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09H39 - mardi 29 octobre 2013

Bogdan Mazuru, ambassadeur de Roumanie en France : « La Roumanie remplit les critères d’adhésion à l’espace Schengen »

 

Roms, Schengen, Europe, histoire : entretien et tour d’horizon de l’actualité avec l’ambassadeur de Roumanie en France.

 

Bogdan Mazuru, Ambassadeur de Roumanie en France

Bogdan Mazuru, Ambassadeur de Roumanie en France

Monsieur l’Ambassadeur, près de 15 000 Roms en France proviennent essentiellement de Roumanie et de Bulgarie. Le ministre de l’intérieur a créé la polémique, en indiquant qu’ils n’avaient pas de volonté de s’intégrer et qu’ils avaient vocation à retourner dans leur pays d’origine. Que répondez-vous à cette polémique et quelle est la situation des Roms en Roumanie ?

Il y a des Roms qui viennent de la Roumanie en France, d’autres viennent de la Bulgarie, mais pas seulement de ces deux pays. Il y a des Roms qui viennent de pays de l’Europe Centrale et de l’Est. C’est pourquoi, c’est une des raisons pour lesquelles la question des Roms est, bien sûr, le problème des pays d’origine, mais aussi un problème européen.

La polémique en France est une polémique franco-française. De notre côté, notre position est très claire : les lois doivent être respectées. Quand on parle de démantèlement d’un campement de Roms, il y a des lois très claires de l’Etat français qui doivent être respectées.

Deuxièmement, les Roumains – Roms ou non  – comme n’importe quels citoyens européens, peuvent circuler librement dans l’Union européenne. C’est la même loi de libre circulation qui s’applique à un citoyen allemand, suédois, irlandais ou roumain. C’est la libre circulation dans l’intérieur de l’Union Européenne.

Dans l’espace Schengen, c’est autre chose car on n’y trouve plus de contrôle de passeport à l’entrée et à la sortie d’un pays membre. C’est la raison pour laquelle nous disons qu’il n’y a absolument aucun lien entre Schengen et les Roms. Si la Roumanie entre dans l’espace Schengen, il n’y aura pas nécessairement plus de Roms en France. Au-delà de 90 jours, délai au-delà duquel n’importe quel citoyen européen doit pouvoir justifier son maintien sur le territoire d’un autre Etat membre, qu’il soit Roumain ne change en rien cela.

La Roumanie souhaite donc d’un côté le respect de la législation nationale et deuxièmement le respect du droit de circuler librement.

Mais quelle est la situation des Roms en Roumanie ? Viviane Reding, la commissaire européenne, a indiqué que la Commission versait 50 milliards d’euros aux Etats membres pour l’intégration des Roms. Comment sont-ils utilisés en Roumanie par exemple ?

La Commission verse effectivement de l’argent mais pas pour les Roms en particulier. Ces fonds sont destinés aux personnes victimes de discriminations.

Il y a de l’argent qui n’est pas utilisé, c’est vrai. Est-ce un manque de volonté politique ? La Roumanie a en réalité un manque de savoir-faire dans l’utilisation de l’argent européen qui nous est aussi versé pour moderniser nos infrastructures de transport ou dans d’autres domaines.

On ne peut pas parler d’un manque de volonté politique spécifiquement vis-à-vis des Roms. Les Roms sont loin d’être discriminés chez nous car nous avons mis en place une discrimination positive. De l’école à l’université, nous veillons à leur insertion.

Vous êtes d’accord avec Manuel Valls lorsqu’il dit que les Roms ne veulent pas s’intégrer ?

Non. Je fais toujours attention à ne pas stigmatiser une communauté. Il y a des individus qui ne veulent pas s’intégrer mais il ne faut pas faire de généralité.

Pour autant, deux raisons à l’immigration vers l’Europe occidentale des Roms sont d’une part le niveau de vie plus élevé en Europe occidentale mais aussi le fait que des Roms sont parfois, hélas, victimes de discrimination raciale de la part d’une certaine partie de la population roumaine et qu’ils n’ont pas, ou alors trop faiblement, accès à l’école. Malgré les mesures mises en place, le pourcentage de réussite ou d’accès à l’université des Roms en Roumanie est quand même inférieur aux non-Roms…

Je suis d’accord avec la première partie de votre explication. Cette émigration est avant tout économique. Mais pense-t-on en la matière à tous les aspects du problème économique ? La Roumanie est confrontée à une forte émigration qui concerne aussi les médecins. Des milliers de médecins roumains travaillent et travaillent très bien dans les hôpitaux et les cliniques français où leurs revenus sont meilleurs. Je n’entends bizarrement aucune critique du genre :  » Monsieur l’Ambassadeur, pourquoi nous envoyez-vous ces médecins roumains ?  » Les Français se félicitent plutôt de leurs performances.

Il n’y a pas que de la misère qui vient de Roumanie, il y a aussi de l’intelligence. Donc on ne peut pas dire que nous vous envoyons que de la misère. Je suis peut-être trop dur dans mes paroles, mais j’ai entendu aussi des personnes qui assimilent la Roumanie exclusivement à la pauvreté. Je trouve que ce n’est pas correct et, franchement, je trouve cela injuste.

Par ailleurs, je ne suis pas d’accord pour dire que les Roms sont discriminés. Il y a un processus d’intégration très compliqué, qui ne donne pas de résultats du jour au lendemain ni plus en Roumanie qu’en Europe occidentale. Le taux d’éducation de la population rom est inférieur au taux d’éducation national, c’est vrai. Quand on parle d’éducation, les résultats d’un processus d’éducation prennent du temps, donc on doit avoir un peu de patience en la matière.

Quant aux migrations venues de l’intérieur de l’Europe, ce n’est pas nouveau : on a connu les Italiens et les Portugais, dans les années 1960 – 1970. J’ai lu des livres qui ont été écrits à cette époque et j’ai lu des commentaires qui étaient similaires à ce que l’on peut lire sur les Roms aujourd’hui.

Pour vous c’est une polémique politicienne qui est instrumentalisée à des fins électorales en France et dont les Roumains et les Bulgares seraient les victimes collatérales ?

Je suis un diplomate, je ne peux pas vous donner raison, mais je ne peux pas vous contredire non plus.

De façon plus générale, la Roumanie souffre d’une image négative. Que dites-vous à l’opinion publique internationale sur la Roumanie aujourd’hui ?

Je dis que la Roumanie est un pays avec une histoire, avec une culture de haut niveau. Je dis de la Roumanie qu’il y a des Roumains qui travaillent bien, qui sont bien éduqués, qui font de grands efforts pour eux et pour le pays, que c’est un pays aussi avec des problèmes économiques, qui doit se développer et se moderniser encore dans beaucoup de domaines. C’est un pays qui a une croissance qui n’est pas très spectaculaire, mais tout de même supérieure à d’autres pays européens.

 

Objectif Schengen

Il y a en France et dans d’autres pays européens des restrictions sur les métiers ouverts aux Roumains et aux Bulgares doivent faire face à des mesures transitoires qui doivent théoriquement être levées au 1er janvier 2014. Plusieurs pays dont la France sont contre, lient cette conditionnalité à l’intégration des Roms et pratiquent un amalgame avec l’ouverture de Schengen. Pensez-vous que cet amalgame entre l’ouverture de Schengen et la levée des mesures transitoires soit volontaire ?

Vous avez dit « théoriquement ». Non, c’est théoriquement et pratiquement, il n’y a pas de question. Ces restrictions vont être levées à 100%, parce qu’il est écrit dans le traité d’adhésion de la Roumanie à l’UE qu’au plus tard au 1er janvier 2014, ces mesures doivent être levées.

Il y a un amalgame entre la fin des mesures transitoires et l’entrée dans Schengen. Les critères d’adhésion à l’espace Schengen tiennent à la capacité d’un pays de protéger les frontières extérieures de l’UE. Un rapport de la Commission européenne d’avril 2011 estime que notre pays est prêt. Il n’y a pas d’autres critères. Les seuls critères portent sur la protection des frontières. Je le répète, du point de vue des experts européens, la Roumanie est prête.

Dernière question sur Schengen : Jean-Marc Ayrault en déplacement à Bucarest en juillet dernier avait estimé possible dans un premier temps l’ouverture des frontières aériennes. Il semble que le gouvernement soit revenu sur cette position non ?

C’est une bonne question, mais vous devriez la poser aux autorités françaises.

Vous avez dû leur demander des explications…

Je ne vois pas ce qui pourrait faire changer d’avis Jean-Marc Ayrault entre le 12 juillet quand il était à Bucarest et parlait d’adhésion « immédiate » et aujourd’hui. Je veux croire que les paroles du Premier ministre sont des paroles qui engagent la France. J’attends de voir ce qui se passera en décembre à la réunion des ministres de l’Intérieur et de la Justice européens qui doit officiellement statuer sur ce sujet. J’espère encore que la France tiendra sa parole : une adhésion en deux étapes, qui peut être un avantage aussi pour les hommes d’affaires, qui voyagent beaucoup par avion.

 

Une Europe populiste menace l’Europe

N’avez-vous pas le sentiment au fond d’être des victimes collatérales des partis populistes qui dicteraient l’agenda des dirigeants européens aujourd’hui ?

Il y a des inquiétudes, on le voit bien. Je suis avec beaucoup d’attention les débats politiques en France et je vois cette inquiétude sécuritaire qui existe dans le débat public. La France n’est évidemment pas le seul pays dans lequel ces débats ont lieu, ça se passe partout en Europe. Je le comprends bien dans un contexte de crise économique avec un chômage très fort. Les forces populistes prennent beaucoup de poids politique dans des périodes comme celles-ci. Mais le devoir des gouvernements, à mon avis, est d’expliquer au public quelle est la réalité, et ne pas céder aux tentations populistes, et, disons, jouer sur le rythme qui est imprimé par ces forces populistes ou nationalistes.

Comment analysez-vous cette montée populiste en perspective des élections européennes ?

Je suis bien sûr inquiét, d’autant que je suis un Européen convaincu : je crois que la solution est dans l’Europe et dans la poursuite du processus d’intégration. On ne doit pas faire marche arrière, on doit aller de l’avant. Si l’Europe ne fonctionne pas bien aujourd’hui, ce n’est pas la faute de Bruxelles, comme on a coutume de le dire, mais des dirigeants européens. Il n’y a malheureusement pas encore de conscience d’une citoyenneté européenne. Il faut vanter et rappeler sans cesse les effets positifs de l’Europe.

Votre pays reste t-il marqué par la période Ceausescu ?

Il reste des traces, un peu comme l’Allemagne des années 1960-1970, vingt cinq ans après la chute du nazisme. D’un côté la population se souvient de ces années noires, ce n’est pas une période si lointaine. De l’autre côté il y a une population jeune, pour laquelle Ceausescu est aussi enraciné dans l’histoire que la guerre de 14-18. C’est positif car il y a des jeunes qui n’ont pas de complexes, qui se sentent aussi Européens que n’importe quel autre jeune d’un autre pays d’Europe.

Propos recueillis par

Rédacteur en chef
Directeur de la publication

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