La vitalité de la scène théâtrale en Iran est portée par des talents qui restent méconnus du public européen malgré le succès international que rencontrent les artistes iraniens dans d’autres champs d’expression tels que le cinéma ou les arts plastiques. A Téhéran, ce bouillonnement artistique se révèle notamment lors du festival annuel de théâtre international Fajr, aujourd’hui la plus importante manifestation dans le domaine des arts de la scène en Iran, qui se déroule cette année du 18 janvier au 1er février 2014.
Créé en 1983, le festival se tient chaque année au mois de Bahman (21 janvier au 20 février) pendant une dizaine de jours, en l’honneur de la phase transitoire entre le retour d’exil de l’ayatollah Khomeiny et sa prise de pouvoir, période officiellement nommée « fajr », littéralement l’aube. Assumant à l’origine un rôle de propagande dans la république islamique nouvellement instaurée, le festival Fajr – qu’il s’agisse du festival de théâtre ou de son pendant cinématographique qui se déroule quasi simultanément – s’est progressivement détaché de sa vocation initiale de glorification de la révolution pour devenir un espace d’exposition de la création artistique nationale et l’un des temps forts de la scène culturelle iranienne. Le festival présente une sélection de spectacles choisis parmi les productions de tout le pays dans la volonté de refléter la programmation théâtrale de l’année écoulée et d’ébaucher l’horizon scénique de l’année à venir. Depuis 1998, le festival accueille également des troupes étrangères dans le cadre de sa compétition internationale.
La France mise en valeur
Du Canada à la Corée du Sud, des spectacles venus des quatre coins du monde sont à l’affiche de l’édition 2014. Parmi les nombreux pays européens représentés sur scène cette année, la France bénéficie d’une position d’exception, puisque les représentations des deux compagnies françaises invitées à monter sur les planches se jouent à guichets fermés. La compagnie Les mains, les pieds et la tête aussi présente un spectacle sans mots ni musique à mi-chemin entre le ballet et l’acrobatie parfaitement adapté à un public iranien friand de théâtre physique, tandis que le collectif Pyramid propose une chorégraphie soigneusement orchestrée où le Hip Hop donne la réplique à une mosaïque un brin nostalgique composée de styles musicaux peuplant le 20ème siècle. Les représentations de ce spectacle Hip Hop affichant complet avant même le début du festival, l’équipe a d’ailleurs décidé de profiter de son séjour à Téhéran pour programmer deux dates en dehors du Fajr dans une salle de la capitale iranienne. En plus de la France, c’est également la francophonie qui est à l’honneur de la trente-deuxième édition du festival iranien avec Le Mariage forcé de Molière, une pièce interprétée en langue française par des comédiens iraniens sous la direction d’un metteur en scène francophone.
Les organisateurs du festival peuvent s’enorgueillir non seulement de la multitude d’activités proposées au cours de cet événement, mais également de leur diversité. En effet, à côté de la compétition internationale à laquelle participent une trentaine de spectacles étrangers et iraniens, la programmation du Fajr propose, entre autres, du théâtre de rue, des pièces radiophoniques et télévisuelles, des mises en lecture, ainsi que des ateliers sous la direction de pédagogues ou de professionnels du théâtre venus d’Europe ou d’Asie.
La devise du Fajr – « Le théâtre pour tous » – qui exprime la volonté des responsables culturels de faire du théâtre un art populaire en Iran, se manifeste concrètement dans la profusion de représentations proposées dans les lieux les plus divers. Les grands établissements publics, les planches de théâtre des universités, les auditoires de centres culturels, un vieil hammam converti en salle de spectacle et les parcs de Téhéran matérialisent une scène de festival ainsi dispersée dans toute la ville. Entre les nouvelles créations de grands metteurs en scène iraniens, les mises en scène expérimentales d’étudiants en art dramatique, les grands classiques de Shakespeare, un opéra de marionnettes, les tragédies d’inspiration religieuse, les performances de rue, un spectacle traditionnel venu d’Asie, les chorégraphies françaises ou encore les pièces jouées par des troupes étrangères de renommée mondiale, il y en a pour tous les goûts, conformément à l’idéal qu’est censé incarner le Fajr. Aujourd’hui, le festival ne se limite donc plus à la promotion des idéaux de la révolution de 1979. S’il incarne toujours la vitrine officielle du théâtre iranien, le Fajr appartient avant tout aux artistes et aux spectateurs qui le font vivre année après année, indifféremment des événements et soubresauts sur la scène politique iranienne qui font régulièrement la une des médias occidentaux.