Europes
13H51 - vendredi 23 mai 2014

Paix, prospérité, démocratie : l’Europe n’a-t-elle plus rien à vendre ?

 

« L’Europe est une promesse non tenue » : alors que ce sentiment semble prévaloir de plus en plus, et à l’approche des élections européennes, Eddy Fougier, politologue, chercheur associé à l’IRIS et chroniqueur, commente dans un entretien avec Opinion Internationale, les enjeux de ce scrutin.

 

Siège de la Commission européenne à Bruxelles - Décembre 2011 - © Xinhua / Allpix Press

Reflet du drapeau de l’UE et bannière géante de l’euro au siège de la Commission européenne à Bruxelles – Décembre 2011 – © Xinhua / Allpix Press


Quelles sont les grandes tendances qui émergent à l’approche des élections européennes du 25 mai ?

Les pronostics sur ces élections, dont on peut dire que les éléments principaux sont l’abstention record et la montée des partis populistes, paraissent malheureusement réalistes : UKIP au Royaume Uni, le Front National en France sont donnés vainqueurs, sans compter un retour en grâce électoral éventuel d’Aube Dorée en Grèce.


Pourquoi l’idée européenne a-t-elle tant de mal à convaincre les Européens ?

Pour beaucoup de gens aujourd’hui, l’Europe est une promesse non tenue et la difficulté, depuis l’échec du traité constitutionnel de 2005, de ceux qui croient à l’Europe est qu’ils ont très peu d’arguments pour convaincre que le projet européen vaut encore la peine d’être défendu.

Non seulement paix et prospérité partagée sont perçues comme des horizons qui s’éloignent de plus en plus, mais même l’assurance d’une Union européenne permettant de lutter à armes égales avec les grandes puissances est remise en question. Les citoyens ont en outre l’impression que par ses faiblesses l’Europe renforce les menaces au lieu de les neutraliser.

Si l’on rajoute à ces éléments des rouages éminemment technocratiques et la perception que les décisions, notamment concernant les budgets nationaux, sont imposées par des choix intergouvernementaux du Conseil européen, c’est la promesse démocratique même qui est aussi remise en question.

Historiquement, l’UE est une construction du haut vers le bas – « top-down » – mais depuis le traité Maastricht signé en 1992 (qui institue une citoyenneté européenne et renforce les pouvoirs du Parlement européen), les peuples sont en théorie « rentrés dans la danse ». Alors qu’on est désormais dans une logique inverse, du bas vers le haut – « bottom-up », le peuple semble pourtant cruellement absent.

Le pire est que nous avons l’impression qu’aucun projet ne se dégage à l’horizon.


Quels sont les enjeux de ces élections ?

Aujourd’hui l’enjeu de l’Europe ne se situe plus dans un clivage droite – gauche mais est devenu un clivage système – antisystème qui favorise aussi bien les discours du FN sur « l’UMPS » que les condamnations du système néolibéral du Front de gauche. Si l’Europe est autant dépréciée, voire dénigrée, la responsabilité en incombe en partie aux responsables politiques mais aussi aux médias.

Du côté des politiques, une des spécialités françaises consiste à envoyer au Parlement européen soit des personnalités compétentes sur les questions européennes mais totalement inconnues, soit de faire du rôle d’eurodéputé un placard doré – on se souvient bien sûr de Rachida Dati, mais aussi de Rama Yade qui refusa le placard.

Mais là où le bât blesse est qu’il y a des voix dissonantes au sein même des partis de gouvernement. Pour ne prendre que l’exemple de l’UMP, on voit des dissensions au grand jour avec Laurent Wauquiez qui plaide pour un retour à l’Europe à six et avec le souverainiste Henri Guaino en qui il a trouvé un soutien.

Le plus inquiétant réside dans le fait que ces incohérences s’accompagnent aussi d’un mouvement de fond caractérisé par la radicalisation du discours antieuropéen. La solution radicale de sortie de la zone euro par le Front de Gauche est révélatrice sur ce point.

Du côté des médias, alors qu’en France c’est l’indifférence qui prévaut – l’Europe n’est pas un sujet vendeur de toute façon. Leur rôle dans d’autres pays est incroyablement négatif. Que ce soit au Royaume-Uni ou en Autriche, c’est une presse « tabloïd » qui s’empare du thème européen d’une façon extrêmement critique, avec des attaques virulentes. Cette presse tabloïd antieuropéenne donne une image souvent faussée. La presse en Hongrie, par exemple, a été financée par l’Union européenne mais aucun média hongrois n’est là pour le rappeler.


En votant aux prochaines élections européennes, les citoyens européens participeront au choix du futur président de la Commission. Est-ce important ?

Il est essentiel de politiser le débat. En désignant pour la première fois une figure – Martin Schulz pour la gauche européenne et Jean-Claude Juncker pour la droite – censée prendre la tête de la Commission à l’issue du scrutin, on peut considérer que c’est un bon début. Cela remédie en partie au manque d’incarnation de l’Europe. Mais il est essentiel que le débat soit politisé encore bien davantage qu’il ne l’est aujourd’hui.

Il doit permettre de mettre en exergue des choix clairs. L’élection d’une de ces deux figures incarnées, et à condition que le traité de Lisbonne soit respecté, est une avancée positive qui va dans le bon sens.


Pour reprendre le titre d’un débat organisé par le Nouvel Observateur entre Martin Schulz et Thomas Piketty, « Changer l’Europe ou changer d’Europe », peut-on espérer changer de politique européenne sans changer les institutions ?

Je crois que la le question ne se pose par forcément en ces termes. Le vrai problème est qu’aujourd’hui nous faisons mine de découvrir qu’il s’agit d’un projet libéral dominé par les conservateurs. Fondée sur la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes, la construction européenne est libérale. Lors du référendum sur le traité constitutionnel en 2005, les Européens ont, en fait, découvert le traité de Rome de 1957 qui est par nature libéral.

La conséquence en est que le débat est difficile à politiser. Même si une majorité sociale-démocrate se dégage, elle aura, de toute façon, du mal avec les statuts de la Banque centrale européenne entre autres.


Est-ce que les évènements en Ukraine ont un quelconque impact sur ces élections ?

Tout le monde connaissait la cassure est-ouest de l’Ukraine et l’Union européenne reste impuissante face à la vision réaliste qu’a la Russie des relations internationales. Mais cette crise peut, peut-être, représenter une bonne nouvelle pour la politique extérieure et de défense de l’UE : alors qu’elle n’avait pas d’ennemis jusque-là, Vladimir Poutine peut incarner son « meilleur ennemi » et permettre à l’UE de construire une politique étrangère « dans l’adversité ».


Qu’est qui peut faire que les Français aillent voter le dimanche 25 mars ?

Il importe en soi de voter pour peser sur les décisions. On ne peut pas en même temps critiquer, se plaindre de l’Europe et ne pas voter. Si le choix est effectivement entre « changer l’Europe ou changer d’Europe », il est encore plus crucial d’aller voter dimanche prochain.

La plupart des Français, souvent plus préoccupés par leurs soucis quotidiens, sont indifférents à l’Europe alors que le Parlement européen a un impact très concret sur leur vie de tous les jours.

Il est fondamental que nous nous réapproprions la question et il est vraiment alarmant de voir que certains partis appellent à boycotter les élections (NDLR: entre autres, le parti fondé par Jean-Pierre Chevènement, le MRC, Mouvement républicain et citoyen). 

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Stéphane Mader
Rédacteur en chef - Chief Editor

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