Le safran, dont l’origine se situerait sur les plateaux persans, est une épice bien connue pour sa couleur vive et appréciée pour ses propriétés aromatiques et médicinales. Le safran est utilisé dans les recettes de nombreuses cultures, mais il est indispensable dans la cuisine iranienne, notamment dans les plats à base de riz. Le riz cuisiné à l’Iranienne y ajoute une pincée de safran, ce qui lui donne sa teinte d’orée.
Pourquoi est-ce l’épice la plus chère du monde ? Le safran est obtenu à partir de la fleur Crocus Sativus Linneaus, une plante appartenant à la famille des Iridacées. Pour récolter l’épice, les agriculteurs enlèvent les filaments rouges entre les pétales de la fleur, une tâche laborieuse qui impose des heures de travail à la main. Chaque kilogramme de safran exige environ 150 000 à 300 000 fleurs et 75 à 200 heures de ramassage. Cette récolte difficile et exigeante explique largement son prix exorbitant. La majorité de la production du safran se concentre autour de la Méditerranée et s’étend jusqu’à l’Inde. Cependant, l’Iran domine le marché avec 90 % des récoltes mondiales. Les ventes annuelles mondiales du safran sont estimées à 660 millions de dollars et le prix d’achat en grosse quantité de safran peut atteindre, selon France Agri Mer, $ 3 000 par kilogramme.
Une place de choix dans l’économie sans reconnaissance à l’internationale
La production du safran occupe une place de choix dans l’économie iranienne. En 2013, selon le site de référence payvand.com, les exportations de safran ont généré $ 384 millions de revenu pour le pays. Cette année, le gouvernement iranien a supprimé toutes les taxes associées à l’exportation du safran pour augmenter les revenus des producteurs et affirmer la position dominante de l’Iran sur le marché international.
Par contre, l’Iran ne bénéficie d’aucune reconnaissance mondiale pour sa position stratégique sur ce marché. Ce sont en fait les productions de safran provenant de l’Europe, pourtant minimes, qui jouissent de la plus grande renommée.
Pour comprendre cette anomalie, il faut observer le marché espagnol : l’Espagne ne produit que 1 500 kilogrammes de safran par an, mais ses exportations montent jusqu’à 70.000 kgs. La raison en est que les opérateurs espagnols achètent du safran en Iran soit directement, soit via d’autres pays qui l’achètent en Iran tels que les Emirats ou la Turquie, et le revendent à leurs clients européens. L’Espagne est un des premiers pays importateurs de safran mondial et la plupart de ses produits importés sont destinés à l’exportation. En plus, selon Project FAO, seulement 20 % des exportations de safran iraniens sont conditionnées ou emballées ; ce qui fait que plus de 60 % des exportations sont distribuées principalement sous des marques de commerce espagnoles. Ainsi, la majorité du safran iranien est vendue sous le nom des marques espagnoles et ne profite d’aucune reconnaissance internationale.
Le safran iranien vendu sous le nom d’autres marques
Les règlements de l’Union Européenne sur l’emballage permettent à l’Espagne de profiter légalement du safran importé de l’Iran en mettant son nom sur des produits pourtant récoltés à l’étranger. Grâce à la réputation du safran espagnol, les distributeurs en Espagne n’ont qu’à étiqueter le safran importé avec la mention “produit d’Espagne” pour augmenter sa valeur et le revendre en Europe.
Nadder Mirshekar, le président de l’organisation du commerce de la région du Khorassan en Iran, où se concentre la culture des fleurs crocus, déplore le fait que le safran iranien soit redistribué sous des marques de commerce étrangères. Il affirme que le gouvernement fait des efforts pour encourager les producteurs de safran à emballer leurs produits et tente d’enregistrer le safran iranien sous une marque avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
La production européenne de safran a connu une chute sévère avec l’amélioration du niveau de vie et la demande élevée de main d’œuvre qu’exige cette culture. Cependant, une très grande partie du marché du safran reste sous le contrôle des entreprises européennes qui savent très bien traiter et conditionner le safran pour qu’il en ait les meilleures caractéristiques.
Enfin, les sanctions contre les produits iraniens aggravent la situation et les commerçants iraniens ont de plus en plus de difficultés à vendre leurs produits à l’étranger. Dans le Moyen-Orient, les entreprises d’exportations iraniennes souffrent des strictes limites imposées par les embargos de l’ONU. Avant, les villes d’Abou Dabi et de Dubaï étaient inondées par des marchands iraniens. À cause de leur accès restreint aux visas et des sanctions contre leurs produits, ces centres de commerces ne sont plus ouverts aux vendeurs iraniens. Avant que l’Iran puisse bénéficier d’une renommée pour son safran, il lui faudra une situation économique plus favorable que celle que le pays connaît aujourd’hui. Quand les sanctions seront levées et que l’Iran pourra se lancer à nouveau dans les marchés internationaux, les producteurs de safran iraniens pourront s’imposer dans le commerce et établir la réputation qu’ils méritent.
L’enjeu de ce marché est donc économique autant que culturel : quand donc les consommateurs européens sauront ils qu’ils dégustent une épice persane ?