Les Français parlent le persan sans le savoir et inversement… Les deux langues, d’origine indo-européennes, interagissent et se sont empruntées des mots et des expressions. Tour d’horizon et retour sur une longue histoire commune.
Le voyage des mots entre l’Iran et la France remonte à des temps anciens. Comme le persan et le français appartiennent à la même grande famille des langues indo-européennes, il est naturel de trouver des similitudes phonétiques dans la prononciation de certains mots. Et c’est souvent en recherchant les racines sur l’arbre généalogique des mots que l’on se rend compte de l’existence d’ancêtres communs entre le persan et les langues européennes, qu’elles soient germaniques, italo-celtiques, romanes, etc. Le persan serait plus proche des langues européennes que des langues parlées dans le Moyen-Orient comme l’arabe et l’hébreu, d’origine sémitique, et le turc, d’origine altaïque.
Pater noster
A propos d’ancêtres communs, prenons l’exemple des mots pedar et mādar qui signifient père et mère en persan et ont donné pater et mater en latin et père et mère en français. Dans un dialecte parlé aujourd’hui dans le nord de l’Iran, on ne prononce pedar et madar qu’avec une seule syllabe per et mer exactement comme en français. En persan, frère se dit barādar donnant brother en anglais, bruder en allemand, et fille dokhtar, tochter en allemand et daughter en anglais.
Divan
Avant Zoroastre (prophète iranien né en 1725 avant Jésus-Christ), plusieurs dieux, les dev ou div coexistaient dans la cosmogonie iranienne. Dans sa réforme religieuse et avec l’instauration du monothéisme avec un dieu unique appelé Ahura Mazda (Seigneur Sage), Zoroastre détrôna les dev qui devinrent alors des forces maléfiques, des dieux sataniques, que l’on appelle dive aujourd’hui en persan, synonyme de monstre dans le langage courant. Mais avant cette transformation, le mot dev commence son voyage à travers les populations indo-européennes et se transforme en deus en latin, Zeus en grec et enfin dieu en français. On retrouve encore la racine div dans l’adjectif divin, le nom diva (déesse !) et encore divan ! Le mot divan désignera la représentation des rois, et plus tard celle de l’Etat, qui percevra des taxes (ou badge en persan) au passage de ses frontières. Le divan donnera alors douane en français, et bâdje (la taxe) se transforme en péage : péage ne vient pas de la même racine que le verbe payer malgré sa proximité de forme.
Paradis
La grande majorité du territoire iranien étant composée soit de hauts plateaux, soit de grandes étendues désertiques, par conséquent arides, les Rois de Perse ont créé d’immenses réserves de verdure fraîche, pour se protéger de la chaleur et la sécheresse, qui servaient de lieu de détente et de chasse, que l’on appelait pardisse. Le mot paradis en français, paradise en anglais et même ferdows en arabe (ou le p n’existant pas, il devient soit b soit f) nous proviennent de ces jardins persans, verts, fleuris, frais et féeriques.
Les mots français en persan…
Si depuis des siècles, les mots persans ont traversé le monde d’est en ouest, transformés par le bouche à oreille de la tradition orale des voyageurs et la transcription d’un alphabet à un autre, le même phénomène s’est produit il y a plus d’une centaine d’années environ et concerne des mots français qui ont fait le voyage en sens inverse et se trouvent aujourd’hui ancrés dans le vocabulaire persan.
Certains mots français ont gardé le même sens qu’en en persan ou farsi (1) avec toutefois une prononciation « iranisée ». Ainsi amboulance, bérancard, chocolāte, pilissé, ājāne (agent) cinamâ, âliâge, piste, mèche, soupe, dessert, sâlâde, séchouoir, cârte, lampe, chominée, bâlcone, teâtre, âbâtjour, comode, idée, restourānn (restaurant) sont autant de mots français faciles à reconnaître et si bien inscrits dans le farsi que le touriste français interrogé par « Monsieur tout le monde » sur comment dit-on restourann en français, en entendant Restaurant s’exclamera : « Ah c’est comme en farsi ! » et non » Comme en français ! »
Certains mots ont changé de signification. Ainsi, aujourd’hui le mot corset se prononce corsett en farsi et signifie soutien-gorge. Le mantô (manteau) est l’uniforme des femmes dans la république islamique, ou le paquet se prononce pākāt et veut dire enveloppe. Une mâchine est une voiture, un mobl (meuble) un canapé ou un fauteuil et un bilitte (billet) est un ticket.
Et enfin, certains mots désuets dans le français courant d’aujourd’hui ont gardé leur signification originelle en farsi comme le mot paletot qui désigne un long manteau de laine, ou bien le mot toilette qui signifie maquillage comme c’était encore le cas au début du siècle passé en France.
Deux mots enfin, le pyjama et la babouche. Les deux viennent du persan pâi, le pied. Le pyjama est un vêtement de jambes issu de pâi (pied, jambe) et jama (vêtement). Et la babouche prononciation arabe (où le p se transforme cette fois en b), nous vient du persan papouche, c’est à dire pa (pied) et poush (couverture).
D’où viennent les emprunts linguistiques mutuels entre le persan et le français que l’on retrouve aujourd’hui dans les mots du quotidien des deux langues ? Les relations culturelles entre la France et l’Iran initiées au XIIIème siècle ? Des racines communes aux langues indo-européennes ? La fascination réciproque de ces deux cultures ?
Les relations culturelles entre la France et l’Iran ne datent pas d’hier. C’est au XIIIème siècle que les premiers missionnaires franciscains et dominicains sont envoyés en Perse Il-khanide et des missions y sont établies à Sultaniya, Maragha, Tabriz et Tiblissi.
Les traces d’une fascination mutuelle entre les deux civilisations remontent aux XVème siècle au temps de la dynastie Safavide. Deux moines franciscains sont envoyés par Richelieu à la cour de Chah Abbas (installée à Ispahan), ils y joueront les rôles de traducteur et de négociateur, importants à cette période. Silvestre de Sacy (1758-1838) et Abraham Anquetil-Duperron (1731-1805) sont les premiers orientalistes à étudier le persan et traduire les textes fondateurs en français. En 1838, Louis Philippe reçoit le premier envoyé officiel de la cour de la Dynastie Ghajar, suivi quelques années plus tard par Aminodowleh reçu par Napoléon III en personne.
Au XIXème siècle, cet intérêt et les échanges culturels se développent de façon plus marquée. D’un côté en France, Michel Bréal (en 1860), premier titulaire de la chaire de sémantique à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes puis au Collège de France, s’intéresse aux langues indo-européennes et au Zoroastrisme (religion de l’Iran pre-islamique). Il aura comme disciples plusieurs grands linguistes français tel que Antoine Meillet, lui-même maître d’Emile Beneveniste et de Georges Dumezil, pour qui une chaire d’études Indo-européennes sera créée au Collège de France en 1962.
D’autre part, en Iran, malgré le partage des influences entre la Russie et l’Angleterre dans la région à cette époque, l’anglais et le russe sont enseignés par les écoles françaises ! En effet, la fascination pour la langue et la culture françaises en Iran est à l’origine de l’ouverture des premières écoles françaises par les Lazaristes, d’abord à Tabriz en 1839, où se trouvait une importante communauté chrétienne, puis à Ispahan et enfin à Téhéran, où le lycée St-Louis ouvre ses portes aux fils de la diaspora iranienne en 1862. Peu après le lycée Jeanne D’Arc accueille les filles. La Mission Laïque ouvre son lycée en 1934 et, avec l’AEFE aujourd’hui, elle est toujours en charge de l’enseignement à l’Ecole Française de Téhéran.
- Les grandes familles de mots. Jean Claude Rolland 2012 ( Deuxième édition)
- Dictionnaire des mots français d’origine arabe (turque et persane). S. Guermiche, éditions du Seuil (2007).
- www.sabalan.fr Sadegh Keyhani
- Herodote. Récits de voyage livre IV.
- Wikipedia et Wikikidia: langues indo-européennes