« Tout redevient neuf et la terre se remplit de joie », Massoud Mirshahi a décidément l’enthousiasme communicatif quand il parle du Norouz – nouvel an persan, qui débute jeudi 20 mars. Massoud Mirshahi, médecin franco-iranien, est l’un des principaux organisateurs du rassemblement de dimanche 23 mars au Trocadéro où défileront les cultures des pays d’Asie centrale où se fête Norouz. Il revient sur cette fête avant tout populaire dont les origines remontent à plus de 2500 ans. Elle célèbre l’arrivée du printemps et elle invite les persanophones – et bien au-delà – à partager le début d’une nouvelle année.
En conjuguant des références aux rythmes naturels de la terre, à l’histoire et à la tradition mais aussi aux mythes et aux religions, le Norouz – littéralement « journée nouvelle » en persan – occupe une place essentielle dans l’imaginaire persan. Si le Norouz est ce moment exact où la terre change de direction dans sa course autour du soleil, il coïncide aussi avec le printemps et symbolise le réveil et la renaissance de la nature après le repos de l’hiver. Il puise également ses racines dans les origines de l’empire perse : il y a 2 573 ans, Cyrus, son fondateur, se déclare Roi de perse. Huit ans plus tard, un 20 mars, il prend les mains du dieu Bel-Mardouk et se déclare Roi de Babylone, affirmant ainsi qu’il n’imposait à personne ni la religion de sa famille, ni celle de son peuple.
Cette fête est plus présente dans le champ culturel occidental que ce que l’on croit. Elle imprègne jusqu’à notre calendrier grégorien. Massoud Mirshahi demande « pourquoi dit-on SEPTembre pour nommer le neuvième mois de l’année, OCTobre pour le dixième, NOVembre pour le onzième et DECembre pour le douzième ? » et il résout cette anomalie apparente : « Parce qu’il fut une époque oubliée où l’année commençait en mars avec le printemps… »
Une fête familiale
Ces racines pluriséculaires, dont Massoud Mirshahi nous rappelle la diversité, s’incarnent aujourd’hui dans une fête familiale qui entretient mythes et croyances traditionnelles. Toutes les familles se réunissent et nettoient de fond en comble leurs maisons en perspective des réjouissances. La maison doit être propre et la famille unie : ils attendent la visite des anges qui accompagnent les âmes des défunts et viennent constater le bonheur de leurs descendants et l’unité familiale. La tradition veut aussi que quand la fête se termine au bout de 13 jours et que les anges repartent, tout le monde sorte à l’extérieur pour accueillir le printemps.
Géopolitique de Norouz
Pourtant, malgré son ancrage dans l’imaginaire et son lien, pour les uns, avec la religion qui fait de Norouz une fête éminemment populaire, Massoud Mirshahi souligne l’ambivalence des pouvoirs politiques à son égard. Alors que dans les périodes préislamiques, comprenant sa dimension populaire et la légitimité qu’ils pouvaient en retirer, les pouvoirs politiques ont toujours entretenu et soutenu cette fête, ils l’ont au contraire combattue depuis l’avènement de l’Islam. Considérée comme païenne par certains textes religieux, les interprètes officiels de la loi musulmane ont souvent cherché à la disqualifier et à la faire disparaître, surtout en Iran. Depuis la révolution islamique, le pouvoir en place n’a jamais porté un regard bienveillant sur le Norouz et a cherché – en vain – à l’interdire dans les années 80.
Norouz n’est d’ailleurs pas pratiqué de la même manière en Iran et dans des pays voisins comme le Tadjikistan ou l’Azerbaïdjan. Fête strictement familiale en Iran (Téhéran est déserte en ces jours de printemps), elle donne au contraire lieu à de gigantesques rassemblements festifs dans les stades et les places des villes d’Asie centrale et au Caucase.
Massoud Mirshahi insiste pour appréhender Norouz au-delà du cadre strictement iranien ou persanophone. Indépendamment de leur ethnicité, de leur religion ou de leur langue, Norouz a été célébré depuis des millénaires par tous les peuples vivant en Asie occidentale et centrale – parmi lesquels Afghans, Azéris, Caucasiens, Kazakhs, Kurdes, Kirghiz, Tadjiks et Turkmènes. Massoud Mirshahi renchérit : « on peut aussi y rajouter une partie occidentale de la Chine, l’Inde, le Pakistan et même aller jusqu’à Zanzibar pour trouver les festivités du Norouz ». Au-delà de son message profond, le fait que Norouz ne soit spécifique ni à une ethnie ni à une religion en particulier, semble être l’une des principales raisons pour lesquelles il s’est érigé en héritage commun à tant de peuples différents.
Une trêve entre les nations
Massoud Mirshahi insiste ainsi sur le symbole politique fort que véhicule cette fête du printemps. Héritage commun à tant de cultures diverses, cette fête incarne la rencontre, la paix et le partage. Il nous rappelle que pour la fête du Norouz en Asie centrale, la tradition voulait que les peuples de cette région se réunissent, préparent en commun la nourriture et passent ensemble la nuit, à la belle étoile, attendant que « la lumière de la nouvelle année arrive sur eux. »
Volonté d’ouverture et de compréhension mutuelle : pour Massoud Mirshahi, ce sont avant tout ces valeurs que le Norouz incarne et pour lesquels il mérite de devenir encore plus populaire. En février 2010, grâce à la collaboration entre plusieurs pays, Turquie, Caucase, Iran et l’Asie central, l’UNESCO a ajouté la Journée internationale du Norouz à la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Une reconnaissance officielle de la France ?
Depuis quelques années, Barack Obama adresse officiellement un message souhaitant un joyeux Norouz aux Iraniens. Et si la France en faisait autant ? Massoud Mirshahi estime que la France ne s’engage pas suffisamment. La communauté persanophone est de plus en plus importante : on estime que plus de 30.000 personnes fêtent Norouz en France. De nombreuses personnes originaires des régions persanophones se sont intégrées, discrètement et souvent avec grand succès, en occupant des postes et des fonctions importantes. Elles sont, du coup, presque invisibles mais, chaque année, elles commémorent leurs racines et ravivent le printemps.
A la rencontre des festivants de Norouz
Quand on l’interroge sur le message qu’il aimerait transmettre aux Français, Massoud Mirshahi leur conjure de « faire la différence entre l’image que relayent les médias et les politiques sur l’Iran ou les pays d’Asie centrale et la diversité et l’hospitalité des habitants qui y vivent ». Comme un leitmotiv, il revient aux valeurs d’ouverture et de partage qu’incarne le Norouz et exhorte les Français à sortir ce dimanche : « Si le Trocadéro est aux couleurs du Norouz, c’est pour que tous les peuple d’Asie occidental et d’Asie centrale, persanophones ou non et Français se rencontrent, se découvrent et se connaissent.»