Silencieux depuis le début de la tragédie qui déchire son pays, malgré une activité en marge que l’on devine intense (son téléphone n’arrête pas de vibrer), Parfait Anicet Mbay a accepté de se confier à Opinion Internationale sur la situation en République centrafricaine. Le masque urbain, le verbe fluide et soigné, on a du mal à entrevoir derrière cet homme qui entame tout juste la cinquantaine, l’un des meilleurs spécialistes des questions militaires de son pays. Il nous livre ici sa vision de l’avenir à court, moyen et long terme de la République centrafricaine, avenir dans lequel, même s’il refuse de l’avouer, il entend pleinement s’inscrire.
Passé par la prestigieuse Ecole interarmes de Coëtquidan et du Cours Supérieur de l’Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale de Melun, près de Paris, Parfait Anicet Mbay a aujourd’hui le grade de général de gendarmerie. Il a occupé successivement les postes de ministre de la communication et de la réconciliation nationale, ministre de l’agriculture, ministre des transports, de l’aviation civile et enfin vice-Premier ministre, ministre des affaires étrangères jusqu’au 24 mars 2013, date de l’entrée de la Séléka dans Bangui. Préoccupante et c’est un euphémisme. Tout a été dit sur la liquidation de notre pays depuis le 10 décembre 2012, date du début de l’épopée sanglante de Séléka aux confins nord, jusqu’à son entrée dans Bangui le 24 mars 2013, avant l’irruption du mouvement anti-balaka dans le conflit. Des milliers de morts, des centaines de milliers de déplacés, des dizaines de milliers d’exilés, une économie envolée, un tissu social en lambeaux, une administration complètement déstructurée, une unité dangereusement menacée. Bref, un pays à l’agonie, avec des piques de violence inouïes comme celle de ces derniers jours. Ça c’est un vaste programme, comme aurait dit Charles de Gaulle. Mais si vous le permettez, juste un petit rappel. La République Centrafricaine, grande de 623 000 km2, dispose d’une armée nominale de moins de 10.000 hommes (armée, police, gendarmerie). Inégalement répartie sur l’ensemble du territoire, 70 % des unités militaires se sont toujours trouvées à Bangui, laissant aux seules unités de la gendarmerie la mission de couvrir un territoire aussi vaste, tout en étant ni préparées et ayant encore moins les moyens et les capacités de faire face aux menaces. Je précise que, de 1979 (année de l’opération Barracuda) à 1998, la Centrafrique a pu compter sur environ 1500 militaires français dits « Éléments Français de l’Assistance Opérationnelle » (EFAO). Donc, pendant 19 ans, les forces françaises ont apporté leur appui et leur expertise à nos forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire et, incontestablement, leur présence s’est révélée comme une force de dissuasion pour toutes velléités de type rébellion. Dans le même temps, l’armée française a énormément contribué à former toutes les différentes structures de l’armée centrafricaine : des militaires du rang en passant par les sous-officiers et les officiers, les formations et stages d’aguerrissement étaient permanents. L’armée centrafricaine était performante et bien entraînée, la vie et les activités dans les différents corps étaient dynamiques. En 1998, sous les autorités de l’époque, à leur demande mais compte tenu également du redéploiement de ses forces en Afrique, l’armée française quitte la Centrafrique sans malheureusement que nous ayons une réelle perspective d’avenir. Cela se passait dans une sous-région hautement troublée : chute du président Mobutu, guerre civile au Congo Brazzaville etc. Plus grave, aussitôt après le départ des Français, le centre d’instruction de Bouar a été totalement pillé. Résultat, une armée sans structure de formation, sans moyens de projection. Dès lors, les délais de déploiement des unités basées à Bangui sur les théâtres d’opération dans l’arrière-pays ont été terriblement rallongés. Pour la petite anecdote, sachez que, depuis le départ de l’armée française, plus aucune unité de notre armée n’a effectué de sauts en parachutes, faute de moyens aériens appropriés. Le Régiment d’intervention parachutiste (RIP) et le Régiment mixte d’intervention (RMI), avec son centre de pliage, n’étaient plus qu’un lointain souvenir, ressassé par les anciens. Aujourd’hui, même si l’Ecole spéciale de formation des officiers d’active (ESFOA) a été ressuscitée, on peut déplorer l’absence d’un véritable centre d’instruction qui, jadis, formait les hommes du rang et les sous-officiers au Certificat arme technique (CAT), au Certificat interarmes (CIA) au Brevet d’arme 1 ou 2, etc. Ne nous y trompons pas. Cette belle machine, si j’ose dire bien huilée, et qui a formé tant de vaillants soldats et sous-officiers faisant la réputation des corps d’intervention de notre armée, ce bel instrument n’a jamais été remis à jour. Dès lors, en sortant de la formation commune de base, les soldats n’avaient plus cette structure nécessaire en apprentissage des métiers de l’infanterie, du génie, des transmissions voire de l’administration. Avec l’appui des EFAO, l’armée centrafricaine formait aussi des tireurs d’élite, des moniteurs et des instructeurs commandos, etc. Par notre habituelle folie, nous avons nous-mêmes détruit cet outil. Autre détail et non des moindres : dans les années 80/90, tous les corps avaient obligation de s’exercer au champ de tir de Kassaï. Depuis le changement de 1993, seule la garde présidentielle avait désormais ce privilège et cela s’est poursuivi jusqu’à nos jours. Du coup, depuis une vingtaine d’années, une grosse majorité de militaires, gendarmes et policiers centrafricains n’ont plus pratiqué de séances d’exercices de tirs. Les exercices et autres manœuvres de combat ont disparu des activités des unités, en dehors des périodes de formation de nouvelles recrues et des unités de la garde présidentielle. La méfiance du politique vis-à-vis de son armée a paralysé cette dernière, dans les activités habituelles nécessaires à son aguerrissement. A cela, il faut ajouter le cruel manque de moyens dont les plus performants étaient détenus par la seule garde présidentielle. Voilà ! Vous me direz que tout ça, c’est le passé. Et vous aurez raison. Mais, autant le passé conditionne le présent et détermine l’avenir, laissez-moi vous dire une seule chose, une seule, qui est à mon avis et de l’avis de tous les experts militaires avec qui je travaille, une condition rédhibitoire : il n’y aura pas de paix véritable, pas de garantie de la pérennité de cette paix et donc de la stabilisation de la République Centrafricaine, sans la reconstruction et la restructuration des Forces armées centrafricaines (FACA). Cela n’a l’air de rien de le dire comme ça, mais croyez-moi, tout se joue et tout se jouera sur ce terrain. Certes, les élections sont indispensables pour conférer aux futurs dirigeants la légalité et la légitimité nécessaires, mais la stabilité des institutions ne pourra être garantie que par une armée forte et républicaine, au service de la nation. Mais ça, c’est un long sujet qui pourrait ennuyer vos lecteurs. Puisque vous y tenez… Vous savez, l’analyse des dernières nominations opérées par les autorités de transition pose de réelles questions sur la recherche d’efficacité. Nombre d’officiers généraux et d’officiers supérieurs, je parle des vrais, compétents et intègres, ont été purement et simplement mis à l’écart, nommés à des postes de moindre importance ou encore recasés dans les ministères en qualité de chargé de mission, alors que leur expérience est attendue dans les unités opérationnelles et à l’encadrement de nos soldats. Il nous faut avoir le courage de désigner le meilleur parmi les officiers qualifiés pour le poste stratégique de chef d’état-major de notre armée et de l’accompagner d’un collège d’officiers aux aptitudes requises, en vue de mettre en œuvre les réformes attendues ainsi que la montée en puissance des unités des FACA. Cependant, il est juste de mettre à son crédit que, ne connaissant point les spécificités de l’armée, le chef de l’Etat de transition a entièrement fait confiance à l’équipe en charge de proposer les nominations. A mon humble avis, elle devrait, à l’avenir, être plus prévenante afin de valider des choix plus judicieux et conformes aux dispositions prévues à cet effet. Parce que, in fine, l’équation est simple. Les FACA doivent renaître. Il n’y a pas d’alternative. A ceux pour qui les malheureux et condamnables événements de l’ENAM sont devenus la principale caution pour prôner la dissolution des FACA, je réponds que toutes les armées du monde, même les plus grandes (la France à la libération), ont vécu des moments de ce genre. Et il n’est jamais venu à l’idée des défenseurs des droits de l’homme les plus ardus de demander la dissolution de ces armées. Il y une justice dans notre pays, un Tribunal militaire permanent (TMP). C’est à cette institution de faire justice. A ceux qui craignent que l’armement remis aux FACA irait rejoindre le camp des forces négatives, je dis que le moment est justement venu de réhabiliter les principales armureries de notre armée (Kassaï, Camp Béal et d’autres sites) qui seront sous gestion commune des FACA et des forces internationales dans notre pays. Comme par le passé, les armes et les munitions doivent désormais reprendre le chemin des armureries et leur utilisation devra dorénavant respecter les strictes procédures prévues à cet effet. A ceux enfin qui mettent en avant les statistiques ethniques comme pouvant nuire à la cohésion de l’armée, je dis que, dans sa dynamique de réorganisation, notre armée à travers ses unités et en collaboration avec les forces internationales verra ses effectifs se déployer au nord, au sud, à l’est et à l’ouest de notre pays. On ne peut donc craindre une concentration, dangereuse semble-t-il, pour les institutions. D’ailleurs, cette variante est suicidaire à plus d’un titre et laisse dans la nature des hommes aguerris qui peuvent être prêts pour tous types d’aventure et même devenir des facteurs de déstabilisation pour la sous-région. Les crises de 1996 et 2001 ont déversé au Congo voisin nombre de militaires dont certains ont vite fait de devenir des bandits. Je pense, au contraire de ceux qui prônent encore une fois le sectarisme ethnique, qu’il faut ramener dans les rangs tout le personnel des forces de défense et de sécurité éparpillé, le reconditionner et procéder à un dispatching rationnel dans les différentes unités qui seront déployées sur le terrain à l’Est, à l’Ouest, au Nord, au Sud et au Centre du pays. Pour le reste, je préconise, exactement comme au Mali, que le processus de la refondation de l’armée nationale centrafricaine soit placé sous la conduite de l’Union européenne (qui finance déjà la MISCA), avec des spécialistes centrafricains et d’autres pays, sous la direction d’un officier général doté d’un mandat bien défini. Vous savez, un pays comme l’Allemagne ou comme l’Angleterre préférera, comme au Mali, envoyer son personnel participer à la restructuration d’une armée que de prendre le risque de pertes humaines sur le terrain, très préjudiciable vis-à-vis de l’opinion publique occidentale. L’Union européenne a dépensé plus de 20 millions d’euros au Mali pour reconstituer des unités et réhabiliter des garnisons. Il devrait en être de même pour notre pays. S’il faut remercier un pays ami comme l’Angola qui vient de s’engager à former des militaires, gendarmes et policiers, l’urgence demeure cependant en la réhabilitation de notre outil de formation. A travers le programme de Réforme du secteur de la sécurité (RSS), à travers la Loi de programmation militaire et à travers les pertinentes recommandations des Etats généraux de la défense nationale tenus en 1998, cette mission veillera sur toutes les étapes de la réforme. Savez-vous que nous disposons de tous les textes nécessaires pour la mise en place d’une bonne armée, d’une bonne gendarmerie et d’une bonne police ? Seulement voilà ! Depuis la période Bokassa jusqu’à ce jour, les dirigeants centrafricains répugnent à faire confiance à l’élite au sein des forces de défense et de sécurité et à appliquer les textes qui conditionnent l’accès aux différents emplois. Les confusions entre les officiers admis à faire valoir leurs droits à la retraite et ceux encore en activité doivent cesser pour laisser la place à l’aptitude, en ces temps de grande technicité dans le commandement des opérations. C’est le même postulat et le même déterminant ! Sangaris et MISCA, dont je souhaite ardemment la réussite, ne pourront à moyen et long terme être efficients sur le terrain qu’avec le concours des FACAS… Mais je m’empresse de saluer les efforts qui sont déjà faits et tout le travail déjà accompli. Figurez-vous que j’ai été l’un des premiers dans les médias, il y’a un an, à demander avec force cette Opération de maintien de la paix au moment où, rappelez-vous, Michel Djotodia n’en voulait pas. Je me réjouis que le Secrétaire général des Nations unies ainsi que la France aient fortement milité pour ce résultat. Et c’est très exactement autour du chiffre de 10.000 à 12.000 hommes que je m’étais arrêté, tout en restant réaliste sur la capacité de mobilisation du Département des opérations de maintien de paix de l’ONU. Pourquoi ? Parce qu’un think tank de stratégie militaire avec lequel je travaille, en se basant sur un ratio « superficie, population et nature du conflit », arrive lui au chiffre de 30.000 hommes qu’il aurait été nécessaire de projeter sur la RCA. Mais bon, à l’impossible nul n’est tenu. Avec les Forces de défense et de sécurité opérationnelles, nul doute que cet effectif sera atteint. 30 000 hommes, c’est l’effectif à atteindre pour les Forces de défense et de sécurité centrafricaines pour espérer sanctuariser nos 623 000 km2. Cette force (MINUSCA) permettra de garantir la sécurité à Bangui et dans les grandes villes de province. Elle permettra aussi de sécuriser les institutions afin d’éviter la mise en place d’une garde présidentielle préjudiciable à la création d’une véritable armée nationale. Elle permettra aussi de conduire, si nécessaire, par la contrainte, le processus de désarmement, cantonnement, démobilisation et réinsertion des forces négatives. En parlant de forces négatives et non conventionnelles, il ne faudra en aucun cas permettre la structuration des Sélékas ou des anti-balakas, lesquels deviendront un véritable danger pour les futures institutions. Dans le cas d’espèce, la mascarade du « congrès » de Ndélé des Sélékas et de l’Assemblée générale des anti-balakas à Bimbo est insupportable et inacceptable. Les vrais militaires qui sont avec eux, doivent rejoindre les rangs de l’armée nationale. Les civils, quant à eux, seront enregistrés, identifiés (empreintes digitales, photos anthropomorphiques), démobilisés et réinsérés dans leur région d’origine, pour éviter un regroupement sur Bangui et les principales villes du pays. Pour cela, il est urgent de réhabiliter le Camp Kassaï à Banguiainsi que le centre de formation et la garnison de Bouar, dans l’ouest du pays, qui devront être les véritables bases de la refondation des forces de défense et de sécurité. La ville de Bambari, carrefour entre le centre, le nord et l’est du pays devra aussi devenir une ville garnison avec un centre de formation pour cette partie de notre territoire. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Séléka a décidé d’y former son soi-disant « état-major ». Bambari devra aussi servir de base relais pour les opérations de reconquête et de stabilisation de toutes les villes du nord et de l’est de notre pays. Dans la foulée, les aérodromes de Bérengo et de Ndélé devront être réhabilités pour servir de bases multi opérationnelles. Par ailleurs, je pense que le ministère de la défense et celui de la sécurité doivent être regroupés en un seul département pour un bon pilotage des réformes du secteur sécurité (RSS). En ce qui concerne la police et la gendarmerie, il faudra pour Bangui et les grandes villes du pays, redéfinir un ratio en fonction de la densité de la population pour établir un bon maillage sécuritaire. Les limites des villes devront désormais être définies de manière claire afin de disposer d’une sécurisation conséquente. Bangui, par exemple, sera limitée par la barrière du PK9 route de Mbaiki, par le PK26 route de Boali, par le PK22 route de Damara et par les limites de la Landja. Le dispositif sécuritaire actuel de la ville de Bangui ne répond plus pour la sécurisation de près d’un million d’habitants. La grande dissémination des armes, le taux élevé de chômage parmi la jeunesse majoritaire, tout cela constitue un cocktail détonnant pour l’avenir de la sécurité dans Bangui et dans toutes les grandes villes du pays. Et puis, avec tout ce qui vient de se passer, nous devons nous préparer à la gestion d’un taux très élevé de petite et grande criminalité dans les années à venir, sur toute l’étendue du territoire. Sur le découpage administratif, il s’agira en plus des commissariats d’arrondissements, de créer un poste de police dans chaque secteur administratif. A l’exemple du 7ème arrondissement de Bangui, on pourra ainsi avoir les postes de police de N’garagba, Kassai, Gbagouma. Celui du quartier Ouango sera adossé au commissariat d’arrondissement. De même qu’il faudra instituer une Préfecture de police (PP) pour la ville de Bangui, la Direction générale de police ayant une juridiction nationale. Bien évidemment, tout cela ne pourra être fait dans l’heure, mais nous devons profiter de la forte présence de la communauté internationale à nos côtés pour présenter un programme de Réforme du secteur de la sécurité ambitieux, susceptible de jeter les bases d’une stabilité définitive, nécessaire au développement tant espéré et attendu par nos compatriotes. Vous savez et comme on le dit, « à quelque chose, malheur est bon ». La communauté internationale est aujourd’hui à nos côtés. La coordination avec ces partenaires est névralgique. Seule une personnalité compétente et dotée des pouvoirs nécessaires en relation avec la mission de réformes de l’armée, de la gendarmerie et de la police, pourra proposer à la signature des autorités de transition les textes organiques et les textes de nominations. Pour entrer dans le dur, il faudra mettre en place, avec l’appui des partenaires, une opération de ramassage des armes, appuyée sur un intéressement financier qui permettra de siphonner les armes en circulation. La même opération a connu une grande réussite après les mutineries de 1996 et 1997 à travers le Comité International de Suivi (CIS), dirigé à l’époque par l’ancien Président Amadou Toumani Touré avec qui j’ai eu le privilège de travailler. Voilà quelques-unes, mais quelques-unes seulement, des esquisses de l’énorme tâche qui consistera à réformer, à réhabiliter et à crédibiliser les forces de défense et de sécurité en Centrafrique. Je finis sur ce sujet en vous disant que le procès de l’ex-empereur Jean-Bedel Bokassa avait révélé, entre autres turpitudes, les tristes conditions d’épuration de l’élite de l’armée centrafricaine. De 1980 à nos jours, une nouvelle génération d’officiers a surgi. Ces officiers, dont un grand nombre de diplômés de grandes écoles de guerre et d’académies militaires à travers le monde, doivent désormais avoir la possibilité de créer cette nouvelle armée que les Centrafricains appellent désespérément de leurs vœux. La présence de la MISCA et de Sangaris doit rassurer les politiques centrafricains de leur peur ancestrale vis-à-vis de cette armée et permettre enfin aux meilleurs de son élite de pouvoir s’exprimer. Nous devons sortir du repli identitaire et du réflexe communautariste pour enfin bâtir une armée digne de protéger notre territoire, de Bambouti, Bangassou, Possel, Birao, Boromata, Bémal, Beloko, Nola, Lindjombo et Mongoumba. Cette élite de nos officiers a désormais la responsabilité historique de laver l’affront qui finit de ternir le blason de notre armée. Si rien n’est fait, on n’est en droit de craindre de voir ces officiers, épuisés d’attendre l’accès aux responsabilités, se réfugier dans des fonctions civiles ou alors, pire, s’exiler à l’étranger. Non, pas vraiment. Je vous rappelle que je me trouvais en mission en Inde et ensuite en transit à Paris pour Bangui lorsque les Sélékas ont pris le pouvoir. Dans les jours qui ont suivi, je l’ai souvent eu au téléphone. Rien de plus normal. J’ai été pendant plusieurs années son ministre. Je suis un militaire de carrière mais je suis aussi et surtout un républicain convaincu. A ce titre, je me dois de respecter toutes celles et tous ceux qui ont exercé des responsabilités légales et légitimes dans mon pays. Je n’en sais absolument rien. Je suppose que ceux qui soutiennent cette thèse ont des arguments appropriés. Mais en qui me concerne, je m’inscris davantage dans la phase de réconciliation et de reconstruction de mon pays après, bien évidemment, qu’une justice équitable soit passée, que cette justice soit nationale ou supranationale. Pour cela, je ne vois pas comment tous ceux qui ont le sang des Centrafricains sur les mains, à commencer par tous les principaux chefs de la Séléka, par qui tous les malheurs sur mon pays sont arrivés, ne pourraient pas répondre de leurs actes. Dans cette perspective, l’impunité doit être combattue avec force et conviction. La République centrafricaine a signé et ratifié la plupart des traités instituant les institutions juridictionnelles pénales internationales. Nous ne pouvons donc pas nous soustraire aux dividendes, si j’ose dire, de ces traités. Mais encore une fois, il faudrait que les enquêtes aboutissant à ces sanctions soient équitables et incontestables. Le président Obama a ajouté Michel Djotodia sur sa propre liste. C’est bien. Mais d’autres courent encore. Ecoutez, si je devais avoir le cœur léger, je dirais que, sur l’échelle du déplacement des plaques tectoniques, la comparaison entre les Sélékas et les anti-balakas est incongrue. Pourquoi ? Parce que les Sélékas étaient essentiellement une force d’invasion et les anti-balakas, à l’origine, je dis bien à l’origine, ont représenté une forme de résistance. Le problème, c’est que, un seul mort provoqué par les uns ou par les autres est déjà un mort de trop. Je m’explique : on n’a pas fini de mesurer l’étendue du mal que les Sélékas ont fait à ce pays. La confessionnalisation de leurs structures même et la nature des crimes qu’ils ont commis au nom d’une certaine religion (l’islam) portaient déjà en elles les germes de la métastase, vite transformée en folie meurtrière des anti-balakas contre nos propres compatriotes de religion musulmane. Dans cette logique, si on condamne les Sélékas, il est difficile d’absoudre les anti-balakas. Personne ne peut accepter, encore moins cautionner la chasse aux musulmans dans un pays qui a toujours vécu dans une véritable paix religieuse, un pays dans lequel toutes les confessions se sont toujours exprimées librement et dans une grande tolérance. Justement, c’est en cela que le pseudo congrès de la Séléka, tenu à Ndélé est, au choix, un scandale ou une hérésie. Car, comment comprendre que des bandits qui ont fait ce que ces gens ont fait subir à ce pauvre pays et qui ont par la suite été vaincus militairement, comment ces gens ont pu entamer ce qui n’est rien d’autre que leur renaissance et leur réorganisation, dans la partie du pays qu’ils comptaient et qu’ils comptent plus que jamais sanctuariser ? Je vous assure que cette séquence est ahurissante. Toutefois, je serais étonné que Sangaris et MISCA acceptent l’inacceptable. Je suis même convaincu de leur bonne foi qui a été abusée par Séléka, lequel n’est pas à une turpitude près. Pour revenir à votre question, je pense qu’elle ne se pose même pas. Jamais aucun Centrafricain, mais vraiment aucun, n’acceptera la partition de notre pays. Le problème, car il y a un problème, c’est que cette partition était déjà en pointillé dans la tête et dans le programme de Djotodia et de la Séléka. A défaut d’avoir conquis, durablement, toute la RCA, il ne leur restait plus qu’à jouer cette carte morbide et mortifère de la partition. Vous savez, la « sortie » si je peux dire, d’Abakar Sabone sur la partition de la RCA et qui avait réveillé beaucoup de compatriotes de leur léthargie, cette sortie était tout, sauf une gaffe. Cet homme disait tout haut ce que Séléka avait toujours préconisé. Mais je crois savoir qu’après ce soi-disant congrès, tous ne sont pas sur la même longueur d’onde. Et c’est heureux. Quelques-uns parmi eux, de vrais Centrafricains avec lesquels je concède qu’il faudra discuter, n’entendent pas s’inscrire dans ce projet de folie. Il faudra voir. La question n’est pas à l’ordre du jour. On verra. Je n’exclus pas de rentrer. Mais vous savez, même ici je travaille énormément, de manière différente, à la renaissance de mon pays. Toutefois, je vous fais remarquer, à titre personnel, que j’ai tout perdu chez moi, mais vraiment tout. Seulement, dans mon malheur, il m’arrive de relativiser. Je me dis : que valent mes petits biens matériels face à la totalité de mon pays qui a été ravagé, à mes milliers de compatriotes morts pour rien, et qui continuent de mourir, à cause de la folie meurtrière des Sélékas et ensuite des anti-balakas ? Moi, je ne demande rien. Mais j’ai foi en l’avenir. Aucun. Mais vous savez, nous sommes un petit pays, avec un spectre dirigeant assez étroit. De ce fait, tout le monde connaît un peu tout le monde. Je vous ai donné mon avis sur l’avenir des forces de défense et de sécurité. Je me garderai bien de juger la gestion de la transition. Et puis, entre nous, il ne faudrait pas être de mauvaise foi non plus. Les actuels dirigeants de la transition ont hérité d’une situation effroyable léguée par dix mois de folie de Séléka. Je ne vois pas comment ils pourraient changer les choses comme par magie. Il reste que, gouverner, c’est poser des actes. La transition doit poser des actes clairs, lisibles. Et surtout, elle doit réussir. La situation s’y prête d’ailleurs. La communauté internationale est à notre chevet et entend nous aider à nous relever. A une condition : que nous montrons notre sérieux et notre détermination à réussir Mais il est incontournable, ce dialogue. Que nous puissions solder une fois pour toutes nos contentieux internes. Vous aurez pu citer aussi celui de la Côte d’Ivoire, toujours en cours. Mais je vous renvoie à une maxime bien centrafricaine qui dit : « kêkê wa kwè a za wa zango ». Traduction libre et optimiste : « nous devons faire feu de tout bois ». Tous les modèles que vous avez cités ont du bon. Il reste, vous vous en doutez, que nous devrons tenir compte des spécificités centrafricaines. J’ai dirigé le ministère du dialogue et de la réconciliation. Je sais donc de quoi je parle. Et puis, mais cela on ne le dit pas assez, bien avant la vague des conférences nationales souveraines des années 90 en Afrique, la République centrafricaine avait déjà, avant tous les autres pays, tenté et réussi cette expérience avec le séminaire national de réflexion de 1981, juste après la chute de l’Empire. Si les archives n’ont pas été détruites, après la folie de ces derniers mois, je crois pouvoir dire que nous avons à notre disposition des trésors de documents, issus pêle-mêle du grand débat organisé par l’ancien Président Kolingba en 1992, du Dialogue National que nous avons organisé en septembre et octobre 2003 alors que j’étais justement ministre chargé du dialogue et de la réconciliation ou encore plus récemment fin 2008 du dialogue politique inclusif. Nous avons au gré des foras, pris toutes les recommandations nécessaires au développement de tous les secteurs de notre pays. Nous avons des centaines de recommandations dans nos tiroirs qui ne demandent qu’à être appliquées. En fait, tout dépend de la volonté politique à impulser pour promouvoir le dialogue et la réconciliation. Je note que les Sud-Africains avaient beaucoup insisté sur la notion de justice qui précédait la réconciliation. Et les Rwandais avaient institué les tribunaux « gaçaça » (prononcé gatchatcha) pour juger les génocidaires et leurs complices. Mais vous avez raison, la RCA a besoin de paix et de réconciliation. Après le cauchemar que nous avons vécu, il nous faudra coûte que coûte réapprendre à vivre ensemble. Nous y sommes obligés, aussi bien pour nous-mêmes aujourd’hui que pour les générations futures. Un message d’espoir, je dirai même plus, un message d’espérance. Ce n’est pas de la méthode chère au bon docteur Coué, croyez-moi. Nous sommes un peuple jeune. Nous avons des atouts non négligeables. Bien des pays se sont relevés après de pareilles catastrophes, voire pire. Nous devons croire en nos capacités. Et si nous pouvions mettre la même ardeur avec laquelle nous détruisons tout chez nous pour, au contraire, construire notre pays, tous les espoirs sont permis. Les autorités de la transition ont la difficile mission de devoir être claires et résolues, de fixer des caps et de s’y tenir, quelque soient les aléas et surtout de ne voir que le seul intérêt du peuple centrafricain. Et pour cela, il leur faudra beaucoup de pédagogie : expliquer, expliquer sans cesse ce qu’elles font. Le Centrafricain est tout sauf bête. Il comprend bien quels sont et où sont ses intérêts. Merci à vous et à toutes les lectrices et lecteurs d’Opinion Internationale. La République centrafricaine une et indivisible se relèvera et vivra, belle et prospère. Propos recueillis par Lydie Nzengou
Comment analysez-vous la situation en RCA ?
Vous, qui êtes un officier général, que vous inspire la situation des forces de défense et de sécurité de la RCA ?
Donnez-nous tout de même brièvement quelques aperçus des mesures que vous préconisez ?
Que devrions-nous faire pour que les actions des Sangaris et de la MISCA soient encore plus efficaces ?
Comment envisagez-vous l’Opération de maintien de la paix qui sera opérationnelle en septembre 2014 ?
Vous avez occupé différents postes ministériels et notamment celui de vice-Premier ministre sous le Président François Bozizé, avez-vous toujours des relations avec lui ?
Il est accusé d’être le principal chef des anti-balaka, qu’en dites-vous ?
Justement, des sanctions internationales sont tombées sur des personnalités centrafricaines, quel est votre point de vue sur la question ?
Que pensez-vous des Sélékas et des anti-Balaka ?
Nous entendons plusieurs informations qui font état de la partition de fait de la RCA, êtes-vous d’accord avec ce point de vue ?
Vous êtes un officier général, comptez-vous rentrer en RCA ?
Quels sont vos rapports avec la transition ?
Que pensez-vous de la gestion du pays par cette transition ?
Que pensez-vous du dialogue en RCA ?
Quel processus de réconciliation nationale est le plus indiqué pour la RCA, celui du Rwanda, de l’Afrique du Sud, ou un modèle typiquement centrafricain ?
Quel message à l’endroit du peuple centrafricain, des autorités centrafricaines et des lecteurs d’Opinion Internationale ?