L’Egypte a choisi : vingt millions d’Égyptiens ont voté les 14 et 15 janvier derniers la nouvelle Constitution égyptienne, d’inspiration plutôt libérale, qui met un terme définitif à la parenthèse tumultueuse des Frères musulmans que dix millions d’Égyptiens avaient pourtant porté au pouvoir en juillet 2012. L’Égypte enterre une précédente Constitution qui était taillée pour la Confrérie plus que pour les Égyptiens et qui aurait plongé durablement le pays dans une régression sociétale dont les classes moyennes et l’élite ne voulaient à aucun prix.
Les Égyptiens paieront-ils au prix fort ce renversement de l’histoire et le prix de leur liberté ? Plusieurs attentats ont ensanglanté la capitale cairote ces dernières semaines. Le QG de la police a été détruit et l’on dénombre déjà plus de 200 policiers tués depuis juillet 2013.
Trois années de révolution
L’Égypte a donc passé dans la douleur le cap des trois ans de sa révolution, de son printemps arabe. Dans la douleur mais non sans espoir…
Le scénario égyptien est inouï dans sa fulgurance et la brutalité des changements de voie : l’An 0 de la révolution du 25 janvier 2011 fait tomber Moubarak. L’An 1, 2012, est marqué par l’accès au pouvoir des Frères musulmans par les urnes puis l’adoption d’une Constitution sur mesure pour la Confrérie islamiste. La mise en œuvre d’un programme de gouvernement au rouleau compresseur fait de Mohamed Morsi un nouveau pharaon aux ordres de la Confrérie.
L’An 2 de la révolution commence dès le 30 juin 2013 avec la révolte du peuple contre les islamistes, déclenchée par les jeunes du mouvement Tamarrod (« rébellion » en arabe) et récupérée ensuite par l’armée et son chef, le ministre de la Défense et président du Conseil suprême des forces armées : Abdelfatah Khalil al-Sisi. Le 3 juillet 2013, l’armée dépose le président Morsi, réprime les Frères musulmans, les classe comme une organisation terroriste. En même temps, avec la plupart des corps de la société, l’armée engage une feuille de route prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution (on en est là aujourd’hui), l’élection d’un nouveau président de la République d’ici trois mois et d’un Parlement dans la foulée.
L’An 3 de la Révolution risque fort d’être le moment de vérité : l’Égypte se construira-t-elle enfin dans un cadre « sécurité – liberté » ? Ou sombrera-t-elle dans la violence (terrorisme, guerre civile) que les 1000 morts parmi les Frères musulmans, les trop nombreuses arrestations, même dans les rangs des jeunes (le collectif du 6 avril composé de jeunes révolutionnaires « libéraux » a été largement décimé) et la mise à l’écart d’un président légitime du point de vue des formes mais délégitimé par la politique qu’il a menée, pourraient susciter en représailles.
Quel retournement de l’histoire ! Comment en est-on arrivé là ? En quoi l’Egypte catalyse-t-elle plus que d’autres pays le combat de deux modèles qu’ont exacerbé les révolutions du printemps arabe : les islamistes contre les modernistes ? La France et les Français, si proches des Egyptiens depuis l’expédition de Napoléon, et qui se réclament eux-mêmes de leur propre Révolution, ont-ils compris ce qui se joue au pied des pyramides ? L’histoire donnera-t-elle plutôt raison à la Tunisie qui, début février, adoptait pacifiquement une Constitution de compromis avec les islamistes d’Ennahdha ? C’est tout l’enjeu des mois et années à venir.
Enquête et entretiens au Caire.
Sommaire :
Mardi 11 février : L’Égypte déchirée entre liberté et terrorisme et Une certaine idée de l’Égypte
Mercredi 12 février : Une démocratie armée
Jeudi 13 février : L’Islam contre les islamistes
Vendredi 14 février : Les « crimes » des Frères musulmans
Lundi 17 février : La France et l’Égypte : une passion réciproque / L’avenir appartient au peuple ?
Mardi 18 février : « Il faudra du temps pour sortir d’un système dominé par l’armée ». Entretien avec Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient