ?
Le monde est dominé par une économie compulsive de la possession qui répond à un stress très profond, une déstabilisation émotionnelle, entretenue par la société et notamment les médias et la publicité. Plus on possède, plus on a peur de perdre et plus on consomme et on amasse. Pour stopper cette spirale infernale, sans pour autant tomber dans une décroissance et un retour en arrière, il faut une rupture culturelle qui va même au-delà du passage d’une économie de la propriété à une économie d’usage. Cette révolution culturelle consiste à éveiller en chacun de nous le créateur, l’artiste, l’homme libre et inventif qui sommeille en nous. Changer les lois ne suffit plus, il faut changer d’esprit.
Pourquoi l’artiste est-il la figure emblématique de cette révolution ?
Parce qu’un artiste, même égocentrique, est engagé dans un processus créatif de liberté et déploie une vision de l’avenir. Des collectifs d’artistes se développent mais il est vrai que je regrette l’absence des artistes dans les sphères du développement durable, trop souvent monopolisées par les acteurs économiques. Je ne crois pas à un modèle de la frugalité et à des solutions raisonnables pour convertir nos concitoyens au développement durable. L’humanité a besoin de rêve et d’émotions. Aucun discours de raison ne mobilisera les foules dans un changement de paradigme. Quand je parle de culture, de création, j’en appelle à des ressorts créatifs pour changer en profondeur d’état d’esprit.
De votre point de vue, la réforme des rythmes scolaires engagée par l’actuel gouvernement est donc une mini-révolution ?
En effet mais elle ne va pas assez loin. C’est très bien de libérer du temps pour développer les enseignements artistiques et corporels mais ces derniers doivent être de véritables matières au même titre que le français, les mathématiques ou l’histoire. Et les collectivités locales doivent en avoir la charge. Les arts et la culture, ce n’est ni de la distraction ni du para-scolaire.
Propos recueillis par M.T.