Reine C. Baume est une centrafricaine qui se définit comme une touche-à-tout : conceptrice en communication marketing, elle conçoit aussi des projets de développement socio-économique au service de l’Afrique. Elle partage sa vision sur la crise dramatique que son pays traverse et esquisse des solutions pour en sortir.
Parlez-moi de vos activités associatives ?
Certaines régions et certaines populations ne vivent que grâce aux actions associatives et caritatives, en temps de quiétude et plus encore en temps de crise.
En Centrafrique, aujourd’hui, les besoins humanitaires sont énormes. Nous avons assisté depuis le début de cette crise à la naissance de plusieurs associations particulièrement au sein de la diaspora centrafricaine qui œuvrent pour soulager les souffrances des nôtres, notamment Urgences 236 dont j’ai fait partie avant que d’autres besoins ne m’appellent ailleurs.
Ayant sous la main un projet intitulé Villages communautaires pour le développement qui avait été conçu dans les années 90 pour venir en aide aux mères isolées sans travail et sans formation en Centrafrique, je l’ai remis au goût du jour et adopté à la situation actuelle. Ce projet a pour but de recenser les femmes et les enfants qui ont subi de graves traumatismes physiques et psychologiques, de les accueillir dans un cadre serein et prévu à cet effet pour les former à un métier tant artisanal qu’agricole et de les réinsérer dans la société et la vie active.
Le travail de guérison est pris en compte dans le programme de ce projet. La guérison physique, mais aussi la guérison des traumatismes internes qui sont les moins visibles, mais les plus dangereux. Pour réussir ce challenge au niveau psychologique, nous sommes entrain de réunir une équipe de psychologues bénévoles comme il en existe très peu en RCA et j’y ai inclus les méthodes de sophrologie avec les thérapies de groupe pour faciliter l’échange entre les victimes et les pousser à s’entraider, d’où le nom de Villages communautaires pour le développement qui tombe sous le sens avec la division qui prône en Centrafrique.
En attendant, la création du premier village dans le village de Yatimbo à 47 km de Bangui, des cellules psychologiques servant à inciter les victimes à échanger sur leurs traumatismes sont entrain d’être mises en place dans les arrondissements de Bangui et ses alentours. Cependant, l’insécurité freine notre travail.
Ce projet est soutenu par l’association Lys de Chrystal que j’ai dû fonder avec l’aide de quelques Centrafricaines de la diaspora et une équipe médicale pour justifier nos demandes d’aide auprès des professionnels de la santé et des organismes internationaux.
Nous avons voulu montrer par la constitution dans le bureau de l’équipe de Lys de Chrystal, la diversité de la RCA en incluant toutes les religions et toutes les couleurs que compte notre pays, un pas vers l’unité nationale et un exemple à suivre. C’est un chantier colossal que nous avons choisi de mettre en œuvre en silence. Un vrai défi que nous comptons réaliser.
Comment apportez-vous votre contribution pour la reconstruction de la RCA ?
Il existe plusieurs manières d’aider à la reconstruction de la RCA et comme je le dis souvent, à chacun son combat. Mes formations et mon métier me poussent à voir le coté économique et social du développement en Afrique. C’est à ce niveau que j’agis.
Depuis 2005, j’investis en Centrafrique, dans la distribution. En 2010, j’ai contribué à créer des emplois avec ma société de Carrosserie, Ferronnerie Art & Déco, CFAD, qui est situé au Km4. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de CFAD à part deux postes de soudures et quelques outils. A l’entrée de la Séléka en mars 2013, le gros du matériel a été pillé. Mais, CFAD est entrain de renaître de ses cendres.
Enfin, en pleine crise en juillet 2013, j’ai réussi avec l’aide de mon associé, un opérateur économique congolais, à lancer M&B Agricom, une industrie agro-alimentaire panafricaine. Nous produisons en Centrafrique et au Congo RDC et nous distribuons sur quatre grandes villes d’Afrique : Bangui, Kinshasa, Brazzaville et Pointe Noire, ce qui m’a permis de créer des emplois dans divers secteurs en Afrique centrale, notamment en Centrafrique et au Congo RDC et bientôt au Congo – Brazzaville. Je crois dur comme fer à la réussite interafricaine.
Nous avons fait un pari fou, perdu beaucoup d’argent avec la perte de la production de janvier 2014 à cause de la fermeture des frontières, cependant, nous venons de distribuer sur Bangui la semaine dernière et à Kinshasa dès la semaine prochaine. Avec la production et la distribution nous avons créé plus de cent vingt emplois et à terme trois fois plus.
Ainsi, selon moi, il n’y a pas de petits acteurs économiques et en tant que femme d’affaires, la reconstruction de la RCA passe d’abord par le domaine économique et social. Elle passe par la création d’emplois par le biais des PME, le secteur privé étant l’avenir de la RCA et de l’Afrique toute entière. Elle passe aussi par la prise en charge partielle de l’assurance santé des employés par les sociétés qui les emploient, et par une aide scolaire. L’augmentation du SMIC en Centrafrique est aussi à prendre en compte. Un ouvrier agricole en RCA est payé 25.00 frs CFA, alors que chez M&B Agricom, il est à un peu plus de 100.000 frs.
Plus le secteur privé prendra de l’ampleur, plus vite la reconstruction du pays se mettra en marche. Mais, nous ne sommes pas aidés. L’état ne nous aide pas. Les banques en Centrafrique ne nous aident pas, car nous ne sommes pas résidents en RCA ; les banques de nos pays de résidence ne nous aident pas, car elles ne soutiennent pas les projets en Afrique.
Et, je comprends qu’il y ait très peu de Centrafricains de la diaspora prêts à prendre le risque, et se voir tout perdre.
Quand on me demande c’est quoi ton rêve ? Je réponds toujours, le grand patronat africain et si je pousse mon rêve encore plus loin, je dirai que je veux faire la Une de Forbes en tant que femme centrafricaine qui a réussi dans le business.
Vous êtes encore bien jeune, que pensez-vous de l’avenir de la jeunesse en Centrafrique ?
Comme nous le savons tous, le moyen de réussir son avenir est l’école. Ceci est tant valable pour ceux des milieux modestes que ceux des milieux aisés.
A chaque crise en Centrafrique, ce sont les élèves et les étudiants qui en payent les conséquences. Ceux qui attendent les diplômes d’Etat pour passer en classe supérieure sont bloqués. Le temps passe et l’engouement diminue. Ajoutez à cela, le découragement des jeunes qui redoublent à chaque crise. Ils deviennent adultes, trouvent de petits boulots et ne retournent plus en classe.
La situation de leurs ainés diplômés qui attendent leur intégration depuis dix ans ne les motive pas du tout en ce sens. Et le fléau qui veut que les diplômes centrafricains « ne valent pas un clou » hors de nos frontières ne fait qu’accroître les causes de leur démotivation. D’ailleurs, mes vœux à l’adresse de la nouvelle ministre de l’Education, quand elle partait diriger son ministère, était de se battre contre ces fainéants qui attendent les bras croisés que papa et maman leurs offrent leurs diplômes et leur donnent l’occasion de tuer des innocents en tant que médecin sans savoir ou en tant que professeur qui ne connait pas l’alphabet lui-même.
Je me rappelle qu’à mon époque, je faisais le yoyo entre les écoles publiques en temps normal et les écoles privées au moment des années blanches. Du coup, j’ai des collègues partout. Saint Charles et le lycée Pie XII qui sont mes établissements de bases, et le CPI et Lycée Jean Marie qui sont mes points de chute. Mais nous, en ces temps-là, c’était des petites guéguerres. Aujourd’hui, ce sont des grandes guerres, même ceux des établissements privés ne font pas cours puisque le problème est le risque de mort. Donc, tout le monde est bloqué.
L’autre atout pour l’épanouissement de la jeunesse de la Centrafrique se trouve domaine culturel. Les Centrafricains manquent vraiment de structures ou de soutien dans ce domaine, alors que beaucoup de métiers naissent de la passion.
Mon slogan personnel est : les rêves créent les ambitions. Les ambitions donnent des ailes pour réussir.
Qui auraient pu croire qu’aujourd’hui, je serai à la tête de quelques entreprises ou que je serai bardée d’autant de diplômes? J’ai eu une crise d’adolescence des plus terribles mais mon éducation et mes ambitions m’ont toujours été de bon conseil. Je faisais dresser les cheveux de la sœur Jouice, Directrice du Lycée Pie XII, des surveillantes du lycée ou des déléguées de classe. Bien que n’ayant jamais quitté l’école, je ne pensais qu’à m’amuser et au copinage…
Mais mon père a su comprendre ce qu’il fallait faire. Il m’a fait rentrer au Centre Culturel Français (CCF) où j’ai appris la danse, le théâtre et je passais des concours de lecture. J’ai profité de cette période pour apprendre ce que l’école ne pouvait pas m’apprendre. Et toutes ces expériences m’ont donné l’idée de ce que je voulais faire comme métier : la communication. Loin du rêve de médecine que caressaient mes parents pour moi.
Mais moi, j’avais la chance d’avoir un père qui avait les moyens de me payer l’entrée au CCF, de rattraper mes bêtises et de contrôler mes sorties… Mais, ceux qui n’ont pas les moyens et qui sont peut-être des futurs musiciens, cinéastes, sculpteurs… Comment feront-ils pour découvrir leur métier et les apprendre ?
Le CCF n’existe plus, l’Etat centrafricain n’a aucune structure de danse, ni de théâtre, ni de musique et n’organise pas de journées portes ouvertes de découverte. Même une salle de cinéma, un pays grand comme la Centrafrique n’en dispose pas.
Alors, ne parlons pas des émissions audiovisuelles qui pourraient les orienter, encore moins d’une piscine municipale… Rien ! Les jeunes passent leur temps dans les bars et les bals de jeunes les jours de semaine pendant la période scolaire pour boire et se risquer à attraper quelques maladies sexuellement transmissibles, faute d’occupation, de distractions de leur âge, de lois protégeant ou interdisant les mineurs contre des éventuels dangers pour leur vie et leur avenir.
Notre Etat n’aide pas ceux qui pourraient réussir autrement que par la voix de l’école. L’art et la culture y sont minimisés, pourtant, cela peut aider à cadrer et orienter les jeunes pour leur avenir.
L’éducation et la culture sont les armes contre toute défaillance de la jeunesse centrafricaine qui est l’avenir de notre pays. Mon oncle Prosper Mayélé qui peut être qualifié du père de la musique centrafricaine en est un grand exemple
Comment analysez-vous la situation actuelle de la RCA ?
La situation en Centrafrique dépasse l’entendement. Avec les médias qui nous la présentent sous toutes les formes, nous ne savons plus quoi penser. Les autorités en place ne nous rassurent pas sur ce qui s’y passe et ne communiquent pas sur le spectre de la partition qui fait le tour de la toile. Bien que très utopique comme idée, elle fait néanmoins peur.
La réconciliation des deux communautés qui font la Centrafrique est le seul moyen du retour au calme. C’est à cela que nous devrons la sécurité tant espérée, car si je protège mon frère musulman et que lui en fait autant pour moi, nous pouvons nous défendre de tout intrus qui voudrait du mal à nous et notre pays.
Hier encore cette entente mutuelle entre les deux communautés allait de soi. C’est triste aujourd’hui de penser qu’il faille batailler dur pour que cet amour fraternel revienne. En faisant cela, nous permettrons au gouvernement de sécuriser le territoire centrafricain, et nous pourrons aller aux élections, élire le chef qui prendra en compte la diversité de la RCA dans sa gestion de l’Etat et de tous les Centrafricains.
Que pensez-vous de cette opération de maintien de la paix qui sera opérationnelle en septembre 2014 en RCA ?
Quand l’annonce de cette opération et de la date de sa mise en place a été faite, j’étais à Kinshasa et je m’apprêtais à aller à Bangui. Mais, à Bangui, on me disait de ne pas venir à cause de la recrudescence des violences. A ce moment-là je me demandais qui serait encore vivant en RCA à l’arrivée de ces militaires de l’ONU en septembre ?
Mais, les jours passent et septembre se rapproche. Aujourd’hui, je n’ai qu’un souhait : que cette opération soit plus efficace que celles menées jusqu’ici depuis le début cette crise.
Quelle perception avez-vous des anti-balaka et des Séléka ?
Séléka ? Je pensais que ce groupe avait été dissout ? Si vraiment ils se battaient au nom des Centrafricains du nord qui ont été brimés et oubliés sous les précédents régimes, ils auraient dû arrêter leur mouvement à l’arrivée de la nouvelle cheffe d’Etat de Transition pour proposer des idées et des projets pour faire du Nord une région prospère. Mais, je pense que c’est le pouvoir qui leur tient le plus à cœur, car en continuant de tuer, ils pénalisent ceux qu’ils défendent et nous enfoncent chaque jour un peu plus dans le gouffre de la misère. Ce sont des trouble-fêtes tout autant que leurs homologues anti-balaka dont, par ailleurs, je trouve le nom assez ironique. Comment pouvons-nous être anti-balaka, et utiliser justement le balaka (machette) pour tuer et semer la zizanie ?
Si leur vengeance s’arrêtait aux membres de la Séléka qui pillent, violent et tuent, j’aurais peut-être un mot à dire à leur sujet. Mais, ils ont engendré eux aussi une grande désolation au sein de la population civile musulmane. De nos jours, la loi du talion ne réussit à personne. Eux aussi veulent le pouvoir. C’est blanc bonnet, bonnet blanc. Qu’ils déposent les armes, et se serrent les coudes pour faire avancer la Centrafrique.
Pouvons-nous parler d’élections maintenant en RCA ?
Beaucoup sont déjà montés au créneau. Mais qui irait faire campagne à Bangassou ou à Ndélé sans sécurité ? Les partis peuvent déjà se préparer, préparer leurs programmes, organiser des réunions.
Mais, sur le terrain, ils doivent d’abord aider la transition dans son travail de la reconquête de la paix et de réconciliation, de la justice et du redémarrage du système administratif, ce qui permettra le lancement des élections tant attendues. Sans cela, aucune élection ne sera possible.
Et le dialogue, comment l’envisagez-vous ?
Le dialogue de grande envergure, je ne vois pas comment le réussir si dans une même famille, les membres sont divisés. Chacun doit commencer à sensibiliser chaque membre de sa famille. Car en Centrafrique, dans un foyer il peut y avoir des chrétiens, des musulmans, des animistes. Puis, on élargit le cercle à ses amis, à ses collègues, à l’école ou au travail autour de mini débats et enfin, entre voisins, par le biais des réunions de quartiers. Au niveau municipal et par petits groupes, pas à pas, le mouvement prendra de l’ampleur au niveau national.
Cela viendra du cœur de chacun de nous. Le gouvernement ne peut pas aller de maison en maison, quartier par quartier convaincre, voir obliger les gens à pardonner. Beaucoup de dégâts, de dommages ont été causés. Le pardon est une offrande de soi, et non un acte politique et étatique. L’Etat ne peut que faire en sorte que ceux qui ont fait du mal puissent répondre de leurs actes.
Quel message aux Centrafricains et aux lecteurs d’Opinion Internationale ?
Aux Centrafricains, je dirai nous voulons avancer. S’enfermer dans le cercle vicieux de la haine et de la vengeance ne fera pas avancer les choses, ni nous rendre nos parents tués, ni nos biens pillés. Pardonnons, réconcilions-nous et allons crier justice devant les tribunaux pour que tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à cette division payent. Et plus jamais cela en Centrafrique !
Aux lecteurs d’Opinion Internationale, prenez exemple de la RCA pour que jamais les politiques ne puissent créer une situation aussi horrible dans un autre pays, dans le but unique de servir leurs propres intérêts au détriment du peuple. Donnez-nous des idées pour nous aider à nous aimer de nouveau.
Propos recueillis par Lydie Nzengou