Le 25 mai dernier Piotr Porochenko remportait les élections présidentielles ukrainiennes. Ces élections sont perçues par lesUkrainiens comme les plus démocratiques connues jusqu’alors. Ils en attendent une avancée démocratique, un retour à la paix pour l’est du pays et surtout un changement radical quant aux méthodes de gouvernance. En un mot, un renouveau politique.
M. Porochenko, baptisé le « Willy Wonka ukrainien » (NDLR : le patron de la chocolaterie dasn le roman Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl), s’il est nouveau Président n’en est pas moins un homme politique naviguant au sein des gouvernements ukrainiens successifs depuis près de deux décennies.
En effet, ce natif de Bolhard (région d’Odessa) de 48 ans et avant tout un homme d’affaires du centre de l’Ukraine qui a fait fortune, un homme pragmatique qui sait montrer qu’il parle ukrainien et qu’il va à l’église entouré de toute sa famille.
Il construit sa fortune dans l’industrie de la confiserie. Avec un sens des affaires aigü il sut bénéficier de la pénurie de cacao en ex-URSS pour prendre, avec sa société de confiserie Roshen, près des 30% de part de ce marché.
Aujourd’hui, Forbes évalue sa fortune à 1,3 milliards de dollars, ce qui le place dans le top 10 des fortunes d’Ukraine. Notons cependant que sa fortune aurait subi une perte de 300 millions suite au blocage des avoirs de Roshen par la Russie et à l’interdiction en 2013 de la vente de ses produits, soupçonnés de contenir des matières cancérigènes.
En homme d’affaire ambitieux, il élargit ses activités en achetant des chantiers navals, des compagnies de taxis et de constructions automobiles, mais surtout des médias, comme la chaîne Channel 5 et et le magazine Korrespondent.
Ambitieux, il emploie ses talents pour entrer en politique. D’abord auprès du Parti social-démocrate d’Ukraine (SDPU(O)), parti le plus fidèle au président Leonid Koutchma.
Il participera à la fondation du parti des Régions avec Nikolaï Azarov élargissant ainsi son réseau de connaissances et d’influence, ce qui lui sera aujourd’hui extrêmement utile. Cependant il crée son propre parti « Solidarité » en 2000, mais le laisse en sommeil pour continuer à suivre de grosses formations politiques. C’est ce parti qu’il réactive aujourd’hui.
Un des plus gros financeurs de la révolution orange de 2004
En 2001, il se désolidarisera de Koutchma et devient le chef de campagne de Viktor Ioutchtchenko dans la coalition d’opposition « Notre Ukraine ». Le fait qu’il soit l’un des principaux financeurs de ce mouvement et de la révolution orange, et que Ioutchenko soit le parrain de ses filles participe certainement à la collaboration des deux hommes. En 2002, il obtient un siège à la RADA (le Parlement ukrainien) en devenant député de l’Oblast de Vinnytsia (au centre du pays) et il présidera la commission parlementaire du budget.
En septembre 2005, il est accusé de corruption pour avoir défendu les intérêts du milliardaire V. Pintchouk qui profitait de privatisations pour accroitre à moindre coût son empire financier. Mais cela n’entravera pas sa carrière politique même si Ioutchtchenko lui retire son poste à la suite de la crise de confiance consécutive et aux soupçons de corruption dans le milieu politique ukrainien. Il revient en mars 2006 au Parlement et il présidera la Commission des finances et des banques.
En 2007 il est à la tête de la Banque centrale ukrainienne, en 2009, ministre des Affaires étrangères et la même année, il reprend le Conseil national de sécurité et de défense. Pendant toute cette période, il soutient la candidature de l’Ukraine à l’OTAN.
De Iouchtchenko à Ianoukovitch
Sous Ianoukovitch il perd son portefeuille mais saura faire preuve d’assez de sens de persuasion pour que le président déclare vouloir coopérer avec lui : le voilà ministre du commerce et du développement économique jusqu’en novembre 2012.
Au cours des événements de Maidan il fut bien moins actif que Vitaly Klitchko, le nouveau maire de Kiev sur la place mais sût voir le sens de l’histoire et être assez visible, distribuant même des friandises aux manifestants en signe de soutien, pour gagner en charisme. Ainsi il arrive a ne pas être trop « marqué » par les événements du Maidan ce qui aurait ensuite pu être contreproductif en politique internationale.
Il saura également mettre régulièrement en avant son expérience de chef d’entreprise en scandant par exemple qu’il alignera le salaire moyen des ukrainiens sur le salaire de ses employés de 7.000 hryvnias (437 euros). « On l’a fait pour 45 000 employés, on peut le faire pour 45 millions d’Ukrainiens » devient un leitmotiv.
Cependant son parti « solidarité » doit trouver des soutiens avec des adhésions massives, il doit également obtenir un renouvellement du Parlement et que celui-ci lui soit favorable, sans quoi, avec la constitution de 2004, il lui sera très difficile de gouverner. D’autant que Ioulia Timoshenko, qu’il connait de longue date ne fera, soyons en sûr, rien pour lui faciliter la tâche sauf à ce que cela ne serve ses propres intérêts.
Gageons cependant que fort de son expérience et de sa fortune, le tout nouveau président aura déjà su fédéré nombre d’élus, de politiques et de forces d’influences autour de sa personne.
L’écueil serait que, trop habitué à naviguer dans un certain monde politique, il lui soit difficile d’en créer un nouveau après plus de 20 ans dans le monde politique.
Voyons s’il tiendra son premier engagement moral pris en avril dernier à savoir vendre les parts de sa société Roshen puisqu’il disait que « En tant que président de l’Ukraine, je vais et je veux me concentrer uniquement sur le bien-être de la nation ». L’avenir nous le dira, mais espérons, dans l’intérêt des ukrainiens qu’il y parvienne.