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08H30 - lundi 2 juin 2014

Corée du Nord et droits de l’homme : comment souffler le chaud et le froid

 

Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, et l’Agence centrale de presse nord-coréenne (KCNA) viennent d’annoncer le 29 mai la réouverture du dossier concernant l’enlèvement de ressortissants japonais à l’occasion d’une rencontre de haut de niveau entre diplomates nippons et nord-coréens à Stockholm. En échange, le Japon devrait alléger certaines sanctions politiques et économiques à l’égard du dernier régime stalinien de la planète.

Kim Jong-un, le 28 janvier 2013 © Xinhua / Allpix Press

Kim Jong-un, le 28 janvier 2013 © Xinhua / Allpix Press

Cette affaire empêche toute normalisation des relations entre les deux pays depuis plus de trente ans. Elle se réfère aux enlèvements réalisés par la Corée du Nord dans les années 1970 et 1980 de plusieurs ressortissants étrangers, en majorité japonais, afin de familiariser des espions nord-coréens à leurs mœurs, leur permettant ainsi de mieux s’infiltrer et mettre en place des réseaux plus performants.

Depuis le mois de février, la Corée du Nord a semblé multiplier timidement les ouvertures en matière de droits de l’homme avec notamment la tenue d’une réunion de familles séparées par la guerre de Corée, dont la dernière édition avait eu lieu en 2010, et la rencontre organisée en Mongolie entre Megumi Yotoka, ressortissante japonaises enlevée en 1977, et ses parents. Pourtant, on ne peut que se méfier de cette vraie fausse nouvelle qui s’inscrit en effet exclusivement dans une démarche tactique pour la Corée du Nord qui cherche en réalité à briser son isolement en jouant de l’hostilité qui règne entre Séoul, Pékin et Tokyo.

Menacer puis amadouer

Juger de la bonne foi d’un Etat lors d’une négociation n’est jamais chose aisée. Cet adage est encore plus vrai lorsque l’Etat en question est la Corée du Nord. Le dernier bastion du totalitarisme staliniste où le jeune Kim Jong-un est parvenu à renforcer son pouvoir en se débarrassant physiquement de la vieille garde du Parti, y compris son oncle par alliance Jang Song-thaek dont l’exécution le 12 décembre 2013 a marqué le point d’orgue d’une purge qui a débuté voilà deux ans déjà, sait en effet jouer habilement de sa position atypique dans la région.

Pays sous-développé, à l’économie ravagé par soixante ans d’une militarisation à marche forcée et où un tiers de la population souffre de malnutrition, la Corée du Nord n’en continue pas moins d’influencer grandement les relations régionales voire internationales par un jeu habile de menaces d’apocalypse nucléaire et d’ouvertures afin d’éviter l’isolement diplomatique, d’attirer l’aide internationale et favoriser son développement économique sans remettre en question son système totalitaire. Ainsi, l’année 2013 a été marquée par une accentuation des menaces proférées par la Corée du Nord contre son voisin du Sud, le Japon et les Etats-Unis en représailles notamment au renforcement de la présence militaire américaine dans le Pacifique et à la politique nationaliste du Premier Ministre japonais Shinzo Abe. Kim Jong-un a également déclenché une grave crise dans les relations intercoréennes durant le printemps 2013 en relançant le programme nucléaire nord-coréen et en procédant à essai nucléaire le 12 février 2013, qui a eu pour conséquence directe le vote au Conseil de sécurité de l’ONU d’une nouvelle salve de sanctions contre son régime.

Son allié traditionnel chinois, afin de la rappeler à l’ordre et maintenir le statu quo dans la région, n’ayant pas posé son veto contre cette résolution, l’isolement nord-coréen semblait total. Afin de le desserrer, Kim Jong-un a alors annoncé la reprise des négociations avec les dirigeants sud-coréens et lancé de nouvelles pistes de coopération avec son voisin ; avant de se rapprocher du Japon, pourtant honni par la propagande nord-coréenne, en jouant des antagonismes qui règnent entre les trois pays. Le Japon est en effet engagé dans un bras de fer mémoriel et territorial avec la Chine (Archipel Senkaku/Diaoyou ; mémoire du massacre de Nanki) et la Corée du Sud (Îles Dokdo/Takeshima ; question des femmes de réconfort de l’armée impériale japonaise). Ces deux derniers pays ont dès lors considérablement renforcé leurs relations au détriment de leur voisin nippon qui, à force de déclarations nationalistes et négationnistes, s’est retrouvé peu à peu isolé en Asie de l’Est, région qui constitue pourtant son premier débouché.

Briser l’isolement diplomatique nord-coréen

En acceptant de rouvrir symboliquement un vieux dossier qui empoisonne les relations entre les deux pays, celle des enlèvements de ressortissants nippons dans les années 1970, le Japon et la Corée du Nord veulent disposer des moyens de pression qui leur permettront de renverser cette tendance.

Dès lors, le rapprochement entre Tokyo et Pyongyang doit être vu premièrement comme un avertissement lancé à Pékin par Kim Jong-un mais également comme pression exercée par Shinzo Abe contre Séoul. Il ne faut nullement voir dans cet accord un geste visant à normaliser les relations entre les deux pays, mais bien une action dont le but est de forcer la Corée du Sud à infléchir sa position vis-à-vis de Tokyo, et la Chine vis-à-vis de son turbulent allié nord-coréen. Le Japon souhaite en effet éviter que la Corée du Sud, avec qui elle possède un puissant allié commun, les Etats-Unis, ne se rapproche trop de la Chine et au contraire normalise sa relation avec lui, tout cela en lui faisant accepter les orientations de sa politique de défense et mémorielle qui fâchent pourtant fortement les Sud-Coréenset empêchent pour le moment tout rapprochement. En cela, la Corée du Nord constitue un excellent pion pour Shinzo Abe sur l’échiquier diplomatique régional, à mille kilomètres des valeurs démocratiques, humanistes et éthiques dont se pare pourtant le régime parlementaire nippon.

De même, la Corée du Nord souhaite montrer à Xi Jinping que tout infléchissement de la politique chinoise d’aide économique massive envers elle et qui viserait à l’aligner sur ses propres positions diplomatiques et stratégiques sera sanctionné. Kim Jong-un n’hésitera pas à négocier avec d’autres partenaires de la Chine et notamment le Japon et la Russie tant que ces derniers ne cherchent pas à modifier son système politique ; tout cela pour forcer à Pékin à maintenir un soutien inconditionnel envers le régime brutal de Pyongyang.

Finalement, le sort des personnes kidnappés par le régime nord-coréen apparaît plus comme un prétexte dans le jeu diplomatique complexe de l’Asie de l’Est, et pas comme un geste d’ouverture réellement sincère qui permettrait d’obtenir des éclaircissements sur la situation des droits de l’hommeen Corée du Nord qui reste pourtant plus que préoccupante. On ne peut encore une fois que déplorer qu’une question aussi primordiale, pourtant soulevée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU comme relevant du crime contre l’humanité d’après les conclusions de la commission d’enquête pour la Corée du Nord présidée par le juge australien Michael Kirby, soit ainsi sacrifiée sur l’autel de la realpolitik asiatique.

Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, Guillaume publie notamment des articles consacrés au continent asiatique.

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Guillaume Autere

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