Alors que Washington renforce sa rhétorique de « regime change » à Kiev par le truchement d’une Union Européenne désœuvrée dans son approche diplomatique et que Moscou crie au « scénario Yougoslave » en Ukraine, 28 morts et près de 600 blessés ont été pour l’instant déplorés dans les violents affrontements qui secouent la capitale depuis le matin du 18 février.
Pourquoi ce regain de violence ?
L’un des enjeux politiques principaux à l’heure actuelle est le retour à la Constitution de 2004 et le passage à un système politique moins présidentiel. Lundi 17 février, le jour de l’application de la loi d’amnistie, trois projets de loi de modification de la Constitution avaient été enregistrés à la Rada (deux projets de l’opposition et un texte du Parti des Régions au pouvoir), la Chambre des députés ukrainienne.
Toutefois, le blocage de la tribune du Parlement n’avait pas permis l’enregistrement des projets de loi. Ainsi dès le lendemain matin, près de 20 000 manifestants de Maïdan s’étaient rendus aux abords du Parlement pour demander l’enregistrement desdits textes : l’intervention des forces de sécurité a rapidement conduit à des dérapages et une confrontation violente qui s’est propagée à l’ensemble du mouvement Maïdan. La mise en place d’un « ultimatum » par le ministère de l’Intérieur de mettre fin au mouvement de protestation à 18 heures n’a pas arrangé les choses et les violences se sont poursuivies dans la nuit. Selon l’AFP, on comptait 25 morts ce matin – dont au moins 10 membres de services de sécurité.
Poussé dans ses derniers retranchements, le Président Ianoukovitch a de nouveau démontré qu’il détenait le monopole de la violence physique légitime en Ukraine, n’en déplaise aux mouvances extrémistes qui ont phagocyté une partie du mouvement Maïdan. En effet, les manifestants se sont eux aussi dotés d’armes à feu létales, cocktails Molotov et autres projectiles explosifs dignes d’une guérilla urbaine.
Kiev n’est pas la seule ville affectée par le regain d’activisme anti-gouvernemental. Il est à noter que plusieurs bâtiments administratifs régionaux à Lviv, Ivano-Frankivsk, Ternopil et d’autres ont été repris par les manifestants, avec ou sans violence. Le concept de fragmentation voire de fédéralisation du pays, un projet de Moscou, est sur de plus en plus de lèvres.
Quelles conséquences politiques ?
Si une « trêve » a été signée entre le Président Ianoukovitch et les représentants de l’opposition tard dans la nuit, les discussions politiques ne devraient pas reprendre tout de suite, ce qui retarde d’autant plus la formation d’un nouveau gouvernement et une potentielle sortie de crise.
Les derniers développements n’augurent rien de bon pour le mouvement Maïdan : les Services de Sécurité (SBU) ont déjà fait passer le pays en « haut niveau d’alerte terroriste » et se sont lancés dans des opérations anti-terroristes contre les « groupes radicaux et extrémistes ».
Par ailleurs, le ministère de la Défense a renforcé la protection de certaines infrastructures en Ukraine et a annoncé être en mesure de participer aux opérations du SBU. De plus, il n’est pas exclu que le Président déclenche un état d’urgence limité à Kiev afin de prévenir tout nouveau départ de violence, d’autant plus que les affrontements se poursuivent autour de Maïdan, et ce malgré la trêve.
Pour l’opposition parlementaire, des heures sombres sont à prévoir : incapable de « détruire » le mouvement dans la rue, l’administration au pouvoir risque de passer par la justice et l’appareil de sécurité pour diaboliser ses ennemis. Ainsi, le SBU a déjà ouvert des enquêtes criminelles contre certaines personnalités politiques pour « tentative de prise de pouvoir » et « troubles massifs » à l’ordre public. La levée de l’immunité parlementaire de certains députés d’opposition n’est pas à exclure. Le Président a de nouveau, pour la énième fois, imploré que l’opposition se distance des « éléments extrémistes » présents sur Maïdan.
Quid des puissances étrangères ?
A la lumière des développements de ces dernières semaines, il apparait que Washington et Moscou se livrent à une guerre d’influence par proxy en Ukraine, l’Union Européenne se retrouvant à relayer le message américain de « regime change » et de médiation dans la gestion de crise. La présence de trois ministres européens à Kiev le 20 Janvier n’y changera rien : par son intransigeance répétée et son intégrisme quant au déblocage d’une aide financière, l’UE s’est discréditée elle-même au fil de son inaction. La mise en place de sanctions diplomatiques américaines et de possibles sanctions financières européennes risquent de semer le trouble sur le court terme, à l’avantage de Moscou – qui vient de débloquer un nouveau crédit de 2 milliards de dollars pour l’Ukraine.