Jean-Christian Amédée Mandjeka, enseignant-chercheur en Centrafrique, revient sur la disparition de son oncle, ancien haut responsable du gouvernement centrafricain, enlevé par des membres de la Séléka en décembre 2013. S’il demande la justice, pour son oncle et pour d’autres cas similaires, il adresse aussi un message d’apaisement au Centrafricains.
Qui est Mr Donatien Guimet et que s’est-il passé il y a trois mois ?
Jean-Donatien Guimet, paix à son âme, est mon oncle maternel, ingénieur électronicien formé à Orléans en France. Il est rentré à Bangui dans les années 1990 après l’obtention de son diplôme, avec un projet de mise au point d’une unité de production de solutés injectables (une gamme de sérums). Mais les turpitudes liées à la démocratisation de l’Afrique subsaharienne ont mis en veille les démarches de son projet.
Il s’est alors retrouvé parmi les activistes du Comité de Coordination pour la Convocation de la Conférence Nationale (CCCCN), puis est resté aux côtés du Jean-Luc Mandaba (Premier ministre de la République Centrafricaine de 1993 à 1995), paix à son âme, avec qui il a mis en place une ONG dénommée « SOS Santé » qu’il animait en tant que coordonnateur, depuis le décès de ce dernier. Il a notamment servi aux côtés de Jean Mette Yapende (ancien ministre de la Défense) comme Chargé de Mission particulier au Ministère de la Défense et au Ministère des Affaires Étrangères. Depuis 2002, il s’est retiré de la vie politique et assure la gestion de « SOS Santé » dont le siège social, pour ceux qui connaissent la ville de Bangui, se trouve à proximité de la clinique Chouaib. Il y reste souvent à longueur de journée à lire et à écrire, quelquefois à recevoir partenaires, parents, amis et connaissances.
C’est ainsi que le matin du 5 décembre 2013, après un coup de fil à la famille, il est parti de là à pied pour la Cathédrale Notre Dame de Bangui où il devait suivre la messe. A cause des nombreux mouvements de foules et de véhicules chargés d’hommes armés, il s’est arrêté devant la boulangerie « Les 3 canards ». C’est là que les journalistes de iTélé lui ont tendu leur micro et ont enregistré son interview. C’est également là que les éléments de la Séléka ont surgi de nulle part et l’ont kidnappé. Depuis ce jour, nous n’avons plus de nouvelles de lui.
Quelles ont été les réactions de la chaîne de télévision qui l’a interviewé ?
Une des premières réactions de cette chaîne a été de diffuser l’information le jour même. On y voit même les journalistes pris à partie, les propos sur la vidéo en témoignent. Le lendemain, j’ai envoyé un courrier électronique à la chaîne mais qui est resté sans réponse jusqu’à maintenant.
Et celles de l’Etat centrafricain ?
Des contacts ont été pris, et non des moindres, sauf qu’à cette période, l’Etat centrafricain était quasi inexistant. Il n’y a pas eu de relance de ce côté.
Quels reproches faites-vous à cette chaîne de télévision ?
D’emblée pas de reproches, car n’eût été leur présence en ces lieux et la diffusion de la vidéo, nous ne saurions peut être même pas ce qui est arrivé. Ne connaissant pas leur rôle dans ce contexte, je reste convaincu qu’au moment opportun, ils mettront à la disposition de la justice toutes les preuves matérielles et apporteront leur témoignage afin d’établir les responsabilités et apaiser la famille.
Avez-vous porté plainte ?
A ce jour, non!
Que réclamez-vous aux uns et aux autres ?
Pour moi, comme pour nombre d’entre nous, Centrafricains ou non d’ailleurs, nous demandons que justice soit faite, aussi bien dans ce cas que pour des cas similaires.
Aujourd’hui vous avez organisé une messe de requiem, est-ce à dire que vous vous rendez à l’évidence ?
Vous savez, la complicité qu’avait ma grand-mère de 81 ans avec son fils Jean-Donatien Guimet rendait jaloux, même la famille. Il a été difficile de l’informer dès les premiers instants. Elle risquait de tomber dans les vapes. Heureusement d’ailleurs que des précautions ont été prises avant. Mais, le deuil reste difficile, très difficile.
Quelle est votre analyse de la situation en RCA ?
Je reste sceptique sur le devenir de ce pays car malgré tout ce que nous avons vécu et continuons de vivre, le comportement des uns et des autres, et surtout des politiques, porte à croire qu’il nous aurait fallu une recolonisation : gouvernement pléthorique et cabinet présidentiel bondé, tension de trésorerie, c’est un euphémisme, administration territoriale pensant possible la tenue des élections en février 2015 sans savoir combien d’électeurs il y aura, ne fusse qu’à Boy-Rabe (un des principaux quartiers de Bangui). Je vous fais grâce du reste ! Mais par contre, les volontés de changement doivent se manifester in concreto, et certaines pratiques ignobles annihilées automatiquement. C’est un travail de longue haleine mais dont les signes précurseurs restent moins visibles.
Pensez-vous que nous pourrons retrouver une cohésion sociale entre les différentes communautés en RCA ?
La cohésion sociale est ébranlée certes, mais les communautés ont pris conscience que le vivre ensemble nécessite beaucoup de sacrifice de soi. Nous pouvons reconstruire ce que nous-mêmes avons détruit. Aujourd’hui en Centrafrique, chaque communauté sait de quoi l’autre est capable. Ainsi, le respect mutuel sera désormais une réalité. Toutefois, il reste à neutraliser certaines forces hostiles à l’ordre, et cela dans tous les milieux.
Quel est votre message à nos lecteurs et aux Centrafricains ?
A vos lecteurs, je suggère une analyse quotidienne de l’opinion que vous publiez, et une meilleure diffusion des valeurs qui y transparaissent. Aux Centrafricains, « Aimons notre patrie, bâtissons la pour notre fierté et celle de nos enfants ! ».
Je vous remercie.