Le recours aux mandats d’arrêts internationaux, dits « notices rouges » émis par Interpol est mis en cause par des ONG de de défense des droits de l’homme.
Interpol devait servir à renforcer la coopération entre les forces de police inter-Etats pour lutter contre la criminalité, mais après une analyse approfondie de son système de règles, Interpol laisse apparaître des points faibles qui pourraient porter le flanc à des abus.
L’organisation, fondée en 1923 et basée à Lyon, est maintenant dans le collimateur de certaines organisations de défense des droits de l’homme du fait de son utilisation des « notices rouges », des avis de recherche utilisés par les Etats pour des mandats d’arrêt internationaux.
Avec le système « i-link », mis en place en 2009, un pays peut enregistrer directement dans la base de données d’Interpol l’identité d’une personne recherchée, ce qui rend ces informations immédiatement accessibles à la police des 188 pays membres. Une fois publiées, les notices rouges encouragent les pays à arrêter les personnes signalées. Le problème est que parmi ces pays, il en existe certains dont on peut douter du caractère démocratique. « Interpol n’enquête pas sur le contenu des avis de recherche. Ceci donne la possibilité à certains États de les utiliser pour capturer les dissidents en fuite », a déclaré l’avocat polonais Wojciech Madrzycki, expert en matière de coopération judiciaire internationale et avocat de Muratbek Ketebayev, militant et opposant politique Kazakh, arrêté par Interpol en Pologne sur un mandat délivré à Astana.
Irrégularités commises par Interpol
En 2012, Interpol a publié 8132 plaintes, soit une augmentation de 160% par rapport à 2008. La plupart d’entre elles viennent de pays où l’on constate de graves atteintes aux libertés civiques et politiques : la Biélorussie, la Russie, l’Ukraine, la Turquie. Il existe une longue liste de cas d’avertissement dont la motivation est de nature politique.
Le 31 mai 2013, le département Interpol d’Astana, au Kazakhstan, a envoyé une note très détaillée à la police italienne, de façon à l’aider à identifier et capturer Alma Shalabayeva, l’épouse de Moukhtar Abliazov, opposant politique kazakh capturé à son tour deux mois plus tard à Cannes, en France, sur mandat de l’Ukraine. Alma a été accusée de vivre en Italie avec
de faux papiers, mais la fondation Open Dialog, qui suit cette affaire, parle d’une véritable extradition, réalisée dans le seul but d’obtenir des informations sur Abliazov. « Nous nous attendons à ce qu’Interpol diligente des enquêtes qui constitueront une obligation, mais en réalité, du moins pour ce qui est des notices rouges, on se limite à une fonction exclusivement matérielle : obéir à une demande d’arrestation sans vérifier les accusations», s’explique Ernesto Gregorio Valenti, un des avocats de madame Shalabayeva.
Le cas de Moukhtar Abliazov, en revanche, est d’actualité ces dernières semaines. Le tribunal d’Aix-en-Provence s’est prononcé en faveur de l’extradition le 8 janvier dernier, mais le dernier mot reviendra au ministère de la Justice, comme c’est le cas habituellement. Le mandat d’arrêt contre lui a été demandé par l’Ukraine et la Russie, pas par le Kazakhstan, étant donné qu’Astana n’a pas signé de traité d’extradition avec Paris. La seule certitude – a déclaré Antonio Stango, secrétaire de la Commission italienne Helsinki pour les droits de l’homme, c’est qu’aussi bien en Ukraine qu’en Russie, Abliazov risque un procès entaché d’irrégularités.
En outre, il n’existe aucune garantie que ces deux pays ne viendraient pas à décider de le transférer au Kazakhstan, où sa vie serait en danger. Abliazov était ministre de l’Énergie du Kazakhstan, mais il est tombé en disgrâce sous la présidence de Noursoultan Nazarbaïev, au pouvoir depuis 23 ans, qui l’a fait accuser de corruption. En fait, les désaccords sont apparus au moment où Abliazov a fondé un parti politique, «libéral-démocratique» en opposition au Président. Il a été arrêté, puis au bout de six mois, amnistié par décret présidentiel sous réserve d’un engagement à ne plus faire de politique. Pour Anna Koj de la fondation Open Dialog, il est évident qu’il s’agit d’une demande d’arrestation instrumentalisée et dictée par des motivations politiques.
Le dernier rapport de Fair Trials International, « renforcer les droits de l’homme, » confirme les dits soupçons.
Même si Interpol vient à supprimer une alerte, il est nullement dit que les services de police de tous les pays membres fassent de même, indique Fair Trials International, une ONG britannique, ce qui provoque une irrégularité grave dans le fonctionnement du système. Cela signifie qu’une personne à qui il est reconnu le statut de réfugié, ou dont l’extradition est refusée par un juge, n’est pas automatiquement protégé dans un autre pays, si il décide de partir. Cela est particulièrement évident à l’intérieur de l’Union européenne. « Je connais plus de 250 militants Turcs et Kurdes réfugiés en Europe qui ont des problèmes avec Interpol « , reconnait Ali Caglayan, dissident Turc réfugié en Allemagne.
Le cas d’Alexander Pavlov
Aujourd’hui, un autre cas urgent est celui d’Alexander Pavlov, garde du corps d’Abliazov et l’un des principaux critiques du Président du Kazakhstan, M. Nazarbaïev. Son extradition a déjà été
autorisée par le tribunal espagnol Audiencia Nacional et son nom apparaît encore parmi les personnes recherchées par Interpol. Aujourd’hui, seul le gouvernement espagnol peut bloquer son extradition, mais l’Espagne est le seul pays de l’UE à avoir signé un traité d’extradition avec le Kazakhstan en Novembre 2012. » Ils l’accusent de terrorisme, mais tous les éléments qui existent permettent d’estimer qu’il s’agit d’une persécution politique « .
A Astana, Pavlov risque de subir des tortures ainsi qu’un procès entaché d’irrégularités », prévient Anna Koj, de la fondation polonaise Open Dialog (« Dialogue Ouvert »). Et ses collègues, auteurs du rapport « sur le détournement du système Interpol », indiquent clairement que les accusations de nature économique et de terrorisme, en général, sont celles qui sont privilégiées afin de formaliser un mandat d’arrêt contre des dissidents, car elles nécessitent des éléments de preuve beaucoup plus faibles que pour d’autres types de délits.
L’article 3 de la Constitution d’Interpol interdit la participation de l’organisation à toute action militaire, de discrimination raciale, politique ou religieuse, tandis que l’article 2 exige que chaque opération soit effectuée conformément à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Deux principes parfaitement énoncés sur le papier, mais trahis dans les faits par un système qui, n’enquêtant pas sur le contenu des accusations, traite de la même façon un signalement provenant de la Norvège ou de la Biélorussie ou l’Ukraine.