Lansana Fofana, de nationalité guinéenne et Centrafricain d’adoption est un opérateur économique, basé entre la Guinée, le Sénégal et les Etats-Unis exerçant dans le commerce général, l’immobilier et le transport du carburant. Il livre son témoignage sur la crise que vit la Centrafrique. Pour lui, il est important que la justice exerce son rôle, un préalable avant toute chose.
Vous avez longtemps vécu en Centrafrique, pouvez-vous nous parler de cette période et quel souvenir en gardez-vous?
A notre époque en Centrafrique, c’était l’insouciance, nous vivions en harmonie, aucune connotation de musulmans ou chrétiens. Certes chacun vivait dans son quartier mais les passerelles étaient bien présentes et nous permettaient de former la famille Centrafrique. Tout le monde se connaissait. Bangui, la capitale était en sécurité, nous entendions rarement parler de braquages, de viols ou de meurtres. Nous pouvions rentrer dans les quartiers jusqu’à très tard la nuit sans qu’il n’y ait de problème de sécurité. Ce temps-là est bien révolu depuis ! Je garde de ces moments des souvenirs heureux et je me suis toujours dit en mon fort intérieur que j’irais finir ma vie en Centrafrique. Cela n’a pas changé, je le ferai.
Vous êtes de confession musulmane, quels rapports entretenaient les chrétiens et les musulmans du temps où vous viviez à Bangui ?
Les relations étaient très bonnes entre les musulmans et les chrétiens qui ne revendiquaient pas leur appartenance à telle ou telle communauté. Chacun pratiquait sa religion sans contrainte et chacun vaquait à ses occupations. Les mariages étaient fréquents entre personnes de communautés différentes et chacun était prêt à aider son prochain. Il existait une harmonie, une symbiose, une vraie cohésion sociale, naturelle et acceptée.
Aurait-on pu prévoir et anticiper sur ce qui se passe entre les deux communautés ?
Jamais nous n’aurions pu penser ou même imaginer que la République centrafricaine vivrait ce qu’elle est en train de vivre ces derniers temps : Jamais. Ce sont les politiciens qui sont responsables de ce chaos. A eux de régler ce conflit qui les dépasse et c’est à eux de faire mieux et autrement. Ils ont instrumentalisé d’autres Centrafricains et le résultat est là sous nos yeux : une grande fracture sociale, un malaise entre les communautés qui se regardent maintenant en chiens de faïence.
Que pensez-vous des anti-Balaka et des Séléka ?
A mon humble avis la Séléka et les anti-balaka sont tous des bandits de grand chemin qui font honte à l’humanité et je ne vois ni ne comprends pourquoi on devrait associer ceux qui ont tant tué, qui continuent de le faire dans ce pays et font de lui un État fantôme. Mais où sont donc passé ces hommes politiques ? Je pense que la jeunesse centrafricaine doit prendre ses responsabilités en prenant son destin en mains pour pouvoir sortir ce pays de l’état dans lequel il se trouve aujourd’hui. La balle est dans le camp de la jeunesse centrafricaine.
Quelle analyse faîtes-vous de la situation actuelle ?
La situation actuelle est très difficile et préoccupante parce que de nombreuses personnes ont été meurtries et blessées dans leur chair. Si l’on doit se pardonner, cela se fera, en son temps, mais cela ne se fera pas sans la justice. Il faudra que la responsabilité des uns et des autres soit établie et connue de tous et ensuite seulement on lavera le linge sale en famille. Mais c’est révoltant de voir quelqu’un qui a tué ton père et ta mère se pavaner sans que ça n’affecte sa conscience. Pour moi, il faut que la justice passe d’abord et le reste suivra.
Est-ce que vous pensez que les deux communautés puissent encore vivre côte à côte?
Comme je suis de nature optimiste et que je connais parfaitement bien les Centrafricains, je pense que cela est possible parce qu’il existe des personnes qui sont nées et ont grandi en RCA et ne connaissent que ce pays. Alors il va falloir que chacun fournisse des efforts pour sortir de cette crise dans laquelle personne n’y gagnera rien à laisser pourrir la situation car le pays est encore tombé plus bas que bas et a fait un bond en arrière de cinquante ans. Mais si tout le monde s’y met ensemble, on y arrivera malgré les divergences qui peuvent exister et cela est normal parce que c’est la nature de l’homme. Mais, favorisons ce qui nous unit d’abord et c’est là tout l’essentiel, la RCA et l’avenir de la RCA. Qu’allons-nous léguer aux générations futures ?
Pensez-vous que toutes les communautés qui ont été obligées de quitter la RCA reviendront un jour ?
Je suis sûr et certain qu’ils reviendront, je le crois dur comme fer. Ils n’ont pas d’autre endroit où aller, la Centrafrique est leur pays, ils n’en ont pas d’autre, alors ils reviendront, c’est là qu’est leur vie. Ils reviendront. Ils ont participé à la construction de la RCA, c’est un bien commun à tous les Centrafricains.
Quel message souhaitez-vous adresser aux Centrafricainq et aux lecteurs d’Opinion Internationale ?
Je lance un vibrant appel à toutes et à tous pour que s’arrêtent les tueries, les violences et ce conflit qui ne nous amèneront nul part sauf à créer encore le faussé entre les fils d’un seul et même pays. Ils sont condamnés et obligés de vivre ensemble et c’est l’union qui fait la force.
Je vous remercie infiniment vous les professionnels de la presse et vous invite aussi à continuer à sensibiliser les personnes et leur faire prendre conscience que sans la paix il n’y a pas de développement et sans la paix il n’y a pas d’amour.
Je remercie particulièrement Opinion Internationale pour ce formidable travail que vous accomplissez, qui doit permettre le dialogue, libérer l’expression enfouie, donner la parole à ceux que l’on ne connait pas et que l’on n’écoute pas, car la RCA est riche en compétences et en expertises contrairement à ce qui se dit dans les médias et les milieux internationaux. La RCA est aussi ma terre, elle a le droit d’exister et d’être construite. Aidons-là, aidez-là, vous êtes sa voix !