Europes
12H15 - mercredi 21 mai 2014

Pour renforcer l’euro et non l’abandonner

 

Certains partis politiques jouent dangereusement avec de fausses « bonnes » idées quel qu’en soit le prix pour les citoyens européens : parmi celles-ci, l’abandon par la France de l’euro. La monnaie de 18 pays européens serait responsable de tous les maux et de la crise.

Pourtant l’euro a beaucoup apporté aux Français, contrairement à ce qu’en disent ses détracteurs.

Le symbole de l'euro tenu par une statue devant le bâtiment du Parlement européen à Bruxelles - décembre 2011 © Xinhua / Allpix Press

Le symbole de l’euro tenu par une statue devant le bâtiment du Parlement européen à Bruxelles – décembre 2011 © Xinhua / Allpix Press

L’euro serait inflationniste. C’est faux. On craint même maintenant la déflation, une baisse des prix… Selon l’économiste Agnès Bénassy-Quéré, l’inflation a disparu : selon Ameco (base de données macroéconomique annuelle de la Commission européenne), le panier de consommation s’est renchéri de 27 % en 15 ans (soit 1,6 % par an en moyenne sur la période 1999-2013), alors que son prix avait augmenté de 54 % durant les 15 années précédentes (2,9 % par an en moyenne sur la période 1984-1998).

Autre idée reçue. Les banques coûtent trop cher. Elles prêteraient à des taux trop lourds. C’est faux. Les taux d’intérêt n’ont jamais été si bas : selon la même source, les taux d’intérêt réels à long terme – c.a.d. le coût réel des emprunts – sont de 2,3 % en moyenne de 1999 à 2013, contre 5,4 % en moyenne les 15 années précédentes (1984-1998).

Autre critique récurrente : la France a perdu avec la Banque centrale européenne son indépendance monétaire.« Pendant toute la période qui précède l’euro, la France n’avait que l’apparence de la souveraineté monétaire car en réalité les taux d’intérêt étaient largement fixés par la Bundesbank. Aujourd’hui, la politique monétaire n’est plus décidée par l’Allemagne seule.»Donc, l’autonomie monétaire n’existe plus depuis longtemps pour la France, bien avant l’euro. Par ailleurs, l’abandon du franc a mis fin à la guerre des monnaies en Europe, où certains pays, France comprise, dévaluaient régulièrement leur monnaie pour retrouver de la compétitivité.

Les illusions et les dangers d’une sortie de l’euro

Dans un contexte de crise dans la zone euro, la tentation est forte de revenir au franc. Mais c’est là encore une idée simpliste.

Comme le souligne Agnès Bénassy-Quéré (une économiste française, membre du Cercle des économistes): « Nos principaux problèmes ne sont pas dus à l’euro. Nous avons la même monnaie que l’Allemagne et pourtant de bien moins bonnes performances que l’Allemagne à l’exportation. Le dynamisme de nos dépenses de santé n’est pas dû à l’euro. Notre droit du travail touffu n’est pas dû à l’euro. Notre politique du logement inefficace n’est pas due à l’euro. Notre émiettement territorial n’est pas dû à l’euro, etc.»

Revenir au franc, ce serait aussi, on l’a dit, la guerre des monnaies à l’intérieur de l’Europe. « Nous avons déjà vécu la vulnérabilité d’un régime de change fixe (on a oublié de nombreuses crises, dont la crise européenne de 1992-1993). L’idée d’une monnaie commune pour le commerce extérieur et d’une monnaie nationale est un leurre. Il combine en effet tous les inconvénients de l’euro sans les avantages. Le seul véritable régime alternatif est le régime de change flottant, comme aujourd’hui entre l’euro et le dollar.

L’artisan du sud-est ne serait plus à l’abri d’une soudaine dépréciation de 20% de la lire italienne. Le maraîcher du Languedoc ne serait plus à l’abri d’une soudaine dépréciation de 20% de la peseta espagnole, etc. Il est contradictoire de se plaindre de la « guerre des monnaies » au niveau mondial et de la souhaiter au sein de l’Union européenne.», souligne Mme Bénassy-Quéré, qui ajoute que les taux d’intérêt augmenteraient en France car les marchés auraient moins confiance dans la stabilité de la monnaie française.

Enfin, à moins de mimer la politique de la BCE (mais alors, à quoi bon revenir au franc ?), l’inflation resurgirait en France, rognant le pouvoir d’achat des plus modestes, lesquels ont peu de possibilités de s’en protéger. L’abandon de l’euro serait donc fortement nuisible.

L’euro peut encore apporter beaucoup

L’euro peut encore devenir une monnaie véritablement internationale comme le dollar. Selon
Agnès Bernassy-Quere, plus la monnaie européenne sera utilisée dans les échanges commerciaux mondiaux, plus cela « transfèrera le risque de change à nos partenaires commerciaux ». Le développement international de l’euro « engendre des flux d’investissements étrangers. Les bénéfices d’émettre une devise de réserve internationale sont majeurs ». On le voit pour les États-Unis.

L’euro appelle aussi à la discipline budgétaire, incitant les gouvernements à être moins dépensiers. Il incite le gouvernement français à mieux gérer les comptes publics: la France étant en déficit depuis les années… 1970 !

Vers l’union économique

Plutôt donc que d’abandonner l’euro, il faut aller plus loin dans l’union économique des Européens. Il faut créer un vrai budget pour la zone euro capable d’absorber les chocs économiques qui frappent de façon inégale les pays européens. Il faut pouvoir aider les pays touchés plus durement que d’autres par les crises.

Il est nécessaire, selon le think tank Europe & Entreprises, d’aller vers une union économique renforcée d’ici à 2020Alors que nos Etats gaspillent la moitié du PIB en prés carrés déconnectés, le principal chaînon manquant d’une union économique renforcée est le déficit d’approche budgétaire commune. Elle seule pourrait créer un effet de levier capable de relancer la croissance et l’emploi, les corsets imposés aux budgets nationaux pour discipliner leurs comptes ayant réduit à néant leurs propres marges de manœuvre. Une priorité devra être la mise en place dès 2015 d’un Institut budgétaire européen préparant une mise en cohérence des finances publiques, comme l’Institut monétaire européen l’avait fait pour l’euro ». Ce scénario est indispensable pour renforcer la zone euro.

Selon un sondage CSA paru le 9 mai, les Français apportent un soutien encore majoritaire à l’appartenance de la France à l’Union européenne mais ce soutien est en net déclin. La crise inquiète les Français et conduit certains, de plus en plus nombreux, à se défier de l’Europe.

Les hommes politiques europhiles doivent faire œuvre de pédagogie et assumer leurs responsabilités : défendre l’euro et ne pas en faire un bouc émissaire! Que les hommes politiques aillent à rebours des idées reçues et des illusions trompeuses. « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! »

 

 

Journaliste au Monde et chercheur associé à l'IRIS

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