Le 26 octobre dernier, des dizaines de femmes, en Arabie Saoudite, ont tenté de prendre le volant dans un mouvement de contestation de l’interdiction (culturelle, non légale) de conduire leur véhicule. Le 30 novembre aura lieu une nouvelle tentative de manifestation de plus grande ampleur, dans l’espoir, pour la majorité des femmes saoudiennes, de faire fléchir le gouvernement pour obtenir ce droit qu’elles sont les seules au monde à ne pas avoir.
Selon Kay Campbell, écrivain américaine qui a vécu en Arabie Saoudite au tournant des années 1980, et qui nous a accordé un entretien, cette interdiction est un frein à l’économie du pays. Aujourd’hui, l’interdiction de conduire seules leur véhicule empêche les femmes d’aller travailler. Elle a aussi pour conséquence pour les femmes d’avoir sans cesse recours à des chauffeurs ou des taxis lorsqu’elles veulent se déplacer – ce qui serait un manque à gagner pour le budget familial.
Au-delà d’aspects pratiques, obtenir le droit de conduire représenterait, pour les femmes du pays, « une nouvelle indépendance mais aussi une responsabilité » – selon les mots d’une femme vivant en Arabie Saoudite, qui ne tient pas à ce que son nom soit divulgué. Indépendance, car elles n’auraient plus besoin d’un homme pour se déplacer ; responsabilité, puisqu’elles pourraient ainsi être plus actives dans la société.
Une interdiction incomplète
D’après Mme Campbell cependant, les femmes ont déjà tendance à conduire en particulier dans les zones rurales. Etant donné que l’interdiction n’est pas clairement formulée dans la législation du pays, il s’agit véritablement d’une règle culturelle. En cela, elle dépend donc d’un consensus local. Mme Campbell donne l’exemple d’une jeune femme qui a été autorisée à conduire le bus scolaire après qu’elle l’a fait en se déguisant en homme, parce que sa communauté a accepté l’idée que cela revenait au même. Mme Campbell explique : « il y a de réelles variations dans la manière qu’ont les femmes saoudiennes de se voiler, de se vêtir, en fonction de leur famille et de leur communauté ; et il en est de même concernant le droit de conduire, tout dépend de l’acceptation par la société locale, proche. »
En revanche, la situation est toute autre dans les grandes villes, nuance Mme Campbell. Elle attribue également cette interdiction archaïque au développement tardif du pays, depuis une cinquantaine d’années seulement.
« Il y a un espoir »
Mme Campbell a bon espoir de voir le mouvement de contestation bientôt aboutir. Premièrement, puisqu’il s’agit finalement de ne pas créer de date symbolique, mais bien plutôt d’appeler les femmes à conduire tous les jours, n’importe quel jour, cela devrait normaliser la conduite des femmes, et ainsi être plus efficace.
Enfin, Mme Campbell remarque l’effet spectaculaire et extrêmement rapide du film Wadjda, sorti en 2012 : l’histoire de l’innocente petite fille qui voulait faire du vélo (alors que c’était, là aussi, une activité interdite aux représentantes du sexe féminin) aurait contribué – voire a été l’élément déclencheur – à l’adoption quelques mois plus tard, par le gouvernement saoudien, d’une loi autorisant les femmes et filles à faire du vélo à des fins récréationnelles (mais non comme moyen de transport).
Vu le pouvoir des histoires, peut-être qu’un film mettant en scène diverses femmes et leur envie de conduire pourrait soutenir le mouvement de protestation avec justesse, afin de le voir arriver à leurs fins.
Chronologie du mouvement
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1991 : la photographe Madeha Alajaroush organise la conduite d’une file de voitures par des femmes ; elles sont arrêtées et condamnées, ce qui contribue fortement à calmer les animosités à l’égard de l’interdiction.
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2008 : la journaliste Wajeha Al-Huwaider poste une vidéo sur Youtube d’elle-même au volant d’une voiture.
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2011 : Huwaider publie une nouvelle vidéo de la militante Manal al-Sharif au volant de sa voiture. Al-Sharif est arrêtée, ce qui entraîne une vague de soutiens internationaux, ainsi que le réveil de la communauté internationale, consternée d’apprendre qu’un pays interdit aux femmes de conduire.
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26 octobre 2013 : sortie de la chanson « No Woman, no Drive » par Hisham Fageeh, une critique implicite mais violente du gouvernement.
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26 octobre 2013 : action internationale pour le droit de conduire des femmes ; elles auraient finalement été une soixantaine, à faire face à la police régulière – et non la police religieuse, fait déjà significatif d’un certain changement de mentalité au niveau décisionnaire.
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30 novembre : une prochaine manifestation est prévue, les femmes saoudiennes sont appelées à prendre le volant.