Témoignage d’un Français présent ces derniers jours à Kiev dans le cadre d’un déplacement professionnel. Il décrit l’atmosphère et l’ambiance qui y règne alors que depuis deux jours, des combats très violents ont lieu autour de la Place Maïdan, haut lieu du rassemblement des anti-Ianoukovitch.
Je ne suis pas à Kiev pour participer à une révolution. Je suis ici parce que je suis directeur technique d’une start-up technologique basée à Londres et nous avons une équipe de développement en Ukraine.
Nous avons beaucoup de plans pour 2014 et cela faisait un certain temps qu’on envisageait de venir passer un semaine à Kiev pour une grosse session de design avec les développeurs. Le climat politique nous avait fait hésiter et la semaine dernière on a finalement décidé que c’était maintenant ou jamais donc j’ai pris mes billets et je suis arrivé dimanche soir.
La journée de lundi s’est passé sans problèmes. On est même allé faire un tour sur la place Maidan Nezalezhnosti (NDLR : la place de l’Indépendance à Kiev) pour voir le camp des manifestants : des tentes chauffées par des poêles à bois entourées de barricades. Impressionnant mais pas dangereux.
Mardi ça s’est gâté : mes collègues ont reçu des coups de fils et on est sortis du bureau en milieu d’après-midi pour se regrouper à mon hôtel de l’autre côté de la colline où est perché le monastère St Michel, en bas du funiculaire. Les autorités ont fermé le métro et l’hôtel a décidé de fermer son restaurant tôt pour laisser le temps à leurs employées de jour de rentrer chez eux.
Mercredi, on a passé la journée dans l’hôtel en se demandant comment ça allait évoluer. La rue qui normalement est très passante était quasiment vide : très peu de gens sont allés travailler. La tension était palpable mais on était en zone calme donc ça allait.
Ce matin, ça a plutôt bien commencé. Mais, vers 9h30, les infos se sont gâtées. On a commencé à voir des gens revenir du centre ville en groupes. Les employées de l’hôtel étaient très tendus. Ne parlant pas ukrainien ou russe, ma seule source d’info était l’internet et quelques commentaires en anglais, jusqu’à ce que mon chef d’équipe n’arrive et m’explique. Il a été direct et m’a dit « fais le check out, on va chez moi en banlieue et tu dors chez moi ce soir, c’est plus sûr ». Donc depuis cet après-midi, je suis dans la banlieue de Kiev, dans un endroit tranquille. La prochaine étape est demain, savoir si l’aéroport sera toujours ouvert et si mon avion partira. Il y a aussi des rumeurs selon lesquelles le métro devrait ouvrir de nouveau, ce qui serait une bonne nouvelle.
En discutant avec mes collègues, il est évident qu’ils préfèrent se rapprocher de l’Union européenne plutôt que de la Russie. C’est peut-être spécifique aux gens qui travaillent dans l’informatique vu que Kiev et l’Ukraine en général a un marché florissant dans les services informatiques.
Mais de façon plus primordiale, ce qu’ils veulent c’est revenir à la Constitution de 2005. Quand l’Ukraine est devenue indépendante en 1996, une première Constitution a été créée, donnant beaucoup de pouvoirs au président. Cette Constitution à été modifiée en 2005 pour une version avec un équilibre du pouvoir entre le président et le parlement. Peu après son élection, le président Ianoukovitch a fait annuler cette constitution pour revenir à la version de 1996, lui octroyant ainsi plus de pouvoirs. Pour les ukrainiens, il s’agit d’un retour en arrière qui va à l’encontre de leurs libertés.
Je fais partie des chanceux : si tout va bien, je serai de retour à Londres demain soir. Mes collègues et les employés de l’hôtel où j’ai passé la semaine ont tous été extrêmement calmes et candides même quand ils n’en menaient pas large mais pour eux, c’est loin d’être fini.