Europes
14H51 - mardi 20 mai 2014

Pourquoi l’Europe n’intéresse pas la France !

 

Dimanche prochain, les Français comme les citoyens des 27 autres pays de l’Union européenne voteront pour élire les nouveaux députés qui siègeront au Parlement européen de Strasbourg pour les cinq ans à venir. Pour la première fois, la plupart des partis ont désigné une tête de liste au niveau européen, qui deviendra le futur président de la Commission européenne. Pourtant, l’Europe semble bien lointaine en cette période de crise. Personne n’ose défendre le bilan de la Commission Barroso, désastreux comme s’accordent à le dire tous les observateurs. Cette élection devrait également symboliser la percée des partis d’extrême droite, dits national-populistes tel le Front national en France, qui devraient prospérer dans l’ensemble de l’Europe. En France, le FN pourrait même l’emporter, devant l’UMP et le PS, loin derrière. Explications.
  

Marine Le Pen à Paris, le 1er mai lors du rassemblement du Front national en hommage à Jeanne d'Arc

Marine Le Pen à Paris, le 1er mai lors du rassemblement du Front national en hommage à Jeanne d’Arc

Il y a un mois et demi, le gouvernement a subi une défaite très lourde aux élections municipales. « Raclée », « déroute », « sanction »… Aucun qualificatif n’était trop fort pour caractériser l’affront subi par le PS. Et pourtant, la curée ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin pour le gouvernement puisque l’on revote dimanche, le 25 mai pour les élections européennes. On imagine mal que le PS puisse endiguer le rejet dont il fait l’objet aujourd’hui et Manuel Valls et son « gouvernement de combat » ne devrait rien y changer.

Premier ou second, le FN sera le vainqueur des élections européennes en France

Si à l’échelle européenne, les derniers sondages publiés par l’institut PollWatch2014, qui recense l’ensemble des sondages effectuées dans les 28 pays de l’UE indiquent une légère avance pour le Parti Populaire Européen (l’ensemble des partis de droite européens dont l’UMP fait partie) sur le Parti Socialiste Européen, il serait en effet très étrange que les Français, six semaines après avoir sanctionné par l’abstention, le vote UMP ou Front national, les errements du gouvernement depuis l’élection de 2012, changent d’avis en un temps si court.

Plus inquiétant, les derniers sondages donnent le parti de Marine Le Pen alternativement en première ou seconde position en concurrence avec l’UMP mais surtout devant le PS, loin derrière. La campagne qui démarre risque en effet de voir les populistes de tous bord prospérer, à commencer par les partis d’extrême droite comme le FN en France. Faut-il s’en étonner ? Evidemment non.

Les eurodéputés français peu actifs au Parlement européen

En France, il est d’usage d’expliquer que « c’est la faute de Bruxelles » si l’on doit réduire nos déficits publics ou mettre en place telle ou telle réforme si bien que l’Europe est perçue comme un hydre invisible qui imposerait une politique aux Etats membres, contraints de s’y conformer. Pourtant, la Commission européenne n’est là que pour rappeler aux Chefs d’Etat et de Gouvernement les engagements qu’ils ont eux-mêmes pris au nom de leurs Etats. Mais cela, personne ne le dit.

La France se plaint beaucoup de l’orientation de l’Europe – à juste titre – mais elle en est l’une des premières responsables. En effet, elle envoie à Strasbourg des candidats inconnus du grand public. Qui connaît Pervenche Berès, tête de liste PS ou Alain Lamassoure, numéro 1 de la liste UMP en Ile-de-France en dehors des enceintes su Parlement européen ? Ce sont pourtant les meilleurs connaisseurs du fonctionnement et des enjeux de l’UE en France mais on ne les connaît pas. Les partis politiques français présentent également des personnalités connues du grand public, comme Brice Hortefeux et Rachida Dati pour l’UMP, Vincent Peillon pour le PS mais aussi les Le Pen père et fille ou Jean-Luc Mélenchon.

Des eurodéputés français peu impliqués au Parlement européen

On pourrait y voir un signe positif mais lorsque l’on y regarde les statistiques émises par Votewatch.eu, un site qui met en lumière l’activité des eurodéputés, on s’aperçoit que les Français sont très mal classés. En effet, selon ce site qui reprend les données émises par le Parlement européen, Rachida Dati se classe 461è sur 766, Jean-Luc Mélenchon est classé 677è, Marine Le Pen est 709è, Jean-Marie Le Pen est 717è et enfin Harlem Désir, qui devait être tête de liste PS en Ile-de-France avant d’être nommé…Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes se classe 752è… Cette ONG dont Jean-Luc Mélenchon dénonce la partialité reprend pourtant les données émanant du Parlement européen et offre divers classements, tels que la loyauté au parti dont le député est issu, le nombre de rapports signés ou encore, celui que nous prenons en compte dans ce classement, la participation aux votes. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que les élections européennes ne passionnent pas les Français et que le vote contestataire fonctionne si bien.

On trouve aujourd’hui peu de monde pour défendre le bilan de la Commission Barroso y compris parmi ceux qui l’avaient soutenu en 2009. Pourtant, on savait déjà son bilan médiocre à l’issue de son premier mandat entre 2004 et 2009. Il a malgré cela été reconduit pour un deuxième mandat avec le soutien d’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy notamment mais aussi de Gordon Brown, José-Luis Zapatero et José Socrates, trois des six chefs de gouvernement social-démocrate de l’UE en 2009. Pour quelle raison ? Il ne faisait pas d’ombre aux dirigeants européens qui ne couraient pas le risque de voir la Commission s’arroger le leadership.

Souverainistes ou fédéralistes, plutôt que droite ou gauche ?

En réalité, le Front national et ses acolytes européens peuvent voir venir l’avenir avec sérénité si les choses ne changent pas car ils surfent sur cette incapacité de nos dirigeants à définir un avenir commun. Pire encore, demain, Marine Le Pen n’aura pas besoin d’être au pouvoir car ses idées se seront en effet diffusées au sein des partis traditionnels. Un exemple ? Les Roms sont devenus les bouc-émissaires de la société, comme l’atteste le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). On se souvient du triste discours de Grenoble en 2010, dans lequel Nicolas Sarkozy assurait vouloir « démanteler la moitié des camps de Roms » dans les six mois qui suivraient…On sait ce qu’il en est advenu. A l’époque, la gauche n’avait pas de mots assez forts pour dénoncer cette politique. Fort est de constater que Manuel Valls l’a poursuivie et même amplifié le nombre de reconduites à la frontière, en contradiction avec les règles européennes.

Marine Le Pen dénonce « le système UMPS », mais peut-on lui donner tort car hormis sur les sujets sociétaux, les deux principaux partis de gouvernement n’optent pas pour des orientations politiques très différentes en matière économique. Il est d’ailleurs de plus en plus courant qu’au niveau européen la droite et la gauche forment des gouvernements de coalition. Depuis de nombreuses années, le clivage entre la droite et la gauche s’amenuise et l’ascension des populistes au niveau national comme au niveau européen pourrait bien voir émerger un nouveau clivage : ceux qui sont partisans du repli et pour lesquels les décisions politiques doivent être prises au niveau national et non pas au niveau européen et ceux qui considèrent au contraire que les dysfonctionnements actuels sont dû au fait qu’il faut harmoniser les politiques européennes et qu’il faut pour cela un gouvernement de l’Union européenne qui régisse la politique des Etats membres.

La France serait-elle plus forte si elle sortait de l’UE ?

Nous sommes à la croisée des chemins, il faut faire désormais faire un choix, faute de condamner l’Europe. La France a une histoire et une dimension internationale plus grande que certains autres pays européens mais faudrait-il pour autant renoncer à l’Europe en considérant que la France seule peut rivaliser avec des pays comme la Chine, le Brésil ou l’Afrique du Sud ?

Ironie du calendrier, le 25 mai, on votera aussi en Ukraine. Que doivent penser ces Ukrainiens qui, à Kiev, se sont battus durant tout l’hiver pour réclamer un rapprochement avec l’Union européenne plutôt qu’avec la Russie ? Nous constatons les difficultés qu’ont les pays européens à se mettre d’accord sur des sanctions vis-à-vis de la Russie mais qu’en serait-il si chaque pays devait prendre individuellement des mesures face à la déstabilisation de l’Ukraine ? Que le Front national et ses alliés populistes européens réclament une sortie de l’Europe, c’est leur choix mais que des européens convaincus à droite comme à gauche ne vantent pas les avantages à appartenir à l’UE, alors, il ne faut pas attendre grand chose des ces élections.

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