Alors que l’annonce, mercredi 23 avril, d’un accord de réconciliation entre les frères ennemis palestiniens – le Fatah, parti de Mahmoud Abbas, et le Hamas, le mouvement islamiste au pouvoir à Gaza – a majoritairement suscité des commentaires pessimistes annonçant la fin d’un processus de paix déjà totalement enlisé, Gilbert Benhayoun, président du Groupe d’Aix et professeur émérite de l’Université Paul Cézanne d’Aix-Marseille III, propose une vision et une analyse beaucoup plus nuancées de la situation.
On ne peut pourtant guère parler d’optimisme, ni déceler une quelconque dose d’irénisme dans les propos de Gilbert Benhayoun. C’est dans une attitude qui relève beaucoup plus de la prudence et d’un optimisme raisonné qu’il s’inscrit. Il insiste, en effet, sur la nécessité de ne pas trop vite voir dans la réconciliation entre le Fatah et le Hamas les raisons d’enterrer le processus de paix israélo-palestinien.
Alors que les deux organisations se sont déchirées pendant plus de sept ans dans une lutte fratricide née du refus du Fatah de reconnaître entièrement la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006, les deux mouvements palestiniens se sont accordés sur la formation d’un gouvernement de consensus national dans les cinq semaines qui ont suivi leur annonce de réconciliation. Le nouvel exécutif devra organiser des élections législatives et présidentielles dans un délai de six mois dans tout le territoire palestinien.
A l’annonce de la réconciliation, les réactions négatives, aussi bien israéliennes qu’américaines, ne se sont pas faites attendre. Le gouvernement israélien a immédiatement annulé une session de négociations avec les Palestiniens prévue le soir même de l’annonce. Pour le ministre israélien des Affaires étrangères, le rapprochement des deux organisations met fin à la poursuite des négociations et Israël accuse le président palestinien, Mahmoud Abbas, de choisir « le Hamas et non la paix ». L’administration américaine, de son coté, estime que l’accord ne peut que « compliquer » les efforts de paix.
Or, si M. Benhayoun comprend aisément le manque de confiance et les réticences israéliennes, il considère que leurs réactions procèdent, si ce n’est d’une certaine hypocrisie, du moins d’une forme d’incohérence : « Le gouvernement israélien a inlassablement reproché à l’Autorité palestinienne de ne pas représenter tous les Palestiniens. Mais, si l’accord réussit, on peut, au contraire, considérer que c’est investi d’une légitimité accrue que le futur président de l’Autorité palestinienne pourra négocier dans le cadre du processus de paix. » Cette nouvelle légitimité devrait non seulement augmenter la garantie de sérieux des négociations, mais aussi conférer aux engagements pris par les Palestiniens plus de crédibilité, minimisant ainsi les risques de nouvelles revendications.
En outre, Gilbert Benhayoun estime que le retour éventuel de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza peut obliger Israël à reconsidérer sa politique de blocus dont la perception par la communauté internationale est désastreuse. Toute poursuite du blocus, éminemment préjudiciable pour la population, risque de profiter aux organisations extrémistes : Israël devra l’alléger sans pour autant remettre sa sécurité en cause.
« Le diable est dans les détails »
Mais pour que la réconciliation entre le Hamas et le Fatah ait la moindre chance de réussite, Gilbert Benhayoun relève cinq points fondamentaux sur lesquels les deux parties doivent s’accorder. Ces éléments, qui relèvent de la mise en œuvre effective de l’accord de réconciliation, posent non seulement d’épineuses questions sur lesquelles les deux parties ne se sont, jusque-là, jamais entendues, mais aussi sur la façon dont l’Etat israélien percevra et réagira aux contenus précis de ces accords.
La première question est de fond. La réconciliation passe très certainement par l’adhésion du Hamas à l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) et l’organisation se dit effectivement prête à franchir cette étape. Or, après la victoire du Hamas à Gaza aux législatives de 2006, le gouvernement palestinien a dû explicitement adhérer aux principes énoncés par le « Quartet diplomatique » (États-Unis, Union européenne, ONU et Fédération de Russie) à savoir la reconnaissance d’Israël, l’acceptation des accords antérieurs conclus entre Israël et l’OLP et la renonciation à la lutte armée. Quelle attitude le Hamas, mouvement qui tire toute sa légitimité de sa résistance contre « l’occupation sioniste » et de son refus de rejoindre l’OLP parce que cette organisation a signé les accords de paix d’Oslo, va-t-il adopter ? Si Gilbert Benhayoun estime que le Hamas n’acceptera probablement pas la première condition qui revient à reconnaître Israël de jure, il considère, par contre, qu’en intégrant l’OLP, le Hamas reconnaît, de fait, les accords antérieurs de celui-ci avec Israël.
Conséquence directe de l’intégration du Hamas à l’OLP, la seconde question qui se pose aux deux parties est la place que le Fatah, parti de Mahmoud Abbas qui détient la majorité dans les instances dirigeantes de l’OLP, va laisser au Hamas.
Le troisième objet de discussion qui risque de s’avérer problématique est le mode de scrutin pour les législatives prévues dans six mois. Alors que le Hamas avait remporté les législatives en 2006, le mode de scrutin avait pourtant été considéré par de nombreux experts comme favorisant le Fatah. Le mode de scrutin, comme le choix de faire de Gaza et de la Cisjordanie une seule circonscription, font ainsi partie de ces éléments très précis sur lesquels les deux organisations nouvellement réunies devront s’accorder. « Le diable est bien dans les détails » comme le souligne M. Benhayoun.
Quatrièmement, la mise en œuvre de l’accord devra prendre en compte l’échange des prisonniers que les deux organisations détiennent mutuellement l’une de l’autre. Alors que le Hamas a déjà libéré des cadres du Fatah, Gilbert Benhayoun se demande si l’Autorité palestinienne en Cisjordanie fera de même, et quelle sera alors la réaction israélienne ?
Le cinquième et dernier point représente peut être la question la plus sensible, notamment vis-à-vis d’Israël. Dans leur nouvelle configuration, les deux organisations doivent reconsidérer la coopération qui existe aujourd’hui entre l’Autorité palestinienne et les services de sécurité israéliens, tout en intégrant l’hypothèse désormais probable d’une fusion de leurs propres forces de sécurité. Cette fusion implique, de facto, la disparition de la branche armée du Hamas, les Brigades Izz al-Din al-Qassam, et pose la question de leur réintégration.
L’accord entre le Fatah et le Hamas peut être considéré comme une opportunité
Alors que Gilbert Benhayoun estime qu’avant de porter tout jugement, il faut patiemment attendre de voir comment ces questions complexes et sensibles vont être résolues par les deux organisations, il articule en même temps l’hypothèse d’une mue possible du Hamas qui représenterait beaucoup plus une opportunité qu’une menace. D’une position où l’objectif était l’islamisation de la Palestine et la reconquête de tout le territoire, le parti de la « ferveur » pourrait être en train d’évoluer vers une attitude beaucoup plus modérée.
En effet, Gilbert Benhayoun le rappelle, aujourd’hui, le Hamas qui accepte un accord représentant pour lui une réelle perte de pouvoir est, d’une part, un parti qui a désormais fait l’expérience concrète du pouvoir dans la bande de Gaza et, d’autre part, qui est réellement isolé et affaibli.
Non seulement l’exercice de pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2006 a contraint le Hamas à passer d’une éthique de la conviction à une éthique de la responsabilité mais, face aux difficultés de gestion et à un bilan nettement négatif, leur gestion des affaires a largement entamé leur crédibilité auprès des populations, aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie.
D’autre part, en s’affiliant aux Frères Musulmans et en choisissant de ne pas soutenir Bachar el-Assad en Syrie, le Hamas a perdu tous ses alliés. Alors qu’il est affilié au mouvement des Frères Musulmans, le Hamas a non seulement perdu l’appui de Mohamed Morsi, mais le nouvel homme fort égyptien, le général Sissi, a signé un décret qui déclare explicitement la confrérie comme groupe terroriste. En choisissant, par ailleurs, de s’opposer à Assad, le Hamas a perdu son soutien stratégique iranien. Si l’on rajoute à ces éléments, la pression israélienne, physique et militaire, extrêmement forte sur le Hamas et un blocus exercé par l’Egypte aux effets économiques, sociaux et humains désastreux dans la bande de Gaza, il se dessine pour le Hamas une situation qui le contraint effectivement à changer de cap.
Le verre à moitié vide ?
Pour Gilbert Benhayoun, toute modification du status quo est perçue par les Israéliens comme une menace plus que comme une opportunité. L’application stricte du principe de précaution les incite à considérer systématiquement que le verre est à moitié vide. Pourtant, Gilbert Benhayoun persiste à croire qu’il est à moitié plein.
Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun, comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem et le dossier des réfugiés.