Jean-Pierre Malessoua est centrafricain. Il travaille à l’association de l’hôtel social à Lyon. Très engagé pour la cause des droits de l’Homme et dans la tentative de transition qu’entreprend aujourd’hui son pays, il livre son témoignage sur le regain de violences que connait la République Centrafricaine depuis mercredi. Pour lui, il est impératif que le gouvernement et la communauté internationale agissent de manière ferme pour pouvoir stopper cette crise et protéger la population.
La violence se poursuit en République Centrafricaine et l’insécurité demeure, quel est votre sentiment sur l’aggravation de la situation ?
Ce qui se passe en Centrafrique depuis l’avènement de la Séléka est consternant car la violence qui a suivi la prise de pouvoir de ce groupe rebelle a jeté les bases d’une insécurité de grande ampleur, jamais observée dans toute l’histoire de la République Centrafricaine. Cette insécurité est devenue le quotidien du peuple Centrafricain, depuis plus d’un an maintenant. Tous les efforts déployés pour la contenir s’avèrent, à ce jour, inefficaces. On a l’impression que les pouvoirs publics sont dépassés par les évènements.
Après la mort il y a quelques jours dans le quartier PK-5 de 4 jeunes musulmans dans des conditions atroces – les images témoignent de cette barbarie – la descente mercredi du commando de la mort du côté des musulmans à l’église catholique de Fatima pour venger leurs frères assassinés la veille a suivie et semé une totale désolation sur son passage. Ce groupe a agit avec violence, on dénombre plusieurs morts et blessés, sans compter les gens qui ont été enlevés en plein jour. Tout ceci n’est pas pour nous rassurer, et pire encore nous assistons à une escalade de la violence. À croire que cela est devenu un jeu macabre que se livrent des groupes criminels dans l’indifférence générale. Il est maintenant temps que toutes les parties impliquées dans ce processus de paix en République Centrafricaine redéfinissent clairement leurs priorités car trop, c’est trop.
Quel rôle doivent jouer les hommes politiques ?
En cet instant critique où le peuple semble désemparé est à la recherche d’une certaine protection, les hommes politiques centrafricains doivent jouer plusieurs rôles dont deux essentiels. Ils doivent d’abord former ce que j’appelle un rempart pour protéger les populations civiles, les assurer qu’elles ne sont pas abandonnées à leur sort. Ils doivent ensuite peser de tous leurs poids dans les décisions prises par les pouvoirs publics pour ramener la paix et la sécurité au pays. Ces conditions sont indispensables pour la réconciliation nationale et la mise sur les rails de l’appareil étatique.
Qu’attendez-vous du gouvernement face à cette montée de violence ?
J’attends de la Présidente de la République et du Premier Ministre qu’ils respectent la souffrance de leur peuple, qu’ils mettent tout en œuvre pour assurer la sécurité des populations les plus vulnérables et garantir l’intégrité du territoire national. Ils doivent affirmer leur présence auprès de leurs concitoyens et leur montrer qu’ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour les protéger. Ils doivent prendre des mesures énergiques pour éradiquer ce cycle de violence qui n’est pas propice à notre effort de développement. Pour cela, il faut qu’ils réhabilitent les Forces Armées Centrafricaines dans leurs fonctions en leur donnant tous les moyens nécessaires pour mener à bien leurs différentes missions. Ces FAC sont incontournables dans le rétablissement de l’ordre car elles connaissent mieux le terrain que ces forces étrangères qui sont venues pour nous aider.
Comment analysez-vous la réaction de la Communauté Internationale face aux évènements en RCA ?
D’abord, je tiens à saluer l’action de la Communauté Internationale qui a certainement permis de sauver des vies humaines au moment où les miliciens de la Séléka s’étaient lancés à corps perdu dans des exactions qui avaient pris des allures d’extermination de la population centrafricaine. Mais je trouve les résultats de leur action mitigés, à cause de les décisions inefficaces. J’en veux pour preuve la persistance de cette crise qui ne fait que durcir de jour en jour. Enfin, j’avancerai une suggestion en mettant l’accent sur l’importance pour la Communauté Internationale d’associer le peuple centrafricain à toutes les décisions concernant la recherche de solutions durables à cette crise, car aucune issue viable ne peut être envisagée sans l’apport décisif des citoyens. Nous avons l’impression que nous devons subir des décisions censées nous venir en aide, mais qui finalement nous desservent au vu des résultats le plus souvent à l’opposé de nos réels intérêts. Le retrait du contingent Tchadien de la MISCA longtemps réclamé par le peuple centrafricain a par exemple tardé à se mettre en place.
Pensez-vous que les miliciens de Séléka et des Anti-balaka puissent-être désarmés, et si oui à quelles conditions ?
C’est le but recherché pour arriver à la solution que nous souhaitons tous, à savoir le retour d’une paix durable. Mais encore faut-il que ceux qui prennent toutes les mesures nécessaires pour obliger aussi bien les Séléka que les anti-Balaka à se désarmer. Il faut prendre des décisions courageuses pour arriver à cette fin. C’est une question de survie pour tout un peuple et les belligérants doivent se conformer à la décision conjointe de la Communauté Internationale et du gouvernement centrafricain. Donc en définitive, je dirai que les Séléka et les anti-Balaka ne pourront être désarmés que si les tenants et les aboutissants de ce conflit sont maîtrisés.
Avez-vous un message particulier à délivrer ?
À l’attention de la Communauté Internationale et du gouvernement centrafricain : Vous qui prenez les grandes décisions concernant cette grave tragédie que vit actuellement mon pays, la République Centrafricaine, il faut absolument que vous vous mettiez à la place des gens qui souffrent et qui sont devenus, par la force des choses, non seulement des otages de criminels sans vergogne, mais aussi des réfugiés dans leur propre pays. Ceci est totalement inadmissible. Vous avez une obligation de résultat vis-à-vis de ce peuple que vous vous êtes engagé à protéger. La chute de ce peuple pourrait aussi entraîner aussi la vôtre. Dit un proverbe centrafricain : « Quand la maison de ton voisin brûle, ne fait pas l’indifférent car ta propre maison est en danger ».
Quant à vous mes chers compatriotes, je crois que l’heure est très grave et que le moment est venu de faire étalage de cette unité qui nous a toujours caractérisés dans les moments difficiles de notre histoire, et qui nous donne notre originalité. Je crois en vous. Je reste persuadé que si nous restons mobilisés nous aurons les ressources nécessaires pour gagner cette guerre qui nous a été imposée et pour laquelle nous avons l’obligation de répondre présents. Que dieu bénisse mon pays la République Centrafricaine.