Nuit du jeudi 20 février
La Rada vote la résolution « sur la condamnation des violences » : l’utilisation d’armes à feu est interdite pour les forces de sécurité et le SBU doit se replier de Kiev. 236 des 238 parlementaires enregistrés ont approuvé la motion. Dès samedi matin, le SBU met fin aux « opérations anti-terroristes » à Kiev.
Après 7 heures de négociations intermédiées par les ministres européens et un représentant russe, un accord « initial » est annoncé pour mettre fin à la crise ukrainienne. Seul le service de presse du Président fait part de la nouvelle, qui n’est pas directement reprise par l’UE et l’opposition.
Vendredi 21 février
Après une nuit relativement calme, le contenu de l’accord politique est dévoilé et tourne autour de trois points :
– formation d’un gouvernement de coalition (« union nationale ») sous 10 jours.
– retour à la Constitution de 2004 d’ici au mois de Septembre 2014 : la loi spéciale est votée le soir même lors d’une session de la Rada.
– l’organisation d’élections présidentielles anticipées dès que la nouvelle Constitution sera en place, mais ce pas plus tard que Décembre 2014. Une nouvelle loi électorale sera écrite et la Commission Electorale réorganisée d’ici là.
Malgré un accord particulièrement large, le « Conseil de Maidan » pose ses propres conditions :
– le limogeage du ministre de l’Intérieur par intérim Vitaliy Zakharchenko et du Procureur général Viktor Pshonka
– l’ouverture de poursuites pénales contre les politiques et membres de forces de sécurité responsables des violences
Le soir même, la Rada se réunit lors d’une séance extraordinaire, 386 députés sont enregistrés pour voter un maximum de textes en profitant de l’appel d’air créé par l’accord de « paix » :
– la loi de préparation au retour de la Constitution de 2004 est approuvée par les 386 députés (dont 140 du PRU)
– limogeage du ministre de l’Intérieur par intérim Vitaliy Zakharchenko (une des demandes du Conseil de Maidan)
– la libération de l’ancien Premier ministre Tymoshenko est approuvée par 306 députés (dont 54 du PRU). Elle pourrait être libérée rapidement, sous condition de la signature du texte par le Président Ianoukovitch.
– Une motion de censure est enregistrée à l’encontre du Président Ianoukovitch.
Des milliers de manifestants occupent encore les rues de la capitale : l’opposition est huée, malgré les accords, pour ne pas avoir rempli la demande de la démission immédiate du Président…
Samedi 22 février
Tôt le matin, le Président de la Rada Volodomyr Rybak annonce sa démission pour « raisons de santé ». Le vice-Président Kaletnik quitte également son poste.
Sans Président pour ouvrir la session, la Rada doit malgré tout reprendre les travaux aujourd’hui.
La Rada a repris ses travaux comme prévu et a pu faire passer un certain nombre de textes :
– Oleksandr Tourchynov (proche de Timoshenko) est successivement élu Président de l’Assemblée puis Premier ministre par intérim. Un autre proche de Timoshenko, Arsen Avakov, est élu ministre de l’intérieur par intérim
– Le Procureur général Pshonka est limogé – ceci était une autre demande du Conseil de Maidan
– En fin d’après-midi, la Rada vote la libération immédiate de Ioulia Timoshenko. Celle-ci sort de sa prison à Kharkiv et prend l’avion en fin de journée, direction Maidan. Elle annonce entre temps qu’elle sera candidate à la prochain élection présidentielle.
– A l’écrasante majorité (328 votes contre 0), le Président Ianoukovitch est destitué pour « violations massives des droits de l’homme » et « incapacité constitutionnelle d’exercer ses fonctions ». Depuis Kharkiv où il s’est exilé, le Président dénonce un « coup d’état » et refuse de quitter son poste.
– Les élections présidentielles sont finalement fixées au 25 Mai.
Les défections des parlementaires du bloc du Parti des Régions : 33 députés ont pour l’instant décidé de quitter le PRU, dont certains membres influents. Le vent tourne, au grés des intérêts de chacun, entre survie économique et pressions de Moscou.
Retranché à Kharkiv, Ianoukovitch aurait tenté de passer en Russie mais des garde-frontières l’en aurait empêché.
Un « comité de Kharkiv », représenté par les gouverneurs régionaux, refuse toujours, lui, de plier fasse à la fronde politique.
Le rôle de la Russie. Moscou se prépare au pire : des délégués du Kremlin sont à Kharkiv pour conseiller les restes du PRU (Parti des Régions d’Ukraine) et la Crimée a déjà officiellement demandé l’aide de l’armée russe en cas de problème. Le « comité de Kharkiv », sous contrôle russe, entérine symboliquement la partition du territoire.
L’équilibre politique au sein de l’opposition. Malgré le retour de Mme Timoshenko en grande force, sorte de martyre de l’ère Ianoukovitch, rien ne garantit que des joutes politiques interviennent entre elle, Yatseniouk et Klitchko pour le « partage des tâches » électorales en amont des élections.
l’Ukraine est de facto en défaut de paiement – ses réserves de change ne devraient tenir que jusqu’à début Mars – et Standard & Poor’s a rétrogradé le pays à CCC. Moscou attend une situation de « clarté » concernant la formation du nouveau gouvernement pour débloquer la nouvelle tranche d’Eurobonds de 2 milliards de dollars.
Dans la soirée, Ioulia Timochenko, libéré dans la journée, arrive à Kiev et sur la place Maïdan. Dans une chaise roulante, auréolée de ses tresses légendaires, elle remercie la foule, appelle les manifestants à rester sur place et promet de reprendre le combat politique.
Mathieu Boulègue avec Christine Dugoin