Christine Dugoin et Mathieu Boulègue, chercheurs à l’IPSE nous livrent leurs impressions de Kiev où un nouveau président vient d’être élu : Petro Porochenko, un oligarque qui a fait fortune dans le chocolat. Il devance très nettement, l’ancienne première ministre, Ioulia Timoschenko.
A la veille des élections présidentielles de dimanche 25 mai, une visite sur Maidan s’impose. Au-delà du chaos rapporté depuis près de 7 mois, on peut observer aux alentours de la place Maidan une mise en scène du mouvement révolutionnaire qui tend à s’éloigner des premières aspirations civiques et pro-européennes – dont on ne retrouve que peu l’iconographie. Cette performativité s’illustre par l’intermédiaire de l’exposition des « outils » et « instruments » utilisés par les manifestants (véhicules blindés, grenades artisanales, pieds de biche, casques de protection fracturés, etc.). Ceci apporte un côté éducationnel et participe à une sanctification du mouvement par l’intermédiaire de la création d’une image de substitution nationale indiscutable.
En outre, on assiste à la naissance d’images mentales pour la population, à grand renfort d’hommes en treillis et de troncs de bienfaisance pour les « héros » de Maidan tombés au combat, et renforcées par l’omniprésence des symboles religieux telles ces bougies, images pieuses et Vierges en plâtre. Plus qu’un mouvement civique, Maidan semble avoir été investie d’un sentiment de religiosité important, comme le prouvent les références constantes aux « martyrs » de la révolution dont les images fleurissent le long des rues et des barricades encore en place. La langue ukrainienne, pour un temps, semble avoir réinvesti Maidan, mais ses sonorités s’estompent au profit du russe quelques rues plus loin.
Ceci tend à mettre en exergue un narratif national unique fondé sur les symboles de l’Ukraine de l’ouest où se mêlent chanteurs folkloriques, costumes traditionnels factices et couronnes de fleurs en plastique. Reste à savoir si cette représentation de l’extase patriotique de l’ouest ukrainien est partagée par l’ensemble de la population nationale, qui plus est à Kiev, au point de la fédérer.
Par contraste, l’utilisation du mouvement Maidan comme attraction touristique est beaucoup plus prégnante comme l’illustre la débauche d’étals touristiques – vendant des produits allant de la casquette « I love Ukraine » made in China au papier hygiénique Ianoukovitch. Tel un parc d’attraction, les familles s’y rendent pour la balade du week-end : les amoureux y mangent une glace, les enfants s’amusent sur les blindés mis à la vue de chacun… Il en ressort une ambiance assez festive.
Les ukrainiens ont eu tôt fait de transformer la villa présidentielle de Ianoukovitch en cabinet de curiosité. Maidan serait-elle appelée à prendre le même chemin ?