Quelques jours après la célébration des cinquante-cinq ans marquant sa disparition, dans un contexte de chaos généralisé où se trouve la République Centrafricaine, j’ai une pensée particulière pour celui que nos compatriotes affectionnent et appellent Président fondateur. Sans l’avoir vu ni connu car pur produit de l’après indépendance, comme la majorité des gens de ma génération, mais ayant lu et beaucoup appris sur lui, Barthelemy BOGANDA demeure l’icône du rassemblement, la seule référence de leadership et de gouvernance en Centrafrique.
Le plus illustre des Centrafricains
En clair il apparaît comme le plus commun dénominateur, à même de fédérer toutes les composantes de la nation centrafricaine ou de ce qu’il en reste, indépendamment des appartenances diverses : politiques, régionales, tribales, culturelles et/ou religieuses. Cet homme extraordinaire, né à Bobangui le 4 avril 1910, en avance sur son temps, fait partie de la race de grands hommes qui n’apparaissent qu’une fois par siècle et par Nation.
Homme aux multiples dimensions (élu de Dieu et élu des hommes), il a su à travers une vision claire tracer et montrer la voie à suivre. Curé, il a christianisé ses compatriotes de Grimari, Bambari, Bangassou et Bangui.
Homme d’Etat, après avoir quitté les ordres sacerdotaux pour se consacrer davantage au service de ses frères comme lui-même l’affirmait, par une lutte âpre contre le système colonial, en les libérant du joug de la servitude, de l’ignorance et du sous-développement. Ainsi, il sera successivement Député à l’Assemblée Nationale française, Maire de Bangui et Président du Grand Conseil de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) à Brazzaville.
Visionnaire et comprenant les dangers de la balkanisation qui ont ruiné dans l’histoire du monde les grands Empires et Etats, il a suscité sans succès la création des Etats Unis d’Afrique Latine, ainsi que l’initiative de la Grande République Centrafricaine devant regrouper les territoires de l’ancienne AEF. Incompris et combattu par le système d’alors, c’est en désespoir de cause qu’il fonda la RCA dans sa configuration actuelle en lui confiant tous les attributs d’un Etat moderne (Armoiries, devise hymne, drapeau …).
Mais sa plus grande action politique a été et reste la création au lendemain de la seconde guerre mondiale de son parti politique le Mouvement de l’Evolution Sociale de l’Afrique Noire (MESAN) reposant sur cinq verbes à savoir LOGER – SOIGNER – INSTRUIRE – NOURRIR – VETIR, eux-mêmes tirés de la doctrine sociale de l’Eglise catholique, base de son engagement, son instrument politique destiné à émanciper les peuples de son pays, l’Oubangui Chari, ou encore de l’Africain tout court.
Jamais président mais toujours président
Rappelons cependant que fonctionnant dans le cadre de la communauté française régie par la Constitution française d’octobre 1958 et jouissant d’une large autonomie, la République Centrafricaine du 1er décembre 1958 n’était pas indépendante. Par conséquent, à l’instar de ses pairs, excepté le cas notable de la Guinée de Sékou Touré, Barthélémy Boganda étant Président du Conseil (sorte de premier ministre). Il n’était pas un Chef d’Etat à proprement parler. C’est par abus de langage et par sa volonté expresse que le Président David Dacko, premier Président au sens plein du terme, lui a conféré ce titre de Président par reconnaissance.
La vie de Boganda sera marquée par la quête permanente du bien-être de « l’aefien », de l’oubanguien et du Centrafricain.
Pédagogue par l’exemple, il regroupait, organisait, enseignait, formait et montrait la voie. En témoignent ses multiples initiatives en matière de développement qu’il appelait lui-même ses fabriques artisanales (menuiserie, briqueterie, plantations et autres fermes et coopératives dont la SOCOULOLE) qui, déjà, lui permettaient lorsqu’il était prêtre, de moins dépendre des oboles de la Communauté et qui devaient aider ses compatriotes à s’auto-prendre en charge en comptant d’abord sur leur propre effort.
Au Palais Bourbon, avec l’appui de son ami l’Abbé Pierre, qui lui servait d’encadreur et qui a guidé ses premiers pas au Parlement et dans la fréquentation du tout-Paris politique d’alors, il a activement travaillé à l’abolition du travail forcé. Ses tournées, conférences et voyages en France, en Suisse et en Belgique lui permirent d’obtenir des fonds supplémentaires nécessaires au financement de ses projets et programmes de développement dans un contexte d’insuffisance et parfois de rareté des fonds métropolitains.
Lorsqu’on lit son discours « Enfin on décolonise » et ses autres écrits, ses rappels à l’union (d’où le fameux vae soli « malheur à l’homme seul ») et l’unité qu’il choisit comme le premier mot de la devise de la RCA, on comprend aisément la volonté de ce précurseur. Gagner les nombreux défis par un travail qui dignifie l’homme, en fait un véritable acteur et bénéficiaire de son développement, est une véritable leçon d’appropriation individuelle ou collective de son destin.
Même si tous les leaders centrafricains s’en sont réclamés pour les besoins de la cause, même si une certaine région s’en est à tort proclamée « propriétaire » et/ou « dépositaire» de ce patrimoine national ainsi que de son héritage pour exister politiquement, même si sa famille biologique a plus de droit moral sur lui, ce qui est légitime, nul n’a jamais traduit véritablement dans les faits les idéaux de ce révolutionnaire et HEROS NATIONAL.
A l’heure où « sa » République Centrafricaine se déchire dans une crise sans fin, dans un chaos fratricide, Boganda se retourne tous les jours dans sa tombe.
Aujourd’hui plongée dans les profondeurs de la gadoue d’une crise qui l’empêche d’émerger, une prise de conscience nationale et le retour aux valeurs sacrées par les filles et fils du Centrafrique s’imposent pour la sauvegarde des acquis de ce précieux héritage.
Pour tout dire, seul un sursaut national de toutes les Centrafricaines et de tous les Centrafricains avec l’appui des « aefiens », des africains latins et de cette France amie de toujours, présents en ce moment aux côtés de notre peuple perdu dans cette tourmente permettra d’éteindre l’incendie qui ruine l’édifice en partage, à nous légué par B. BOGANDA.
La RCA a été le dessein d’un homme qui, par sa volonté, l’a façonnée en dépit de la mosaïque de nos ethnies, régions, cultures et religions qui devrait en principe être notre richesse nationale. Une et indivisible il l’a créée, une et indivisible elle doit rester. Ainsi, de là où il se trouve, certainement avec nos ancêtres, Barthélémy Boganda sera fier d’avoir rêvé d’un havre de paix ouvert sur le monde.
Méritons de lui en poursuivant son œuvre dans la paix, la stabilité et la concorde.
Charles-Armel Doubane
Ancien Ministre de la République Centrafricaine
Ancien Ambassadeur auprès des Nations Unies