Ce qui devait arriver s’est produit. Le résultat des élections européennes en France voit le FN arriver largement en tête (25%) devant l’UMP (21%) et le PS qui s’effondre (14%), sur fond d’abstention. Marine Le Pen aura donc réussi son pari de devenir le « premier parti de France » à l’occasion de ces élections mais elle symbolise, au-delà de la France, cette percée national-populiste que l’on constate également hors de nos frontières.
Une victoire attendue
Cela faisait des mois que l’on annonçait le triomphe du Front national aux élections européennes. Les élections municipales nous en avaient d’ores et déjà donné un avant-goût. On nous disait que l’abstention pénaliserait sans doute le FN et qu’il ne serait pas nécessairement le vainqueur de cette élection. Il faut dire que les thèmes mis en avant par le parti de Marine Le Pen collaient aux motivations des électeurs. Selon l’Institut CSA, les électeurs se sont prononcés en fonction de l’immigration (31%), du pouvoir d’achat (30%) ainsi que de la crise dans la zone euro (27%). Trois thèmes développés régulièrement par Marine Le Pen pour dénoncer l’aspect néfaste de l’UE sur ces sujets-là. Si 53% des Français indiquent avoir voté en fonction d’intérêts européens, les abstentionnistes, eux, n’ont pas voté car ils estiment les enjeux européens trop lointains (48%) et car ils souhaitaient sanctionner le gouvernement (38%). Pour autant, 52% des Français se disent attachés à l’Union européenne…
Le FN profite de l’état de délabrement du PS et de l’UMP
Il faut dire que le Front national est le seul parti qui avait un discours clair sur l’Europe : l’UE ne nous protège pas, il faut donc en sortir et rétablir les frontières entre les nations. Du côté du PS et de l’UMP, au contraire, il n’y avait rien de limpide.
Chez les socialistes le discours consistait à encourager à voter pour changer la majorité au Parlement européen et à réorienter l’Europe vers plus de croissance et cesser les politiques d’austérité qui font des dégâts dans les pays où elle est mise en place. Difficile de convaincre les électeurs lorsque le gouvernement de Manuel Valls fait voter 50 milliards d’économie pour résorber le déficit public et que cela implique des coupes dans les dépenses publiques, un plan contesté au sein même de la majorité… Ajoutons à cela, l’impopularité record de François Hollande (23% d’opinions positives) et le décalage perçu entre les promesses de campagne et la réalité du pouvoir et l’on comprend les raisons du naufrage du PS.
Quant à l’UMP, sans leader depuis la défaite de Nicolas Sarkozy, dont l’ombre plane toujours en vue de 2017, elle est plongée dans une guerre des chefs larvés entre François Fillon et Jean-François Copé. Le président de l’UMP vient d’ailleurs d’être contraint à la démission en raison de l’affaire Bygmalion ce qui laisse augurer d’une nouvelle période de troubles pour l’opposition. Enfin, dernier élément et non des moindres, la ligne pro-européenne définie par le parti était loin d’être partagée par tous et en premier lieu, Henri Guaino, qui avait indiqué publiquement qu’il ne voterait pas pour le candidat UMP, Alain Lamassoure, trop fédéraliste à son goût et l’ancien ministre des Affaires européennes Laurent Wauquiez qui plaidait pour une Europe à six…Sans compter la tribune de Nicolas Sarkozy, la semaine dernière qui tentait de ménager les uns et les autres sans apporter une vision de ce que devrait être l’Europe.
Enfin, ni les centristes, ni les écologistes n’ont réussi à donner un souffle à leur campagne, privés de leurs leaders respectifs (Jean-Louis Borloo, qui a dû se mettre en réserve de la République pour des raisons de santé et Daniel Cohn-Bendit qui a pris sa retraite après vingt ans passés au Parlement européen). Leur crédo fédéraliste ou plutôt pour une intégration renforcée – le terme fédéraliste étant trop connoté aujourd’hui – est complexe et bon nombre d’électeurs imaginent ainsi un éloignement encore plus grand de l’Europe qui ferait disparaître les Etats-nations….
Tous les ingrédients étaient donc réunis pour faire de Marine Le Pen et du Front national les vainqueurs de ce scrutin.
Vers une minorité hétéroclite populiste, xénophobe et néo-nazie
Mais, cette poussée populiste dépasse largement les frontières de la France. Certes, il ne faut pas relativiser le score de Marine Le Pen. Il ne faut pas aller bien loin pour constater les ravages du United Kingdom Independence Party (UKIP) en Grande-Bretagne, qui devance les travaillistes et les conservateurs. Son credo : la lutte contre l’immigration, intra ou extra-européenne, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne – soumise à référendum en 2017 par David Cameron – et enfin un rejet des deux partis dominant qu’il met dos à dos, à l’image de l’UMPS dénoncé par Marine Le Pen. A priori, leurs positions se rejoignent sur de nombreux points mais le leader du UKIP, Nigel Farrage ne voulait jusqu’à présent pas être associé au FN en raison de l’antisémitisme qui demeure selon lui dans l’ADN du parti frontiste.
Au Danemark, le Parti du peuple danois (DF) arrive en tête avec 26,7%. Dans ce pays plutôt prospère, le débat était focalisé sur les avantages sociaux dont pouvaient bénéficier les immigrés de l’UE établis au Danemark… Mais, ce parti ne fera pas alliance avec le Front national dont il cherche à se démarquer. Le FN pourra toutefois compter sur le Vlaams Belang belge, la Ligue du Nord italienne, le FPÖ autrichien et les Démocrates de Suède, avec qui elle ambitionne de faire alliance. Le vent de ces partis eurosceptiques, anti-immigration a soufflé, à quelques nuances près, sur l’ensemble des pays européens. Même l’Allemagne, qui semblait jusque là préservée, va envoyer sept députés issus du parti anti-euro et anti-immigration Aletrnative für Deutschland (AfD) et un autre du parti néonazi NPD… Le député néonazi allemand ne sera pas seul Strasbourg puisque les Grecs d’Aube Dorée mais aussi le Jobbik hongrois seront présents au Parlement européen. Deux partis jugés infréquentables par Marine Le Pen.
Le scrutin de dimanche voit aussi progresser les populistes de gauche, emmenés par le Grec Alexis Tspiras du parti Syriza qui arrive en première position en Grèce et du parti Podemos en Espagne qui n’a que trois mois. Ces deux partis, dans des pays fortement touchés par la crise économique et les plans de rigueur menés successivement par les socialistes et les conservateurs au pouvoir demandent la fin des mensures d’austérité incarnée par la troïka, ce « monstre » politique incarné par le FMI, la Commission européenne et la Banque centrale européenne.
L’UE symbolise le déclassement pour de nombreux Européens
Comme l’expliquait le politologue et directeur de la Fondation pour l’Innovation politique, Dominique Reynié à Opinion Internationale la semaine dernière, ces partis qu’ils soient de droite ou de gauche s’appuient sur le sentiment de déclin, de déclassement que vivent de nombreux Européens. Si bien sûr la crise économique joue un rôle non négligeable dans la progression de ces partis, ce n’est pas la seule explication. Le manque d’incarnation de l’Union européenne, la peur de l’immigration et dans quelques cas, le rejet de l’euro comme monnaie commune constituent d’autres raisons pour lesquels les populistes prospèrent. Il faut donc y voir un mouvement plus pérenne qui ne se résorbera pas simplement en renouant avec la croissance.
Ce résultat influera t-il sur les débats du Parlement européen ? A priori, non car la droite du PPE et les socialistes européens disposent de la majorité. En outre, les populistes de droite et d’extrême-droite vont se scinder en plusieurs groupes, au vu des revendications différentes qu’ils portent. Une chose est sûre, ils se serviront du Parlement européen – s’ils y siègent – comme tribune pour dénoncer le mal qu’incarne à leurs yeux l’Europe. Ne nous y trompons pas : les conséquences seront davantage nationales qu’européennes.
Juncker favori pour succéder à Barroso sauf si…
En attendant, il faudra trouver un successeur à José Manuel Barroso. Jean-Claude Juncker semble favori au vu de l’avance du PPE. Mais, il n’est pas exclu que le prochain président de la Commission européenne ne soit pas l’un des prétendants. On sait déjà que Juncker ne plait ni à David Cameron ni à Viktor Orban qui le trouvent trop fédéraliste. Le traité de Lisbonne prévoit que les Chefs d’Etat et de Gouvernements désignent le président de la Commission mais doivent « tenir compte » des résultats des élections, ce qui est très flou et laisse une certaine marge de manœuvre.
Trois scénarios sont donc à ce stade envisageables : le premier serait que le Conseil européen (qui rassemble les chefs d’Etats et de Gouvernement) se mette d’accord sur une personnalité extérieure : On évoque le nom de la directrice du FMI, Christine Lagarde ou de la première ministre danoise, Helle Thorning-Schmidt. Mais, « s’ils osaient désigner quelqu’un d’autre, lui ou elle n’obtiendrait pas une majorité au sein du Parlement européen » a prévenu Martin Schulz, candidat des sociaux-démocrates. Le second scénario serait que la nomination de Jean-Claude Juncker soit approuvée par les 28. Dernière option, Jean-Claude Juncker doit tenter le premier de former une coalition autour de son nom au Parlement européen. Ce serait une manière de barrer la route à toute nomination extérieure. S’il échoue, Martin Schulz devra tenter d’en faire de même et s’il n’y arrive pas non plus, la tâche en incombera à Guy Verhofstadt, le candidat de l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ADLE).
Quelque soit l’issue, la composition du Parlement européen ne devrait pas bouleverser les équilibres politiques car si les eurosceptiques y seront plus nombreux, ils se serviront surtout du Parlement comme caisse de raisonnance en vue des échéances nationales dans leurs pays respectifs.