Comment une citoyenne franco-allemande et européenne convaincue perçoit-elle les résultats des élections européennes en France où le FN s’est largement imposé face à l’UMP et au PS ? Babette Nieder, première étrangère à exercer une fonction dans un cabinet ministériel français – elle fut chargée de mission au ministère des Affaires européennes à Matignon de 1989 à 1992… – revient pour nous sur les résultats de ces élections, ainsi que sur le devenir du couple franco-allemand.
Comment ont voté les Allemands aux élections européennes ?
Ils ont confirmé les deux grands partis allemands, avec la CDU/CSU en tête, même si elle a perdu légèrement, et le SPD qui, lui, a gagné 6,5 %. La légère baisse de CDU/CSU vient d’une baisse significative du partenaire bavarois CSU, qui a fait une campagne électorale ouvertement eurosceptique qui n’a pas eu de succès.
Mais, pour la première fois, les Allemands ont aussi élu des députés qui se déclarent contre l’Europe. Alors que c’était leur première participation à des élections européennes, les eurosceptiques allemands de l’AfD (Alternative für Deutschland) ont remporté 7% des voix et sept sièges.
En outre, et grâce à la fin du seuil des 5% [NDLR : une récente décision la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a supprimé les seuils minimaux pour entrer au Parlement européen. En France ce seuil est de 5%], de nombreux petits partis, qui vont de la défense des animaux à l’extrême-droite, vont se retrouver au Parlement européen avec un député chacun. Au total, 14 des 96 députés allemands dans le nouveau Parlement européen resteront en dehors des quatre grands groupes politiques (PPE, sociaux-démocrates, libéraux et Verts).
Je retiens deux messages positifs : d’une part, une participation en hausse (48% après les 43,3 % de 2009), que j’explique, au moins en partie, par une présence accrue dans les médias due au nouveau système de candidats pour la présidence de la Commission. D’autre part, un vote de quatre électeurs sur cinq pour des partis pro-européens.
Quel effet ont eu en Allemagne les résultats français ? Une France dont le premier parti est le Front national, cela suscite-t-il des réactions particulières en Allemagne ?
Oui, pour plusieurs raisons. D’abord, alors que la France est le premier partenaire économique de l’Allemagne, considérée par les Allemands comme le plus proche, le résultat des élections est interprété comme un signe des difficultés économiques que rencontre le pays mais aussi comme la manifestation d’un doute sur la représentation politique en France en ce moment.
Cela suscite aussi des inquiétudes en Allemagne où, pour des raisons historiques, les sensibilités des partis à tout ce qui est lié à l’extrême-droite sont particulièrement grandes.
C’est également la faiblesse du gouvernement et du président actuels qui interroge les Allemands, et surtout les partis politiques allemands, qui se demandent comment réagir à la montée d’un parti comme le Front national.
Je crois, enfin, qu’il existe aussi deux interprétations assez répandues. La première – probablement partagée entre la France et l’Allemagne – voit dans ce résultat avant tout un vote de protestation plutôt liée à la conjoncture qui nourrit aussi un fort taux d’abstention. Les élections européennes sont perçues comme un scrutin à part, moins important que les autres.
La seconde interprétation voit au contraire dans le résultat des élections et dans l’abstention la confirmation de deux tendances lourdes : le rejet de l’Europe d’abord, qui existe depuis des années, plus particulièrement depuis le « non » des Français au traité constitutionnel de 2005, et ensuite un FN qui s’installe de plus en plus dans le paysage politique français.
Pour compléter la question précédente, pouvez-vous nous dire si la France est perçue comme encore crédible et légitime, au vu de ces résultats, à être un moteur de la relance européenne ?
C’est un réel problème puisque toutes les institutions, les associations et les nombreux liens qui existent entre nos deux économies plaident en faveur d’une coopération franco-allemande étroite sur de nombreux sujets européens. Mais, dans les circonstances actuelles, et quand bien même il n’y aurait pas de solution alternative pour l’instant, un petit doute s’installe sur la possibilité de réaliser avec succès cette coopération avec une France qui n’aura de poids au Parlement européen qu’à l’extrême droite.
Cependant, après les cérémonies de commémoration de guerre cette année (centenaire et débarquement), la conférence sur le climat en 2015 sera une occasion pour renouer avec la tradition multilatérale de la diplomatie française. Un succès de cette conférence sera un succès pour la France et pour l’Europe.
Vous êtes pour une Europe unie et solidaire. Quelle alliance peut porter cette Europe aujourd’hui ? Ne faudrait-il pas remplacer le couple franco-allemand par un pôle élargi à l’Italie, à la Pologne et à quelques autres pays volontaristes ?
Justement l’idée de ne voir uniquement que des « couples nationaux » est un peu dépassée : nous devons plutôt penser en terme d’orientation politique de l’Europe. Je crois d’ailleurs que ce qui nous manque, après cette phase très dure de restructuration due à la crise financière, est plus de solidarité. Ce manque de solidarité est, je crois, une des raisons essentielles pour laquelle l’Europe est mal aimée.
Il est vrai que la situation économique est très bonne en Allemagne. Non seulement elle tire parti de l’euro pour ses exportations mais profite aussi de taux d’intérêt très bas pour financer sa propre dette. Il est peut-être temps pour elle de montrer une plus grand compréhension.
Si on se projette en terme de nouvelles alliances, l’Allemagne doit soutenir le nouveau gouvernement italien qui a remporté l’adhésion populaire et, surtout, éviter la « fracture » entre pays du sud et pays du nord. Dans cette perspective, les pays de l’est, la Pologne notamment, peuvent nous y aider.
De toutes façons, il faut se rappeler que quand le couple franco-allemand était efficace, ce n’était jamais contre les autres, mais c’est au contraire, à travers des alliances, avec la Commission européenne d’abord, mais aussi avec d’autres pays.
Dans cette perspective, est-ce que l’élection de Matteo Renzi ne représente pas justement une volonté d’aller vers une Europe plus solidaire ?
Je le crois. C’est d’autant plus intéressant qu’il y a dans les propositions de Matteo Renzi beaucoup d’éléments que les Français aimeraient voir se réaliser. Comme il l’a lui-même dit, alors qu’en France c’est la colère qui l’a emporté sur l’espoir – ils ont voté en disant « ce n’est pas l’Europe que nous aimons », en Italie, au contraire, les Italiens ont voté pour la changer et aller davantage vers une Europe qu’ils aiment.
Je pense que ce serait une excellente chose si Matteo Renzi pouvait tous nous entraîner vers un projet commun, vers une Europe plus aimée qui tient compte des difficultés, notamment du chômage chez les jeunes dans les pays du sud, mais en France également.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les Italiens redonnent de l’espoir au projet européen. Lors de l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) rejeté par le parlement français en 1954, ce sont surtout les Italiens qui ont pris l’initiative pour créer une Communauté économique européenne.
La France et l’Allemagne sont les premiers partenaires politiques et économiques. Les Français ne méconnaissent-ils pas cruellement leur voisin ?
Je pense qu’il y a une partie de Français qui connaissent l’Allemagne mieux qu’avant, notamment tous ceux qui ont fait des études franco-allemandes et qui ont des doubles diplômes, tous ces jeunes qui vivent actuellement à Berlin, un nombre grandissant de couples mixtes, etc.
En revanche, je regrette que les liens qui existaient auparavant entre l’Elysée et la Chancellerie, avec des collaborateurs parlant la langue de l’autre qui se téléphonaient tous les jours et qui avaient la confiance du Président et du chancelier, aient aujourd’hui disparu. Je pense qu’en ce moment surtout, ces liens étroits manquent cruellement.
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