On n’a jamais autant parlé du droit d’asile mais sait-on de qui l’on parle ?
Manuel Valls, ministre l’Intérieur, annonce avec force son souhait de réformer la politique du droit d’asile pour réduire la durée d’instruction des dossiers. Le coût de l’aide médicale aux étrangers sans-papiers explose, si l’on en croit les manchettes de la presse et l’enquête parlementaire à charge menée par le député Claude Goasguen.
Bref, les vents de la crise et du repli poussent pour qu’on ferme encore plus les frontières à ces femmes et ces hommes qui, fuyant leur pays d’origine et les dangers qu’ils y encourent, tentent de se réfugier en France.
Toute la misère du monde ne toque pas à notre porte
Mais sait-on de quoi l’on parle ou plus exactement de qui on parle. Certes, parmi les demandeurs d’asile, il y des migrants économiques mais il y a aussi des dizaines de milliers de personnes qui fuient la mort, la violence, et on va le voir dans ce dossier, la torture. Parmi les centaines, les milliers de noyés de Lampedusa, combien fuyaient les tortures en Libye, en Syrie, en RDC ? L’AFP publiait le 8 novembre dernier un communiqué, repris par le Figaro, titré comme suit : « Lampedusa : les migrants étaient torturés ». Selon l’AFP, « des dizaines de migrants, passagers du navire qui a coulé le 3 octobre près de Lampedusa, avaient été séquestrés, torturés et les femmes violées, avant leur départ de Libye ».
Derrière l’argument légitime d’écourter les délais d’instruction des demandes d’asile, l’objectif véritable et inavoué du ministre de l’Intérieur est de réduire le nombre de réfugiés accueillis sur le sol français. En cela, Manuel Valls est le digne héritier de son mentor Michel Rocard, l’auteur de cette célèbre maxime : « la France ne peut accueillir toute la misère du monde mais elle peut y prendre sa part ». Une part de plus en plus congrue…
Manuel Valls souhaite qu’on édicte a priori des critères de priorité pour les demandeurs d’asile, que l’administration puisse, avant même l’instruction des demandes par l’OFPRA, retenir comme prioritaires les demandeurs les plus vulnérables. Mais, comme le souligne Eléonore Morel, directrice du Centre Primo Levi qui accueille des centaines de victimes de torture, toute la législation nationale et internationale du droit d’asile repose par essence sur une présomption de danger pour toute personne qui demande un tel statut.
Ces torturés invisibles
Prenez les cas tragiques de ces victimes de torture auxquelles Opinion Internationale consacre tout un dossier. Qui dans l’administration asilaire sera à même au premier coup d’œil ou lors d’une première prise de contact de dire d’une personne qui mettra peut-être des mois à poser des mots : « celle-ci est a priori éligible au statut de réfugié parce qu’elle a été torturée dans son pays d’origine ? » A moins de recruter des profilers des consciences, je ne vois pas comment une telle réforme sera praticable.
La France se veut la patrie des droits de l’homme ? Des organismes comme le Centre Primo Levi, des hommes comme Miguel Benasayag qui nous livre un entretien poignant, tentent de sauver cette réputation. Mais il en va aussi de nous : la campagne de sensibilisation du Centre Primo Levi, conçue par l’agence Grey Paris, le dit très bien : c’est avec des objets de notre quotidien que des personnes ont été torturées. Cela nous concerne ! Les réfugiés en France sont des personnes comme vous et moi qui avaient, dans leur pays d’origine, une famille, un travail, une implication dans leur communauté, et qui pour la plupart se sont retrouvés au mauvais moment au mauvais endroit. Ils n’avaient alors plus le choix : mourir ou quitter leur pays.
C’est à nous d’aider ces personnes à tenter d’effacer leurs souffrances. Et c’est à la France de se doter d’une politique de santé publique d’accueil et de soins des victimes de torture.
Voilà de qui on parle quand on veut réformer le droit d’asile. L’accueil des demandeurs d’asile est certainement aujourd’hui un des derniers moyens concrets pour la France d’être à la hauteur de son rang et de sa réputation.