République centrafricaine
16H01 - mardi 18 février 2014

Partition de la Centrafrique, intox ou réalité ?

 

La question est sur toutes les lèvres des Centrafricains : se dirige t-on vers une partition du pays ? Tout est partie d’une rumeur, qui semblait s’accréditer de jour en jour à travers des paroles et des faits. Une rumeur à mettre à l’actif d’Idriss Déby, le président tchadien, personnage central dans le règlement du conflit mais qui s’affaiblit aujourd’hui. Explications.

 

Partition RCA

Ça s’est produit le dimanche 22 décembre dernier. Les Centrafricains ont entendu raisonner comme un coup de fusil cette phrase au goût amer : si dans une semaine la cohésion nationale n’est pas revenue, la séparation du nord et du sud du pays sera alors inévitable. L’auteur de cet ultimatum n’était autre qu’Abakar Sabone, ancien chef de faction de la Séléka et ancien conseiller spécial de l’ancien Chef d’État de la Transition forcé à la démission, Michel Djotodia. Ses propos ont été immédiatement condamnés par l’ensemble de la classe politique centrafricaine, des forces vives de la nation, des centrafricains dans leur ensemble.

Deux mois plus tard, alors que la tension monte dans Bangui la capitale de la République centrafricaine, entre des milices Anti-Balaka qui mènent des actions d’épuration ethnique en représailles sur la population musulmane, et des rebelles Séléka moins actifs dans Bangui et ses environs depuis la démission de Djotodia, mais qui continuent de perpétrer des exactions à l’intérieur du pays, les mots « partition  » et  « scission » se font à nouveau entendre. Ce sont les Séléka qui en sont à l’origine : une fois une région conquise, ils plantent le drapeau de ce « futur Etat ». Est-ce là véritablement une provocation ou la réalité de la future carte géographique de la RCA dessinée sur une base religieuse, avec le sud pour les chrétiens et le nord pour les musulmans ?  

Le Secrétaire Général des Nations Unies a estimé mardi dernier que l’éclatement de la République centrafricaine était tout à fait possible étant donné l’animosité entre chrétiens et musulmans. Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian, faisant échos aux propos de Ban Ki-Moon sur ce risque de partition, a quant à lui déclaré le 12 février, lors de sa visite en Centrafrique que personne n’accepterait quelque partition que ce soit, qu’il fallait absolument l’empêcher. « Pour la France, il n’y a et il n’y aura qu’une seule Centrafrique, qu’une seule Chef de l’État. Toute tentative de penser autrement rencontrera l’opposition de la France et celle de la communauté internationale », a-t-il indiqué.

La Chef d’État de la Transition, Catherine Samba Panza, qui accompagnait Jean-Yves le Drian a également affirmé sa volonté de ne pas céder un seul pouce du territoire centrafricain qui a toujours été uni et laïque.

 

Des enjeux énergétiques liés à la partition du pays

 

D’aucuns estiment que la partition de la RCA n’est que du « pipeau », de « l’intox » et qu’il ne faut en aucun cas donner du crédit à cette menace. Leurs arguments : la Séléka est définitivement anéantie psychologiquement et stratégiquement. Même si ses rebelles possèdent encore de l’artillerie lourde, leur plan a échoué car ils n’ont pu gouverner et diriger la RCA, leur chef, Michel Djotodia ayant pris la poudre d’escampette. Leur nature de bandit, de rebelle, de brigand a pris le dessus, ils ne savent que tuer, détruire, violer, voler, brûler, terroriser et il leur faut bien prétendre avoir un plan B, la partition de la RCA.

Certains milieux centrafricains estiment pour leur part qu’Idriss Déby, le Président du Tchad serait derrière cela. Il désirerait diriger la sous-région de l’Afrique centrale et régner en maître incontesté en favorisant l’implantation de l’Islam en Centrafrique, comme il l’a fait avec François Bozizé et Ange-Félix Patassé, tous deux anciens Présidents de la RCA, il désire avoir des

Idriss Déby, le président du Tchad  © Laure Vandeninde / Allpix Press

Idriss Déby, le président du Tchad © Laure Vandeninde / Allpix Press

pantins à la tête du pays afin de contrôler le bassin pétrolier de Doba et empêcher son exploitation par l’État centrafricain. En effet, le pétrole tchadien se trouve dans la même cuvette que les bassins de Doba, Dosséo et Mandouli. Il y aurait une autre raison également : la sauvegarde du lac Tchad par le transfert des eaux du fleuve Oubangui vers le Nord.

C’est ici que l’on devrait donc trouver les fondements de cette partition. Il faut ajouter à cela le nom de Jack Grynberg qui revient dès que l’on évoque l’origine de la Séléka et l’exploitation du pétrole centrafricain. Jack Grynberg aurait financé les rebelles de la Séléka pour lui garantir le droit exclusif d’exploitation du pétrole centrafricain une fois qu’ils seraient aux commandes du nord de la RCA. Le pétrolier et la Séléka auraient aussi garantis la non-exploitation du pétrole de la cuvette de Doba par la Centrafrique, mais plutôt son exploitation dans le bassin de Gordil. Ce qui reviendrait à ce que le bassin de Doba bénéficierait au Tchad et non à la Centrafrique. Les Centrafricains ne pourraient alors qu’exploiter le Bassin de Gordil (Doséo) et les deux autres dans le sud/sud-ouest de la RCA.

Pour mieux comprendre ces intentions, il faut faire une bref historique de la RCA : dans les années 2000, le président Ange-Félix Patassé avait accordé une large concession de terre au nord de la RCA (vers Gordil) pour que RSM Petroleum, propriété de l’industriel de Denver Jack Grynberg puisse y effectuer des forages et exploiter le pétrole souterrain. En 2004, le permis a expiré et le nouveau président François Bozizé a refusé de le renouveler car pour lui il était désavantageux pour la RCA. Dès lors, Jack Grynberg aurait juré de le faire tomber.

 

Déby au centre du règlement de la crise centrafricaine

 

Le président tchadien Idriss Déby Itno est donc un personnage central dans le règlement de la crise centrafricaine : il était à Paris vendredi dernier, pour rencontrer François Hollande et évoquer la situation en Centrafrique. A l’issue de cette visite, le président tchadien a déclaré être opposé à la partition du pays comme évoquée par les rebelles de la Séléka. Comment dès lors comprendre ce revirement ? Idriss Déby est contraint de réajuster sa politique : Les Anti-balaka ont semé la terreur contre la Séléka et contre les musulmans. Des membres des communautés sénégalaise, tchadienne, malienne, camerounaise, ivoirienne ont été rapatrié à cause des violences en Centrafrique.

Pour ce qui est du Tchad c’est une catastrophe. Il existe une monté de tension entre les communautés sudistes du Tchad qui reprochent à Déby d’être responsable des troubles en RCA. Les communautés nordistes quant à elles ont un esprit revanchard et souhaitent venger les tchadiens tués en Centrafrique. On se souvient des propos de Déby, fin décembre qui déclarait que le Tchad mènerait des actions de représailles contre les auteurs des crimes perpétrés contre les tchadiens en Centrafrique. La Tchad en proie à des conflits ayant déstabilisés le pays durant des années parvient juste à stabiliser son territoire. Ce n’est donc pas le moment pour le président tchadien de risquer la paix du Tchad en continuant sa politique de soutien à la Séléka.

Il a reçu hier Catherine Samba Panza pour une visite officielle de vingt-quatre heures pour évoquer les divers aspects concernant la situation qui prévalent en République centrafricaine. La question de la sécurité et du retour à la paix a constitué l’essentiel de leurs échanges.

Le Tchad reste ainsi la plaque tournante de toutes les discussions liées à la crise en République centrafricaine.

Journaliste, chef de la rubrique Centrafrique

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