Les Frères musulmans ont été élus démocratiquement en 2012. Comme en Tunisie, c’est par défaut que les Islamistes ont été portés au pouvoir, précisément par défaut de forces alternatives constituées et crédibles.
Ils ont été élus selon un processus contradictoire : élisant tout d’abord un Parlement puis un Président de la République (Mohamed Morsi), c’est ensuite seulement, une fois au pouvoir, et au pas de charge, que les Frères musulmans ont fait voter par référendum une Constitution taillée sur mesure qui restreignait fortement les libertés fondamentales. Il eut été plus logique en 2012 d’adopter la Loi fondamentale avant de choisir ses gouvernants. C’est la voie qu’a choisie ensuite la feuille de route fixée en août 2013. Les choix de fond avant la forme… Pour dire les choses autrement : si les Égyptiens avaient su à l’avance les vrais desseins des Frères musulmans, ils ne leurs auraient peut-être pas confié les pleins pouvoirs.
Mais pourquoi tant de haine contre les Frères musulmans ? C’est peut-être la clé de l’imbroglio, de la violence et des espoirs que recèle la situation présente.
Morsi contre une certaine idée de l’Egypte
« Les Frères musulmans s’en sont pris à tout ce qu’aiment les Égyptiens : le cinéma, l’humour, la danse, la gaité », explique le porte parole de la présidence de transition, M. Ihad Badawi. Ensuite, « les soubresauts de l’histoire, l’invasion romaine, la colonisation, rien n’a su porter atteinte à l’intégrité et à l’unité de l’Égypte. Notre terre n’a jamais été divisée en 6000 ans. Avec les Frères musulmans, en moins d’un an, on a vu Morsi promettre aux Soudanais de leur céder une de nos régions tout au sud du pays. Il s’apprêtait à autoriser l’expansion du territoire de Gaza sur 60 km de terres égyptiennes. Qu’auraient-ils fait du Canal de Suez, notre source principale de revenus avec le tourisme ? », conclut le porte-parole.
La Constitution Morsi contrevenait également en de nombreux points tant à l’héritage de l’Égypte moderne qu’aux normes internationales de respect des droits humains : par exemple, l’inégalité entre les hommes et les femmes se trouvait consacrée dans la Constitution de 2012.
Morsi a monté les coptes contre les musulmans alors que les Égyptiens n’ont jamais eu de problèmes ni avec les chrétiens ni avec les juifs en tant que tels.
Les Frères musulmans portaient un projet de destruction de l’État-nation égyptien à partir de l’idée que la nation des musulmans n’a pas de frontière politique. On avait l’impression que Morsi était aux ordres de forces étrangères (le Qatar, les imams les plus extrémistes réfugiés à Londres). Fait étrange : la Confrérie, qui était interdite sous l’ancien régime, n’a pas été légalisée sous Morsi, restant cette pieuvre invisible accusée de prendre ses ordres secrets ailleurs.
Mohamed Morsi a enfin commis un crime de lèse majesté contre l’armée en invitant aux célébrations de la « victoire » du 6 octobre 1973 les assassins du président Saddate.
Alors que les jeunes criaient en 2011 : « à mort Moubarak », pendant l’été 2013, ce n’est pas « à mort Morsi qu’on entendit », mais des slogans contre la Confrérie. Morsi n’était qu’un pantin. Et c’est un des griefs reprochés aux Frères musulmans : du simple responsable local, souvent très sympathique pris isolément, au président lui-même, les Frères musulmans semblaient aux ordres de forces invisibles.
Il y eut enfin cet entretien téléphonique entre le président Morsi et Ayman al-Zawahiri, successeur de Ben Laden à la tête d’al-Qaïda : c’est ce dernier qui donnait des ordres au président de l’Égypte. C’en fut trop pour trop d’Égyptiens.
En moins d’un an, Morsi a voulu profondément changer le pays. La violence de l’armée, en réaction à cette politique suicidaire pour l’Egypte, fut à la hauteur des desseins des Frères musulmans : plus de 1000 islamistes ont été tués, des milliers arrêtés, l’organisation a été classée comme terroriste. Il ne s’agit pas ici de légitimer ni de justifier cette attitude mais d’en expliquer les ressorts.
L’enjeu est désormais de savoir si l’armée acceptera que les Frères musulmans, force politique majeure dans le pays, puissent d’une manière ou d’un autre réintégrer le jeu politique et si ces derniers accepteront de modérer leur vision d’un Islam politique. La poursuite ou non des violences quotidiennes en dépend.
Sommaire :
Mardi 11 février : L’Égypte déchirée entre liberté et terrorisme et Une certaine idée de l’Égypte
Mercredi 12 février : Une démocratie armée
Jeudi 13 février : L’Islam contre les islamistes
Vendredi 14 février : Les « crimes » des Frères musulmans
Lundi 17 février : La France et l’Égypte : une passion réciproque
Mardi 18 février : « Il faudra du temps pour sortir d’un système dominé par l’armée ». Entretien avec Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient