En 2005, en pleine polémique suscitée par Dieudonné qui essayait d’opposer juifs et noirs, nous publiions dans Libération une tribune qui, aujourd’hui, revêt une actualité singulière. Nous le répétons depuis deux semaines à qui veut l’entendre : la faiblesse des réactions de la société française, notamment des dirigeants politiques et des organisations antiracistes, face aux attaques contre Christiane Taubira est insupportable. Combien d’organisations auraient porté plainte le lendemain-même de propos antisémites ou arabophones alors que l’ex membre du Front national, les manifestants d’Angers et la rédaction de Minute ont commis des propos haineux qui renvoient aux plus sombres heures de l’esclavage ?
Si la France se demande régulièrement si elle est raciste, ce silence assourdissant renvoie selon nous à un oubli profond de l’histoire lié à la personne même de Christiane Taubira…
Quel singulier paradoxe : la victime de ces attaques n’est pas n’importe qui. Christiane Taubira n’est pas seulement une ministre régalienne de la République française, guyanaise, afro-américaine (au sens continental du terme) et fière de l’être. Elle n’est pas que l’inspiratrice d’une prochaine loi pénale qui souhaite renverser le rapport de la société à la peine et qui déchaîne les passions.
Christiane Taubira est aussi, et surtout en l’espèce, l’auteure de la loi mémorielle par laquelle « la République française reconnaît que la traite négrière […] et l’esclavage […], perpétrés à partir du xve siècle, […] constituent un crime contre l’humanité. » Le Président Chirac instaura en 2006 la Journée commémorative du souvenir de l’esclavage et de son abolition que vient saluer le 10 mai de chaque année le président de la République dans les jardins du Luxembourg à Paris près du Sénat.
Or quel est donc cet oubli de l’histoire que cache le silence de la classe politique et sociale ? Rappelons ce point d’histoire trop souvent évacué en relisant l’article 1 du code noir par lequel, en 1685, Louis XIV instaura l’esclavage dans le royaume de France :
«Voulons que l’édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire […] soit exécuté dans nos îles ; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nosdites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois[…], à peine de confiscation de corps et de biens.»
L’acte même de fondation de l’esclavage, que raviva Christiane Taubira avec sa loi mémorielle et sa Journée du 10 mai, commença par exclure les juifs. Ce texte nous apprend ce que devraient savoir la majorité des juifs hier pourchassés, et j’ajoute aujourd’hui la beurgeoisie qui, heureusement, émerge enfin dans la société française : les victimes (et leurs descendants) des horreurs criminelles de notre histoire devront toujours être solidaires avec les plus faibles face à la bête immonde qui ne cesse de se réveiller.
Nous avons tous un devoir de solidarité avec Christiane Taubira car nous avons tous un devoir de partage des mémoires et d’entraide entre les victimes des crimes contre l’humanité.
Nous le disons fièrement : nous sommes tous des juifs noirs !
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