Toujours plus affligé par ses chagrins financiers, paralysé par une victimisation profonde, méfiant et confus, l’électeur italien, appelé dimanche à choisir ses 73 représentants au Parlement européen, s’apprête en fait à participer à une répétition générale des prochaines législatives qui pourraient avoir lieu aussi tôt qu’en automne.
L’Europe a déçu : jadis le plus enthousiaste parmi les pays pro-européen, l’Italie se sent maintenant impuissante et fraudée. Face à un PIB qui est tombé au niveau de l’an 2000, seuls 46% des Italiens sont favorables à l’Union européenne tandis que 44% affirment vouloir abandonner la monnaie commune.
Pendant des années, Bruxelles a été, dans le désintérêt général, un réservoir de politiciens déchus à caser. Incompétents, absentéistes, maîtres de la sinécure, ceux-ci étaient mal équipés à pérorer les intérêts du pays. Cette situation a par ailleurs contribué à répandre parmi les Italiens des notions très vagues sur les mécanismes et les démarches communautaires, l’intérêt principal de l’Union étant celui d’amortir les effets d’un système généralisé de corruption et d’inefficacité.
La petite musique européenne du nouveau premier ministre Matteo Renzi
Le nouveau premier ministre, Matteo Renzi, chef du parti démocrate (PD), principal supporter de la politique pro-européenne, s’est engagé dans des réformes structurelles exigées par l’UE et veut en même temps respecter les critères de Maastricht. Il peine à convaincre son électorat que le problème n’est pas l’Europe mais une administration qui n’a pas toujours su profiter des opportunités disponibles. « Si l’Italie ne réussit pas a dépenser les fonds européens », a-t-il dit à propos des problèmes toujours plus dramatique du sud du pays, « ce n’est pas la faute de l’Europe mais de l’Italie qui n’a pas bien dépensé ses ressources ».
Face à la croissante désaffection des électeurs, Renzi a besoin d’un signal d’appui de l’Europe, qu’il juge par ailleurs appliquer une politique trop austère, notamment sur la question de l’immigration. « L’Europe nous explique tout sur comment pêcher l’espadon, mais tourne la tête et le dos quand nous allons secourir les personnes en difficulté. » Selon les récentes statistiques de Frontex, le nombre de migrants débarqués sur les côtes italiennes a augmenté de 823% par rapport à la même période l’année passée.
Toujours Berlusconi…
Berlusconi, à la tête de l’autre parti pro-européen, a, lui aussi, pour des raisons très personnelles, pris des distances vis-à-vis de l’Europe. « L’Union Européenne n’est plus le rêve des pères fondateurs mais des nations qui veulent imposer leur hégémonie, les pays du Nord sur les pays du Sud » a-t-il affirmé.
Pour la première fois en vingt ans, Silvio Berlusconi ne pourra pas se porter candidat aux élections. Ayant depuis quelques jours commencé à purger le résidu d’une peine de 4 ans pour fraude fiscale dans un centre de malades d’Alzheimer, et affaibli par la scission avec son ex-dauphin, il s’accroche aux révélations du dernier livre de Timothy Geithner et dénonce le complot de l’Europe.
L’ancien secrétaire au trésor américain y déclare en effet que la délégation américaine aurait été approchée par plusieurs fonctionnaires de l’Union Européenne qui cherchaient son soutien pour pousser le président du conseil italien à démissionner. Ceci confirmerait la thèse que ses démissions en 2011 avaient été pilotées de l’extérieur et que Berlusconi et l’Italie ont été victimes de l’ingérence de l’Union Européenne.
Ses efforts pour survivre politiquement ne semblent pas pour l’instant convaincre les électeurs qui, selon les sondages, abandonnent Berlusconi.
Des eurosceptiques aux sceptiques de la politique
Combien d’entre eux iront rejoindre les eurosceptiques du Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo, l’histrion génois devenu homme politique ? Telle est la grande question. Le politicien le plus critique de l’Europe est crédité de 27% des intentions de vote et menace la position du PD.
D’autant qu’à quelques jours des élections, Renzi doit faire face à deux nouveaux scandales de corruption, le premier lié à l’Expo Milan qui touche son parti, et le second qui implique un député du PD de Turin.
Grillo, qui n’est affilié à aucun groupe européen, veut fermer l’Expo et propose un référendum pour une éventuelle sortie de l’euro ou en alternative l’émission d’euro bond. Il réclame en outre l’abolition du pacte budgétaire et de la limitation des déficits à 3%. « Notre petite brise deviendra un typhon en Europe. A partir de Bruxelles, nous changerons l’Italie » menace-t-il.
Toutefois, le populisme de ce grand pourfendeur des partis traditionnels pourrait ne pas suffire à motiver les abstentionnistes. La piazza Castelnuovo était certainement bondée à l’occasion de son dernier meeting a Palerme, mais ils étaient plusieurs dans le public à se déclarer déçus par sa politique d’opposition systématique et ses méthodes dictatoriales.
Dans la rue, les mouvements de protestation pour le droit à un logement, au travail et contre les privatisations et la finance se multiplient, la colère et la violence montent. Pour beaucoup d’indigents et d’immigrés, l’Europe n’est pas une solution mais le problème. Mais, plus fondamentalement, ces élections pourraient confirmer le désamour des Italiens face à la politique, qu’elle soit nationale ou européenne.