L’association IREA – Maison de l’Afrique et David Gakunzi organisent lundi 10 mars à 18h30 au théâtre de la Ville de Paris un débat public, avec Ray Lema et d’autres personnalités, sur l’art et les médias comme vecteurs de paix en Afrique. David Gakunzi appelle à la création d’une Fondation « arts et média pour la paix en Afrique ». Entretien.
N’est-ce pas audacieux d’organiser un débat sur la culture de la paix juste avant un concert pour la Centrafrique alors que ce pays se remet à peine des violences qui l’ont meurtrie ?
Au contraire. Une armée pour sécuriser un pays, de l’argent pour relancer l’économie, cela ne suffit pas. Comme le proclame l’UNESCO, « les guerres prennent naissance dans les esprits des hommes et c’est dans ces mêmes esprits que se construit la paix.
Pour reprendre le titre du concert de lundi soir, dont les bénéfices serviront à financer la reconstruction du centre culturel Lingatere à Bangui, détruit en 2013, nous devons dès à présent nous inscrire dans « le temps de l’Ubuntu », le temps de l’interdépendance, de la solidarité, de la construction du vivre-ensemble. L’un des défis des sociétés traversées par des violences et des guerres civiles internes comme celles qu’a connues la Centrafrique récemment, c’est de savoir semer les germes d’une culture de la paix. Et les médias d’une part, et les artistes d’autre part ont une responsabilité particulière en la matière.
Les médias et les artistes peuvent aider à faire partager un esprit de pluralité, de contradiction, d’égalité, condition de l’apaisement et de la pacification des esprits. Le vivre-ensemble, c’est l’affirmation de soi dans l’interdépendance à l’autre.
Quels médias ont joué un rôle concret dans la pacification des esprits au lendemain de conflits internes sanglants en Afrique ?
Je commencerai par un exemple négatif. Le Rwanda commémore le 7 avril le vingtième anniversaire de son génocide et la radio « mille collines » a préparé les esprits et joué un rôle décisif dans la brutalité et la soudaineté du génocide. A contrario, au Burundi, la radio « Renaissance et citoyenneté FM » a joué son rôle pour opposer au discours sur l’identité ethnique des grands partis politiques la voix du dialogue entre les parties. En Afrique du sud, des médias ont contribué à la réconciliation, des radios communautaires en Sierra Leone également. Les médias peuvent être aussi mortels que les kalachnikov. Ce sont des armes de paix comme des armes de guerre.
Et des artistes engagés pour la paix ?
Je citerai Ray Lema : quand il était au Congo (l’ex-Zaïre), il a essayé de former un Ballet national et une chorale composés de toutes les communautés.
Le Barenboim [le chef d’orchestre organise chaque année un concert avec des artistes palestiniens et israéliens, NDLR] africain ?
Exactement. Ray Lema synthétise à sa manière des influences du monde entier (jazz, Brésil…), il dégage en même temps une aura personnelle qui exprime la maxime de Senghor : « enracinement et ouverture ».
Vous savez, la paix n’est pas qu’un discours. C’est aussi une démarche. Comme le dit l’artiste So Kalmery : « lorsque je joue du piano, je ne choisis pas entre les touches blanches et les touches noires. J’ai besoin des deux pour constuire une harmonie. »
Que pensez-vous de ces artistes qui entrent en politique comme Youssou N’Dour et en repartent aussi vite qu’ils y sont arrivés ?
Il me fait penser à la chanson de Joe Dassin sur le rocker qui devient président de la République. Youssou N’Dour est parti de rien, il est un artiste, mais aussi un entrepreneur culturel. Au-delà de sa musique, il a une audience, une vision. Il représente une force dans la société sénégalaise. Mais la politique n’est pas aussi plaisante que la musique. Gilberto Gil a eu le même parcours. Il est bon que la politique soit parfois irriguée par la société et ouverte à des non-professionnels pour qu’elle sorte de sa langue de bois.
Propos recueillis par Michel Taube
Le débat sera suivi du concert pour la RCA :