La montée des océans est une réalité, et la désertification aussi. Les catastrophes naturelles vont se multiplier et grimper en intensité. Les territoires du Bangladesh, de l’Inde, de l’Egypte, du Vietnam, pour ne citer que ces Etats, sont directement menacés par les changements climatiques. Des habitants de plusieurs îles et atolls – Marshall, Tuvalu, Maldives, Kiribati – vont devoir quitter leur pays car ceux-ci seront bientôt recouverts par les eaux. Selon l’ONU, des millions d’individus se seraient déjà déplacés en raison de la dégradation brutale ou progressive de l’environnement. Certains d’entre eux se retrouvent dans une situation humanitaire préoccupante, voire alarmante. De plus en plus de personnes vont migrer en raison de ces évolutions. Mais le statut de réfugié climatique n’existe pas ! Et la protection internationale des migrants environnementaux n’a pas encore vu le jour. Pourquoi n’y a-t-il pas un accord, tel que la Convention de Genève pour les réfugiés dits « politiques », traitant de la protection des victimes du changement climatique ? Pourquoi n’utilise-t-on pas le droit international actuel pour protéger ces personnes ? Qu’est-ce qui bloque l’engrenage ?
Une absence de définition claire
Il suffit de consulter les chiffres avancés dans les rapports officiels – GIEC, IOM, ONU, Stern – et les médias pour constater qu’il n’y a pas encore de définition commune de la migration liée aux changements de l’environnement. Les chiffres prévisionnels oscillent, selon les sources, entre 150 et 250 millions de personnes déplacées d’ici 2050. Cette large fourchette s’explique par les diverses catégories prises en compte par les experts et les professionnels.
Dans le débat public, il est surtout question du réfugié climatique, victime directe des conséquences réelles ou supposées du changement climatique, qu’elles soient brusques (Ouragan Katrina) ou qu’elles résultent d’une dégradation progressive de son environnement (Les Maldives). Il y a aussi le réfugié environnemental, décrit par Norman Meyers au début des années 1990, dont la définition intègre les victimes des réponses apportées par l’homme aux changements de l’environnement : les personnes déplacées en raison de conflits environnementaux, de l’aménagement du territoire (barrage des Trois gorges en Chine), d’initiatives pour la conservation de l’environnement (parcs nationaux au Kenya) et d’incidents industriels (accident nucléaire au Japon).
Ces deux premières définitions, si elles ont le mérite d’attirer l’attention sur la vulnérabilité de certaines personnes déplacées, ne rendent pas compte de la diversité causale des migrations environnementales. L’emploi du langage sécuritaire, utile pour donner un caractère d’urgence au défi climatique, concentre le regard sur les migrations forcées, urgentes ou irrémédiables. Il occulte malheureusement tout un pan de la réflexion. En effet, les figures populaires (réfugiés climatique et environnemental) de la migration environnementale cachent le phénomène que l’Organisation internationale des migrations décrit comme la migration « motivée » au départ.
Ce dernier cas, majoritaire, qui explique les grandes variations de chiffres dans les rapports et médias, souligne que la migration peut être conçue comme une stratégie d’adaptation : le migrant n’est pas une victime mais un acteur. Il prend sa décision de partir en se basant sur une combinaison de facteurs environnementaux et socio-économiques. La confusion sur les chiffres s’explique ainsi : il est difficile de mesurer la capacité d’anticipation et de résilience des populations face aux défis environnementaux.
A l’évidence, la variété des phénomènes migratoires liés à l’environnement ne peut pas s’inscrire dans un même instrument juridique international.
Une protection internationale incompatible
Si la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 mentionne en son article 13 un droit à la libre circulation et au départ, il n’existe pas pour autant d’accord international prévoyant et organisant la protection des victimes du changement climatique, des désastres naturels ou humains.
A ce titre, l’emploi du mot réfugié environnemental, popularisé par Bill Clinton et Boutros Boutros Ghali, est réducteur et trompeur. En effet, le mot réfugié réfère en droit international à une définition très précise, inscrite dans la Convention de Genève de 1951 et au protocole de 1967, qui indique deux conditions sine qua none : 1) avoir franchi une frontière et 2) craindre des persécutions en raison de sa race, sa nationalité, sa religion, ses opinions politiques ou son appartenance à un groupe social.
Or, les migrants environnementaux, y compris les migrants forcés, sont en majorité des déplacés internes, c’est-à-dire qu’ils restent sur le territoire national, comme l’a récemment rappelé François Gemenne sur le plateau de l’émission Salut les Terriens, du 26 octobre (http://www.rue89.com/2013/11/05/a-soumis-les-idees-recues-limmigration-a-celui-a-mouche-fn-247211). Mais surtout, le migrant environnemental n’est pas persécuté. C’est la motivation évoquée par les autorités néozélandaises pour rejeter, le mois dernier, une demande d’asile d’un habitant des îles Kiribati.
La question de savoir si un statut juridique international, au sein d’un nouvel instrument ou en complément de la Convention de Genève, permettrait de mieux protéger les personnes forcées à se déplacer, est ouverte. Mais il faudra d’abord que les Etats s’entendent sur la définition d’un réfugié environnemental en déterminant des critères temporels, géographiques et politiques.
Une échelle de gouvernance inopérante
Depuis le Sommet de la Terre à Rio, en 1992, les agendas de l’environnement et de la migration sont associés. Pourtant, il y a une différence entre d’un côté un phénomène global, le réchauffement climatique, et de l’autre un phénomène pluridimensionnel, le mouvement des populations, essentiellement géré aux niveaux national et régional. Ayant constaté le retard dans la prise de décisions sur les questions environnementales, il faut s’interroger sur la pertinence de ce niveau de gouvernance dans la gestion des phénomènes migratoires associés.
Pour palier à l’inefficacité probante du niveau international, et notamment le manque de cadres juridiques, des initiatives ont vu le jour à d’autres échelles de gouvernance. A ce titre, il faut citer la Convention de Kampala, de l’Union africaine, premier instrument juridique régional à inclure des mesures de protection pour les personnes déplacées internes du fait de désastre naturel ou humain, y compris le réchauffement climatique. Mais aussi, à l’échelle bilatérale, le « Plan de migration temporaire Colombien » qui donne, à des familles touchées par un désastre naturel, l’opportunité de travailler temporairement en Espagne.
Ainsi, en attendant que les Etats signent et ratifient un accord contraignant pour lutter contre le réchauffement climatique et qu’ils entreprennent des négociations internationales sur la migration, les régions et les Etats vont devoir s’organiser en interne pour répondre aux questions posées par les mouvements de population sur leur territoire, déplacements qui seront en grande majorité expliqués par le calcul d’une opportunité et non réalisés comme un acte de dernier recours. L’urgence est là.
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Biographie : Entre 2010 et 2011, Guillaume Capelle a dirigé à Amnesty International en Australie, une équipe d’assistance juridique pour tous les cas de graves violations des droits humains. De retour en France, en 2012, il a fondé l’association SINGA – renforcer la société par l’insertion socio-économique des réfugiés – et une entreprise de conseil en communication pour soutenir et diffuser le travail des organisations œuvrant sur les questions migratoires et de citoyenneté. A ce titre, il est actuellement rédacteur-en-chef du projet SUCCESS de l’Ifri, soutenu par la Commission européenne et le Conseil régional d’Ile-de-France.