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09H25 - lundi 19 mai 2014

« Nous devons transmettre aux enfants un message de paix et d’espoir »

 

Valérie Gueret, française, mère de trois enfants, mariée à un Centrafricain de la diaspora partage sa « perception franco-centrafricaine » de la grave crise que son pays d’adoption traverse. Secrétaire générale dans une ONG basée en France dont le but est d’aider la population centrafricaine en RCA, elle revient aussi sur les solutions qui lui semblent fondamentales pour reconstruire la RCA.


ValérieGueretVous êtes une Centrafricaine d’adoption et de cœur, comment analysez-vous la situation en RCA ?

La situation actuelle en Centrafrique me fait très peur car je n’arrive pas à y voir une issue favorable à court terme.

Ce chaos est le résultat de nombreuses années de mauvaise gouvernance de la part des différents chefs d’Etat centrafricains.

Je pense qu’il y a au moins deux générations de sacrifiées (celle de nos parents et la nôtre).


Que pouvez-vous dire des relations entre la France et la Centrafrique ?

Les relations sont très ambiguës. La France voudrait laisser la RCA régler ses problèmes mais se sent dans l’obligation d’intervenir en tant qu’ancienne puissance coloniale.

Du côté de la RCA, cette dernière revendique son indépendance politique et financière mais demande toujours l’aide de la France, d’où l’ambiguïté.

Comme je ne fais pas de politique, je ne peux pas m’étendre sur la question.


Comment percevez-vous les sentiments des Centrafricains vis-à-vis des Français et de la France ?

Les Centrafricains ont un sentiment plutôt négatif vis-à-vis des Français. Ce sentiment me semble encore plus accentué chez les Centrafricains de la diaspora.

Ils ont le sentiment que tout ce qui arrive aujourd’hui en Centrafrique est orchestré par la France et donc par les Français.

Ils nous tiennent pour responsable de tous les évènements actuels et nous traitent de voleurs (de diamants, pétrole, etc.).

J’arrive à les comprendre et je ne leur en veux pas car ils ont subi depuis des années des pillages et oppressions.


Vos enfants ont la double nationalité, que pensent-ils de la RCA ? Envisagent-ils d’aller y vivre un jour ? Sont-ils fiers d’être Centrafricains avec tout ce qu’on voit comme images ?

Mes enfants sont très fiers d’avoir les deux cultures. Ils sont beaucoup plus tolérants et respectueux de l’autre. Ils n’envisagent pas de partir définitivement en RCA mais voudraient bien y séjourner quelques temps.

Pour eux le pays de leur père est un très beau pays et sont très malheureux de voir l’état actuel dans lequel il se trouve.


Quelle est la priorité pour vous aujourd’hui en RCA ?

Aujourd’hui il faut que cessent ces atrocités.

Le peuple réclame la paix et désire vivre en bonne harmonie, pour un meilleur vivre ensemble. Pour que cela devienne une réalité, il serait souhaitable de commencer par le désarmement des individus non militaires, puis construire ou reconstruire le pays, reprendre l’agriculture ainsi que l’élevage. La population meurt de faim, c’est inadmissible

Un troisième point et pas des moindres, les enfants ainsi que leurs parents doivent être pris en charge sur le plan psychologique. Le travail doit commencer par l’aide des enfants car ce sont les adultes de demain. Ils ont assisté à des horreurs et n’en ressortiront pas indemne. Ce travail est primordial et urgent.

L’instruction à l’école est essentielle au développement de ces enfants et les années blanches doivent cesser.


Pouvons-nous parler aujourd’hui d’élections ?

Les élections vont être très difficiles à organiser d’ici février 2015. Je pense que c’est trop tôt car il n’y a pas vraiment de leader politique qui incarne le changement et l’évolution.

Il faut vraiment changer les mentalités, des candidats qui ne cherchent pas le pouvoir pour l’argent mais pour construire le pays.

Il est nécessaire de compter sur la jeunesse centrafricaine engagée qui se trouve en majorité en exil dans le reste du monde.

Ce changement de mentalité ne sera pas réalisable en quelques mois, cela mettra des années.

A mon humble avis, les prochaines élections ne changeront rien à la situation que vit la Centrafrique depuis son indépendance.


Comment voyez-vous le dialogue en RCA ?

Le dialogue ne pourra se faire sans compter sur les enfants et leur perception du monde.

Nous avons le devoir de leur transmettre un message de paix et d’espoir. Ce message peut être transmis par les enseignants, les psychologues et tous les acteurs travaillant auprès des enfants. C’est tout un programme qu’il faut mettre en route et vite.

Les messages passent mieux par le biais des enfants qui vont pouvoir les transmettre à leurs mamans et elles-mêmes vont le faire passer à leurs époux.

Les organisations religieuses, humanitaires et sportives doivent apporter leur aide aux enseignants ou psychologues dans cette tâche.


Comment la femme centrafricaine peut-elle se reconstruire ou peut-elle être reconstruite ?

La femme en général est un pilier dans un foyer ou un pays. C’est elle qui permet par sa sensibilité de régler beaucoup de problèmes.

En Centrafrique, actuellement, elle ne sait plus où est sa place. Dans bien des foyers elle est devenue le chef de famille suite au décès de son époux ou le fait que son époux ait été obligé d’aller se cacher en brousse pour sauver sa vie.

Il faut donc comme les enfants lui apporter un soutien psychologique afin qu’elle puisse prendre en charge sa famille dans des conditions favorables.

Lui permettre d’accéder à des formations professionnelles ou de remise à niveau pour qu’elle puisse créer des entreprises, accéder à des postes à responsabilité ou simplement accéder à un emploi serait un grand pas dans cette lourde tâche.

Plus que jamais, la femme centrafricaine est une pièce maitresse pour le pays et sa reconstruction.


Quel message aux français au sujet de la Centrafrique ? Quel message aux Centrafricains et aux lecteurs d’Opinion Internationale ?

La Centrafrique est mon pays d’adoption et j’en suis fière. C’est un pays très riche culturellement ainsi que son sous-sol et le peuple est très accueillant. Les étrangers en tombent vite amoureux.

Aujourd’hui c’est le chaos le plus total, mais avec l’appui et la contribution de tous, le pays peut se relever. Nous, la France, nous avons le devoir de tendre la main à ce peuple afin qu’il retrouve la paix intérieure. Nous n’avons pas le droit de le condamner pour les erreurs du passé et nous ne pouvons l’abandonner.

J’ai aussi envie de dire à tous les Centrafricains aimez-vous et aimez votre pays avant tout. La solution viendra de vous tous. Ne cherchez pas toujours l’aide des étrangers. Ils ne peuvent venir qu’en appui à vos actions. Les premiers acteurs et les plus importants, ce sont les Centrafricains et personne d’autre.

J’envoie aussi un appel à tous les chefs d’entreprises centrafricains. Allez investir en RCA car le pays a besoin de vous et il en sortira développé et construit.

La république Centrafricaine vient de faire un bond en arrière d’une cinquantaine d’années et ce n’est qu’en pensant autrement que le pays va se relever. Si rien n’est fait, rien ne change, les mêmes erreurs seront commises et ce sera le perpétuel cercle vicieux.

Ne vivons plus dans le passé. Aujourd’hui construisons votre, notre avenir.

 

Propos recueillis par Lydie Nzengou

Journaliste, chef de la rubrique Centrafrique

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